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Jeff Koons : c’est le bouquet !

Jeff Koons : c’est le bouquet !

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Jeff Koons a le mérite d’être franc et cohérent, voici ce qu'il disait en 2014, lors de sa grande exposition à Beaubourg : 

« Mon travail est contre la critique. Il combat la nécessité d’une fonction critique de l’art et cherche à abolir le jugement, afin que l’on puisse regarder le monde et l’accepter dans sa totalité. Il s’agit de l’accepter pour ce qu’il est. Si l’on fait cela, on efface toute forme de ségrégation et de création de hiérarchies. »

La dissonance cognitive

Depuis Duchamp,l’artiste dit ce que l'on doit voire, cependant le regardeur n'est pas obligé d'être d’accord. Si l'artiste dit à propos d'une vessie « ceci est une lanterne », on n'est pas obligé de s'en persuader. Ainsi ce « bouquet de tulipe » de Jeff Koons, visuellement, quoiqu'en dise l'artiste, m'évoque un bouquet mou de rectums. Associé à cette sinistre main coupée qui vrille, l'ensemble m’évoque visuellement le thème du « fist fucking », une ambiance organique de ce genre. D'aucuns verrons un bouquet joyeux de guimauve, d'autres une sorte de fouet, d'autres encore des ballons. En tous les cas, sauf à s'en convaincre, s’hypnotiser, à laisser le vocable « tulipe » investir le sens visuel et modifier ses références ordinaires, sauf à voir ce que l'on croit et ne plus croire ce que l'on voit, force est constater que ça ne ressemble pas spécifiquement à un bouquet de tulipes. Certes, chacun a sa subjectivité, mais en l'espèces, trop peu des caractéristiques de la tulipe sont évoquées, fusse-t-il de façon synthétique.

Et quand bien même on finirait par y voir quasiment des tulipes, il demeurera toujours une ambivalence sur ce que cela représente, une ambiguïté, une dissonance cognitive, phénomène bien étudié en psychologie sociale. Sur le plan psychique rien de tel que le clivage entre deux pôles pour fracturer la cohérence d'une personne, ainsi qu'on l'observe dans les cas de harcèlement moral. Puisque le cerveau a tendance à produire de la cohérence nécessaire à l'action et à la sécurité, puisque l'émotion de peur que l'on peut situer à l'interface du corps et de l'esprit est au fond l'émanation de l'instinct vital, en cas de clivage persistant, ce même cerveau, pour retrouver un semblant de cohérence , réduire la menace en s'adaptant à la situation, va ajuster sa pensée sur un des pôles le plus menaçant et effacer l'autre progressivement en tout ou partie ( cf. Théorie de l'engagement, syndrome de Stockholm). Il y a dissonance aussi en terme symbolique, d'une part entre le kitsch de l'objet, sa dimension et l'emplacement choisi et, d'autre part, sa fonction commémorative.

L’erreur d’attribution émotionnelle

Revenons sur l'affaire du plug anal de la place Vendôme. L'avantage est qu'il n’y a aucune ambiguïté sur ce dont il s'agit, en soi ce n'est pas une œuvre, ce n'est d’ailleurs pas non plus un sex-toy, ni un sapin de Noël puisqu’on était à Noël. En soi, c'est très précisément un accessoire qui prépare la sodomie.

Ainsi certaines « œuvres » monumentales n'existent que par les remous psychologiques qu'elles provoquent. Le plug a été placé là où des gens seraient heurtés dans leur sensibilité, soit place Vendôme, et non dans le Marais ou cela aurait pu être perçu comme ludique. Le principe s's'appelle l'erreur d’attribution émotionnelle, principe bien connu en psychologie sociale. C'est à dire que ça doit être absolument là où ça choque, ainsi les gens disent et pensent « ça dérange donc c'est de l’art ». L’ « œuvre » a donc besoin d’un contexte, l'émotion ne résulte pas d’elle-même mais de la provocation. On attribue à tort à l'œuvre cette émotion, on associe à tort les deux. Ainsi, sans s'en rendre compte, on lui concède peu ou prou le statut d'œuvre d'art, phénomène très pervers. C'est à dire que le plug en soi, dans un autre contexte, n'exprime rien, c'est juste un plug, donc ce n'est pas de l’art. Le propre minimal d'une œuvre d'art est de se suffire visuellement à elle-même. On a donc des artistes subventionnés qui sont payés avec nos impôts pour nous violer la tête…

Revenons également sur le « domesticator » qui aurait pu s'intituler plus justement « enculatoré », dans la tradition de l'approximation sémantique de Duchamp : pissotière ou ready-made ? Le « domesticator » donc fut déplacé des Tuileries à Beaubourg, au grand dam de l'artiste. On se demande pourquoi. Placé dans son contexte naturellement « moderne », n'ayant pour le moins aucune des qualités propres à un objet d'art monumental, devant Beaubourg, il passa totalement inaperçu et ne provoqua pas de tollé à l'exception de l'indignation de la SPA.

