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Lionel Borla, artiste peintre

Lionel Borla, artiste peintre

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Lionel Borla est un peintre essentiel pour notre temps. Avec un véritable vocabulaire graphique, il propose une poésie aux esprits qui vivent dans ses toiles et nous permet de renouer avec la contemplation de la création. Il est marseillais, architecte de formation. Il a été marqué par l'œuvre et la pensée de Le Corbusier. Au-delà de l'architecture moderne de la première moitié du XXème siècle, sa peinture est influencée par la Méditerranée et ses couleurs, la musique, la littérature et la philosophie. Lionel Borla a ré-inventé un monde poétique fait pour l'homme. Il a accepté de répondre aux questions de Mauvaise Nouvelle. Vous pourrez admirez ses œuvres au Grand marché d'art contemporain de Chatou du 18 au 20 octobre, ainsi qu'à celui de la Bastille du 31 octobre au 4 novembre prochains.

MN : Comme architecte, vous semblez fasciné par les réalisations humaines ou plus exactement les réalisations faites pour l’homme, pour son confort de vie et de vue, et notamment le travail de Le Corbusier. Quelle est néanmoins la place de la nature dans vos peintures, son rôle ?

LB : Les réalisations humaines, l’architecture en particulier, en tant qu’œuvre de l’esprit, apporte les liens nécessaires aux êtres humains. L’architecture de Le Corbusier magnifie cela et elle place avant tout et constamment l’Homme au centre du projet dans ses acceptions psychologiques et physiques. Pour autant, la nature n’est pas absente de mes réflexions, elle tient même une place essentielle. Premièrement car l’architecture est éminemment liée à la nature en tant que rapport aux points de vue sur un paysage, aux lumières, aux ombres, au climat, tout cela est fondamental dans la conception d’une architecture digne de ce nom. La nature et le paysage nourrissent ainsi constamment mon inspiration. Lorsque mon regard se porte sur un paysage, j’entends une musique et lorsque j’écoute par exemple une composition de Claude Debussy, cela crée dans mon esprit des images qui deviendront pour certaines des peintures. Un paysage est ainsi et avant tout une musique qui révèle le chant de l’âme. Un paysage devient ainsi, telle une création ou un ressenti face à une œuvre, un état d’âme.

Unité colorée
MN : Les êtres humains que vous dessinez sont très proches de la silhouette. Les portraits échappent à vos pinceaux. Quelle serait la place de l’individu dans ce monde fait pour lui, sa place dans le collectif des scènes que vous peignez ?

LB : L’individu est au centre de mon travail et de mon propos. Le dessin de l’être humain tel qu’il apparaît dans toutes mes œuvres se veut être avant tout un signe graphique qui tend à symboliser plus l’esprit que le corps, ainsi donc chaque silhouette a le même dessin. Ce qui caractérise fondamentalement un individu, c’est son esprit beaucoup plus que son enveloppe charnelle à mes yeux. J’ai ainsi nommé ce signe graphique « silhouette universelle » car son dessin stylisé englobe d’une certaine façon l’humanité par le corps et l’individu par l’esprit.

MN : Dans vos peintures, vous avez inventé un monde tout à fait poétique et rationnel à la fois, avec des standards pour les personnes, des formes qui se recomposent pour reformer le réel ou le déplacer, un monde tout à fait dédié aux personnages. Agissez-vous en temps que Grand Architecte ou en temps que poète ? Lionel Borla est-il un utopiste ou manifeste-t-il par son art quelques vertus théologales comme l’Espérance ?

LB : Grande question que vous me posez là ! Comment en quelques lignes tenter de résumer ce qui peut me caractériser dans les sentiments profonds qui construisent une sensibilité donc une œuvre ? Je vais tâcher d’y répondre tout de même. Il y a dans l’acte de créer une idée générale de créer un monde, un monde singulier où un ensemble de signes graphiques (je parle pour la peinture), un vocabulaire personnel, propose une vision du monde. Une vision subjective et sensible qui fait naître alors un nouveau monde, un monde parmi les mondes. Dans ce dernier, l’artiste, avec toute la liberté qui est la sienne, peut - tel le Grand Architecte – concevoir et imaginer à sa guise, sans grande contrainte. Une œuvre est ainsi et avant tout une construction de l’esprit qui devient un pont entre des sensibilités. Une construction est donc une œuvre rationnelle mais ce cheminement intellectuel n’empêche nullement la poésie, bien au contraire. Je suis convaincu que les œuvres les plus poétiques sont bâties sur une trame invisible on ne peut plus rationnelle. Ces deux pôles, rationalité et poésie, sont donc nécessaires au globe-monde que je crée, pour son équilibre. Le lien entre rationalité et poésie, je le résume très souvent par le mot lyrisme. Ce mot qualifie à mon gout, parfaitement ce lien entre deux termes qui semblent s’opposer. Ainsi, je l’espère, le lyrisme qui accompagne mes œuvres, se veut être plus une consolation, un Paraclet, qu’une espérance. Camus a écrit « il faut imaginer Sisyphe heureux » n’est-ce-pas ? Je crois que l’être humain, dans son désir et besoin de création, tente de ré-enchanter le monde, de se consoler d’un état de faits peu propice à l’enchantement. L’artiste est certainement un individu pessimiste qui souhaite à tout prix entendre à nouveau le Chant.
Créer, d’une certaine manière pourrait se résumer ainsi : créer c’est à la fois être singulier en maniant l’universel et aussi être universel en maniant le singulier. Et peindre, ce serait peut être tenté de contempler l’invisible.
Créer, c’est proposer des œuvres qui sont le prolongement de la sensibilité d’un individu. Celles-ci sont des ponts qui relient des esprits en écho de sensibilité.

