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Le regard du peintre Michel Das nous invite à la narration

Le regard du peintre Michel Das nous invite à la narration

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Mauvaise Nouvelle : Michel Das, j'aimerais rentrer directement dans vos peintures, y plonger immédiatement et faire l'économie d'une présentation plus académique. Quelque chose s'impose immédiatement après avoir parcouru votre œuvre actuelle : les yeux ! Il y a là une sorte d'évidence qui s'exprime en énigme : la place des yeux, du regard dans vos tableaux. Parlez-nous de vos intentions et de ce qui s'impose à vous !

Michel Das : Effectivement, les yeux, l’intensité du regard sont les choses que je regarde en premier chez quelqu’un. Je scrute et cherche la profondeur de l’être. Et il me semble que je peux y avoir accès par les yeux. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais je peins des regards qui nous suivent où que nous soyons, quelque soit l’endroit où nous nous trouvons dans la pièce, et qui nous accompagnent dans nos déplacements lents. Ce n'est pas intentionnel, je ne sais pas peindre les yeux autrement et, finalement on peut dire que c’est ainsi que la peinture est livrée à celui qui la regarde pour être avec lui, puisqu'elle a été faite pour lui.

Au début, d’ailleurs, très souvent, je ne peignais qu’un seul œil, et les gens ne s’en rendaient pas compte. En fait, j’inachève le travail, à l’image de Rodin, pour que le public s’en empare et le termine.

MN : Justement, parlons narration. Je distingue parfois deux types de peintures, à l'image de l'écrit, une plus poétique appelant à faire sens par la contemplation, l'autre plus narrative appelant à faire sens par l'aventure qu'elle suggère et l'imagination qu'elle convoque. J'ai tendance à classer votre peinture dans cette seconde catégorie, sans pour autant, bien sûr, l'opposer à la poésie. Quel est votre avis ?

MD : Ce que je peins est essentiellement narratif et invite à la narration. Moi, au commencement, je saisis une situation narrative dans la vie courante qui évoque en moi une histoire. Je ne suis pas dans la mise en scène, je saisis le moment, par impulsion. Ensuite je la livre et le public lui-même se raconte une autre histoire. Les gens ne voient pas tous la même chose. Certains y voient des souvenirs très personnels. Et quand je peins des gens qui se trouvent dans un musée ou une galerie en train de contempler une œuvre, il y a véritablement une mise en abîme de la narration. On regarde celui qui se raconte une histoire en regardant une œuvre, elle même fantasmagorie du réel. J’ai beaucoup été influencé également par Jean-Charles Blais. Je pense que la peinture doit permettre qu’une histoire se raconte.

MN : Michel Das, vous êtes peintre mais aussi photographe. Vos peintures n'ont pas toujours été les mêmes. Comment évolue votre style ? Comment se nourrit-il de ces différents savoir-faire, des différentes expériences ?

MD : Le style évolue, un artiste ne peut pas se laisser enfermer dans le produit qu’il crée. Je change de sujet, non pas quand ce dernier est épuisé, mais quand une idée nouvelle surgit. Je suis

photographe et peintre, et j’ai par ailleurs appris à sculpter. Les techniques artistiques convergent. Actuellement, je peins à partir de photos que je prends dans des lieux d’exposition. Je saisis des scènes. Ma peinture est aujourd'hui minimaliste, mais j’avais un style bien différent quand j’étais plus jeune, beaucoup plus baroque, avec un mouvement très spontané sans doute influencé par Picasso. On me disait que j’écrivais des pièces de théâtre. Le public était extérieur, comme devant un décor de théâtre, une scène d’un livre, le livre muté dans son illustration… La photographie et la peinture se nourrissent tous les deux car cela fait changer en permanence mon regard. Je photographie des gens qui sont dans une histoire pour raconter la mienne en peinture afin que le public s’y retrouve à son tour dans un simple regard insistant. J’ai toujours pensé que la peinture agissait comme un miroir. J’ai peint des gens qui se regardent dans une œuvre d’art peut-être pour inciter ceux qui regardent mes peintures à faire de même…

MN : Si le diable est dans les détails, votre peinture en revanche va tout de suite à l’essentiel. D'où vous vient votre style minimaliste actuel ?

MD : Oui c'est vrai, maintenant ma peinture est assez minimaliste, les détails ont disparu pour faire place à la pureté des lignes, aux à-plats. Peut-être est-ce une influence de la publicité dans laquelle j’ai travaillé plusieurs années, j’y ai sans doute pris l’habitude de la communication directe et le réflexe d’aller à l’essentiel. Concernant le style, Matisse est ma première référence, notamment du fait du travail des à-plats, cette convocation de toutes les dimensions dans les deux dimensions du tableau. Le côté minimaliste a été orienté également du fait du lieu, à la fois le lieu où je prends les photos, ces fameux musées, galeries qui sont faits de surfaces planes, de murs où seuls les arrêtes se distinguent. Et également du fait du lieu de la création, l’atelier d’artiste où je me trouve qui me permet de me nourrir des techniques des autres peintres. Un artiste se nourrit des autres artistes. Quand on est un artiste, on se sert de tout, tout nous influence. Rien n’est laissé au hasard, rien n’est véritablement anodin. Une ballade en ville, un film, un livre et mêmes les notifications des réseaux sociaux sont matière pour créer. En revanche, je ne peux pas créer à la campagne, même si je l’aime. A la campagne, je me contente de contempler.

MN : Dans vos tableaux, on peut scruter les regards des heures, tenter de pénétrer leur mystère et se retrouver de fait dans une narration de notre cru. Qu'est-ce qui fait que vos peintures abolissent le temps, que l'on peut les regarder des heures ?

MD : Vous savez, il y a des à-plats qui ont 5 ou 6 couches, cela n’y parait pas, mais il faut du temps et une certaine lenteur pour réaliser cette peinture minimaliste. Si la toile invite à la contemplation, c’est peut-être à cause de cette profondeur cachée. Je lisse au maximum mes toiles pour "ressembler" à des photos. Les lignes doivent être pures et contrairement aux toiles baroques que je peignais plus jeune, les toiles minimalistes ne supportent pas l’imprécision. Je suis donc très lent, ce qui me place en situation contemplative au cœur même du processus de création. Je suis très longtemps sur et devant la toile. C’est peut-être pour ça qu’à leur tour, les gens peuvent rester longtemps devant mes toiles. Je fais de la peinture de fauteuil comme disait Matisse ! De la peinture qui invite à se taire et à regarder longtemps, comme j'ai pu le faire lors de la création. Vous savez, je ne sais pas écrire de discours sur mes œuvres, je suis assez gêné quand on me demande de rédiger un topo, un livret. Je fais des toiles pour le regard des autres et voilà. Et j'aime observer les gens qui observent l’art

Plus d'informations : http://cargocollective.com/micheldas


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