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Le Christ aux outrages de Fra Angelico

Le Christ aux outrages de Fra Angelico

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Fra Angelico est le plus grand des peintres contemporains. Pour un homme mort au quinzième siècle, cela illustre à quel point le temps n’existe pas. Le temps est la martingale des impuissants. Mort un dix-huit février, il ne pouvait qu’être sensible à l’idée que la temporalité est une invention née de l’ennui, c’est-à-dire d’une forme particulièrement élaborée de la haine et de l’idée de référence. Si vous allez au Louvre, vous verrez, après la salle où trônent le mastodonte Véronèse et ses Noces de Cana, quelques tableaux de Fra Angelico.

Mais si vous allez au Louvre, vous regretterez de n’être pas à Florence pour admirer le Christ aux outrages. Chacun connaît le tableau. Le Christ est entouré des mains de ses bourreaux qui voltigent comme les mains coupées d’Apollinaire. C’est un tableau d’un siècle non encore écoulé ou, plus exactement, un tableau qui n’a pas sa place dans l’ordre chronologique. Les historiens de l’art ne peuvent comprendre cela, cette peinture ne relevant ni des catégories historique et artistique. Imaginez-vous un instant hors des dimensions spatiales et horlogères, il n’y a personne dans les rues, aucune exposition ou pièce de théâtre à l’horizon, vous n’avez plus d’idées sur les réformes sociales ou politiques. Vous n’êtes même plus vous-même. À cet instant précis, Fra Angelico devient votre ami. Vous êtes, vous aussi, fraternel et angélique.

Le Christ, c’est vous. Le souffle du Diable, c’est vous. Les mains tranchées, c’est vous. Vous êtes la femme que vous aimez. Vous n’êtes plus l’homme que vous détestez.  Votre compagne vous dit : « je suis à toi ». Vous la regardez et cela suffit. Devant une peinture de Guido di Pietro, il y a toujours des enfants à naître. Dans la soucoupe quotidienne, cela est tellement improbable que les nimbes de Fra Angelico sont les seuls objets réels. L’univers et ses environs ne geignent plus. La masturbation n’a plus de serviette en papier. La procrastination n’a plus la canne du lendemain pour exister. Il n’y a plus que la beauté d’être là, dans l’insouciance de sa propre inconsistance et de son irrésolution à retrouver une forme. Fra Angelico a démontré l’existence de Dieu et Dieu ne le sait même pas. Le bandeau du Christ en marque toute l’ironie sauvage. Il faut demander d’urgence l’asile politique à Florence et ressusciter H.G Wells pour qu’il nous rende la notice de sa machine à explorer le temps. Fra Angelico est comme Joseph, mon fils. Un jour que je lui demandais « s’il était en train de ranger ses jouets », il s’arrêta net et me dit « je ne range pas. Je détruis le bazar ! » Fra Angelico est un destructeur de bazar, ce qui est la définition exacte du bonheur.     


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