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Le cercle de craie, opéra de Zemlinsky

Le cercle de craie, opéra de Zemlinsky

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Les opéras opèrent rarement. Cela sonne presque toujours faux. Les livrets sont ridicules. Les mises en scène, provocatrices et donc parfaitement nulles. Les voix gazouillent au loin, dans la terreur de ne pas être entendues. Pourtant, le cercle de craie – œuvre de Zemlinsky – est une réussite. Le livret mélodramatique à souhait ne rompt pas le charme d’une musique débridée. Au demeurant, il faudrait interdire les prompteurs dans les salles de spectacle. Cela ne sert à rien de lire des niaiseries, si ce n’est à cautionner la moraline ambiante. Pure hypothèse d’école : vous êtes assis à l’opéra, aux côtés de la femme que vous aimez, la lumière s’éteint comme une barrique de noir se renverse. Les clapotis téléphoniques s’arrêtent enfin. Il n’y a plus de bip dans l’univers. Les gens sont silencieux, à en devenir presque humains. Enfin, paraissent le bordel, les femmes nues, les hommes déterrés, le tenancier, monsieur Ma et la pauvre jeune fille, vendue, à côté de laquelle les héroïnes de Chaplin passeraient pour des tortionnaires sans aucun scrupule. La musique s’envole, plane et n’atterrit pas. Les collégiens, qu’on a forcé à venir, ont la bouche ouverte. L’écran en veille de leurs jeunes cervelles s’allume tandis que les portables se meurent, oubliés, au fond d’une poche de jean troué comme les Orants du Trou. Les vieilles personnes ne somnolent presque pas et ne raclent pas leur gorge universelle. Leurs perruques sont attentives. La famille Bourbon, venue en autocar, se réjouit de tant d’arpèges échappés du crincrin quotidien. Je serre la main de ma compagne qui me renvoie un sourire éclatant. La vie existe…

Mais patatras, le rideau retombe. Zemlinsky est mort. Stravinsky est mort. La compagne est évanouie. Les bips reprennent langue. Les écrans ouvrent leurs yeux de Polyphème. Il n’y a jamais eu de spectacle. L’existence vous tacle de nouveau et Maiakovski se retranche les veines, après s’être tiré une balle dans le cœur, en pensant « au canot de la vie », si pesant. Vous n’étiez pas à l’opéra. La cacophonie reprend ses droits. Votre tête chavire dans un bruit de brasserie provinciale. Votre chaîne hi-fi vous regarde comme si elle vous moquait d’avoir cru un instant que l’opéra pouvait être vivant, drôle, prenant. Et de nouveau, la question se repose : « Y a-t-il une vie avant la mort ? ». Oui, dans ce cercle de craie, magique, que nulle intempérie ne peut abstraire.


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