Le propre attendu d'une œuvre d’art, a minima, est de se suffire visuellement à elle-même pour porter son message quel qu’il soit, d'attirer l'attention et de transporter les émotions de l'artiste en tant que média autonome sans qu'il soit besoin par principe d’un « médiateur ». A cet égard, précisons que le médiateur explique le projet de l'artiste dit contemporain, chose inouïe dans l'histoire de l’humanité. Tout se passe en fait comme si le territoire du verbe débordait sur celui du sens visuel.

A ce propos, l'art autoproclamé contemporain, n'est rien d'autre que la prise de pouvoir territoriale de l’intellectuel sur l’art. Celui-ci se pare de l'aura de l'art. L’artiste, figuratif ou abstrait, devient volontairement et visuellement sans message ni émotion. Le froid est la marque de fabrique de l’art autoproclamé contemporain tout genre confondu. Visuellement insignifiant, il cède la place au médiateur et donc à l'intellectuel, celui-ci se rend ainsi indispensable et doit verbalement compenser l'indigence visuelle de l’œuvre qui ne se suffit plus à elle-même. Telle est bien la doxa enseignée partout : pas d'émotion, surtout pas d'émotion ! Comme le dit Jean Clair, l’artiste officiel a abdiqué sa responsabilité et son pouvoir, c'est une histoire de pouvoir, une industrie de l’art a pris sa place.

Conclusion : le totalitarisme de la pensée

Confucius disait « quand les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté ». Ainsi est-il temps que les objets retrouvent leur fonction. Au fond, la pensée scientifique nous apprend que de toutes les théories possibles appliquées à un objet, seule doit être retenue celle qui est efficiente. Un plug, ce n’est ni un sapin ni un sex toy, c’est précisément un accessoire nécessaire à la sodomie. De la même façon, si on remonte dans le temps à Duchamp, dont se réclame Jeff Koons, une cuvette ce n'est pas non plus un ready-made, ni une cuvette, si on met le juste nom sur la chose et qu'on la ramène à sa fonction à et son utilité, ce qui est le plus important, c'est une pissotière. Tout le reste, toute autre spéculation, n'est que l'émanation du plaisir morbide de l'intellectualisme, pâle copie de l'exercice de l'intelligence et du discernement. Enfin, il est à noter que toute l'ambivalence résulte là aussi du contexte, notamment du fait que la pissotière soit officialisée par sa présence au musée.

Ainsi insidieusement il a été instauré le totalitarisme de la pensée : une partie devient le tout. Le geste d'exposer une pissotière devenu art officiel donc exemplaire, contient en germe la négation de l'autonomie du sens visuel et de l’émotion comme vecteur possible de connaissance : Je vois et je crois ce que l'on me dit et ce que je vois ne compte plus. C'est symbolique ou psychosociologique que cette pissotière soit devenue une icône d'une certaine gauche sociétale embourgeoisée et du marché mondialisé. Une pissotière est ainsi devenue monument de l'art officiel, un symbole exemplaire et impératif de l’intellectualisme, sanctifié par l'autorité, par une abondante littérature et par sa présence au musée. Elle est icône devenue en tant que telle fortement prescriptrice en termes d'intégration sociale, portant l'injonction au chic distancié sociétal.

Pour ne pas être taxé de « complotiste », on se bornera à constater une belle série dans l’art contemporain monumental : plug, vagin de la reine, domesticator, … il semble bien que la force de cette subversion et de la subversion en général, soit de paraître anodine, de se cacher sous divers masques : celui de la libération, de l’humour, du questionnement et même de l'autocritique partielle. Au final, tout se passe comme si le but était de nous faire renoncer à nous même par touches successives, chacun jugera… « le diable se cache dans les détails. »

Ainsi pourra t'on peut être un jour remercier Jeff Koons de nous avoir libéré et déconditionné de l'emprise délétère de la pensée de Duchamp en la poussant jusqu'au bout de façon finalement assez naturelle et décomplexée.


Koons à Beaubourg…
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