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Cendrine Rovini, une peinture venue de l’intérieur

Cendrine Rovini, une peinture venue de l’intérieur

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Propos recueillis par Maximilien Friche

MN : Je voudrais commencer cet entretien en vous demandant tout simplement d’où vous peignez ? Vous dites que ces images ne viennent pas de la simple créativité mais qu’elles émanent d'un monde invisible… Voilà qui semble étrange a priori. Ramenez-vous vos peintures de songes, de visions, ou tout simplement vous laissez-vous traverser par ce qui parle à l’âme ? Ressentez-vous votre peinture comme une forme de mission ?

Cendrine Rovini : La source de mes images est avant tout intérieure. Jamais je n'ai vraiment envie de reproduire ce que je vois, même si c'est très beau. Pour moi, l'art est l'alliance expressive entre le corps et l'âme, et j'ai l'impression que les mains sont les outils les plus spirituels qui soient, comme les ailes de l'âme. Je n'ai pas l'impression de créer quoi que ce soit, mais juste d'interpréter avec mes moyens corporels ce qui vient de plus grand et mystérieux que moi. Avant ma conversion, je voyais des images intérieures juste avant de m'endormir ou bien juste après le réveil, et je n'avais ensuite plus qu'à les « recopier » le plus fidèlement possible. Maintenant je me tiens un peu éloignée de cette imagerie car elle me donne à voir des scènes dont l'exploration ne m'intéresse plus. Elles ont laissé la place à des visions nées de la prière, de mes lectures et des vies de saints telles que dépeintes dans l'histoire de l'art. En tant qu'artiste ma mission consiste à essayer de faire mon travail le plus humblement et fidèlement possible.

 

MN : Vos peintures ressemblent à des icônes. Avez-vous le sentiment de les écrire plus que de les peindre ? Qualifiez-vous votre peinture d’art sacré ou simplement d’art profane orienté ? Quel part de vous-même mettez-vous dans ces visages de saintes et de martyrs que vous faites revenir à la surface ?

CR : J'aime beaucoup l'expression consacrée « écrire une icône ». Quand je compose un dessin je fais très attention à l'équilibre et à l'harmonie : si écriture il y a dans mon travail, c'est dans ce sens qu'il faudrait la voir, car une écriture bien balancée donne envie de lire plus avant et une image harmonieuse donne sans doute envie de s'y attarder. J'aimerais que mon art soit définissable comme sacré, mais je ne peux y prétendre car la part d'élan personnel reste encore très forte et je garde l'habitude de travailler assez impulsivement et rapidement, de façon spontanée et sans croquis préparatoire. Pour être sacré, mon art devrait être plus lent, plus réfléchi, plus fidèle à Dieu et davantage débarrassé de moi-même, de mon orgueil. On me fait parfois remarquer que les visages de mes personnages rappellent le mien. Je pense que c'est tout simplement dû au fait que la physionomie que nous connaissons tous le mieux, est la nôtre propre et qu'il est donc plus facile et naturel - quoique sans doute inconscient - à un artiste de dessiner son propre visage, et je remarque que cette ressemblance est un phénomène très fréquent.

 

MN : Votre peinture semble entièrement construite autour des visages et de la lumière, des visages lumineux, transfigurés. Il semble que cette lumière ne puisse être peinte qu’en se retirant, qu’en creux… Est-ce là une de vos quêtes de vouloir montrer la lumière, la saisir ?

CR : Je commence effectivement toujours mes dessins par le visage : l'ovale puis les yeux, et cette chair, à mon idée, devrait laisser une part importante à la lumière. J'aimerais que les personnes que je dépeins soient à la fois très présents corporellement mais imprégnés d'une lumière surnaturelle. Bien entendu je n'y arrive jamais, mais ce qui m'intéresse c'est d'y tendre de tout mon cœur, comme dans l'attente de la transfiguration.

 

MN : Une autre chose m’a frappé dans vos peintures, est cette impression de souvenirs ravivés, de choses du lointain qui refont surface en gardant néanmoins quelques flous. Souvenirs que celui qui regarde le tableau semble reconnaître, il a comme une impression de déjà-vu. Qu’est-ce qui selon vous provoque ça ? Nous aurions tous des souvenirs communs ? Les peintures que vous livrez semblent fragiles aussi. Aussitôt ces souvenirs ravivés, on garde en nous la crainte de les voir s’enfouir immédiatement, et de devoir vivre avec ce manque. La lumière ne peut-elle être que fugace, précaire ?

CR : Certaines personnes me disent en effet que mes dessins leur rappellent confusément des souvenirs familiers. Je pense que c'est dû au fait que nous partageons peut-être, à des degrés divers une imagerie intérieure évanescente construite au fil du temps autour de lectures, de films vus, de rêves et d'imaginations plus ou moins actives, et mes dessins ressemblent parfois à ces images. Ou alors c'est le souvenir confus du paradis perdu que notre humanité a reçu en partage universel ? Très sincèrement je ne cherche plus à interpréter ce phénomène. La fragilité, l'impression de fugacité de mon travail sont par contre pour moi très importants car ils peuvent mettre en évidence la fuite du temps, évidence dont nous ne savons que faire. Les images doivent pouvoir s'échapper vers l'éternité et ainsi nous rappeler notre propre pesanteur, et si nous voulons rester en contact avec elles, à nous d'y travailler en restant attentifs à notre vie intérieure.

 

MN : Les visages de martyrs et de saintes, vous peignez des visages de femmes. Pourquoi uniquement des femmes ? Doit-on y voir un questionnement personnel ? Pensez-vous un jour parvenir à « épuiser ce sujet » ? Les variations sont-elles infinies ? Correspondent-elles à une narration qui aurait pu être la vôtre ?

CR : Je préfère dessiner des femmes car j'ai davantage observé leur visage que celui des hommes, mon trait me porte ainsi plus facilement vers elles car je suis plus habile à reproduire les physionomies féminines. Je ne pense pas que cela recouvre un questionnement personnel. J'ai à mon actif quelques autoportraits, mais je m'ennuie moi-même, et je n'ai plus envie d'explorer des notions d'identité propres à ma personne.

En revanche ce qui me plaît beaucoup c'est la beauté et l'équilibre des formes féminines, même quand mes personnages sont difformes (tête énorme, conformation étrange, etc.) je travaille à souligner une harmonie, un élan de vie, un équilibre intérieur qui alors les rendra attirantes, pas seulement physiquement, mais aussi spirituellement. Je pense que les variations peuvent être infinies, même sans aucune narration. Nous revenons aux icônes : j'aimerais que mes portraits – tout en n'étant pas des icônes – puissent être perçus comme iconiques.


Lionel Borla, artiste peintre
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1983-2013 années noires de la peinture, enquête
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La mémoire longue (entretien avec G. Engelvin) 4
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