Acoustique florentine
MN : Vos tableaux ne comportent aucune perspective, tout paysage semble être muté en décor. La silhouette et la forme sont-elles une seule et même chose ? Pourquoi ce refus de la troisième dimension ?

LB : À travers les siècles, la vérité en peinture est apparue lorsque le peintre a magnifié la bi-dimensionnalité de l’espace du tableau. J’aime beaucoup une phrase de Nicolas de Staël, qui, à mon sens, résume bien la peinture : « la peinture est un mur mais tous les oiseaux du monde y volent librement ». Ainsi donc l’espace de la toile ou du papier est un plan mais dans celui-ci le vol le plus libre et le plus majestueux et ample d’un oiseau est possible. Les primitifs siennois, l’estampe japonaise, les gouaches découpées d’Henri Matisse, les oiseaux de Georges braque, pour ne citer que quelques exemples, montrent bien ce rapport au plan et non au volume suggéré, que doivent entretenir les signes peints, qu’ils soient abstraits ou figuratifs. Ainsi donc dans mes peintures je tente de construire cet espace propre à la peinture qui en est son essence. Une peinture est un plan narratif. L’aplat de couleurs est par exemple, l’un des outils pour construire cet espace-plan. Dans certaines de mes peintures, il y a une partie où la perspective apparaît mais elle est toujours associée aux aplats de couleurs pour construire cet espace particulier du monde de la peinture. Je ne bannis donc pas totalement la perspective.

MN : Les éléments de paysage ou d’intérieur semblent être composés comme des mots ou des phrases à partir de formes-types que vous réutilisez et recombinez sans cesse, vos personnages ressemblent parfois davantage à des idéogrammes qu’à des êtres photographiés. Quel lien faites-vous entre la peinture et la littérature ?

LB : Comme je l’ai dit, créer une œuvre graphique ou une peinture, c’est proposer un vocabulaire graphique singulier et personnel qui peut être communiqué universellement. Créer c’est composer. La peinture est donc une écriture et en cela, les signes sont autant de « mots » qui forment une idée, une phrase graphique en quelque sorte, communiquée au regardeur qui, par sa sensibilité, lira l’oeuvre. La peinture est ainsi, je le pense, le monde de la création le plus lié à la littérature. L’aspect narratif est dans l’essence-même de ces deux mondes des œuvres de l’esprit. Avec la musique, le monde de l’écrit, est la base de mon inspiration. Ce sont deux mondes sans images qui me permettent d’imaginer et de créer sans être influencé par d’autres images. Les mots et les sons sont le matériau premier de mon inspiration.

Près des trois arbres
MN : Il y a quelques années, j’avais qualifié votre peinture de peinture du dimanche, au sens où il me semblait voir un monde relié, un monde réconcilié. Et aujourd’hui, par votre série "voyage du pianiste", il me semble percevoir le retour d’une crise métaphysique, une sorte de romantisme poindre. Pourquoi ce glissement ?

LB : Je pense en effet qu’il y a quelques années, je pensais peut-être avoir trouvé – naïvement - par ma peinture les clefs du ré-enchantement dont je parlais plus haut. Les années passant, je crois que ce chemin pour retrouver le Chant, est un long chemin, peut-être même que l’existence est cela : retrouver le Chant. Une plus grande lucidité sur le monde et sur la condition de l’être humain, m’a été apportée par la lecture d’une partie des œuvres de l’écrivain marseillais André Suarès depuis que j’ai découvert ses écrits en 2006. Cet esprit immense, ce véritable génie oublié du tournant XIX-XXème siècles, nourrit mon questionnement et apporte souvent des réponses. Malgré ces réponses, il reste cette quête du Chant, pour être réconcilié, consolé. Avant d’atteindre cet absolu, le sentiment qui m’anime - et qui me semble être le sentiment le plus profond chez l’être humain – est la mélancolie.
Je définirais ce sentiment ainsi : État de souffrance existentielle. Ce sentiment naît d’un état de lucidité sur la beauté du monde confrontée à un désenchantement face à la nature humaine et sa condition tragique. La mélancolie est d’une certaine manière la lucidité de l’âme.
Vous écrivez le mot « glissement », cela est vrai. Dans mes peintures et œuvres graphiques, comme chez beaucoup de créateurs je pense, ces glissements construisent peu à peu un chemin de création pour atteindre l’absolu du Chant.

MN : Aurez-vous un jour terminé de peindre ? Ou plutôt quand aurez-vous terminé votre travail ? Et que ferez-vous alors ?

LB : Je ne peux bien sûr pas dire si un jour j’aurai terminé mon travail, si, d’une certaine manière, avec l’image, je n’aurai plus rien à dire, si je mettrai un point final à ce livre d’images. Ce que je sais désormais, c’est qu’il me serait possible, je pense, de me passer de l’image, c'est-à-dire de cette béquille visuelle pour communiquer des idées, et peut être écrire pour continuer à dire, à proposer une vision. Je ne sais pas quand cela arrivera, si cela arrivera. Le principal est de faire pour poursuivre le chemin, de ne pas s’arrêter en cours de route, peu importe le médium employé. Le pire, serait de rester muet !

MN : Quel regard portez-vous sur l’art contemporain depuis plusieurs années ? Sur l’écrasante domination de l’art conceptuel dont le sens n’est accessible que par l’intelligence et plus par la contemplation du beau ?

LB : J’éprouve un étrange sentiment face à ce que l’on qualifie d’art contemporain. L’esprit, donc les idées, me passionne. L’art contemporain en regorge, j’y trouve donc un grand intérêt. Le concept en est le maître mot. L’idée sans œuvre en serait même le point ultime. Ce qui est parfois déplaisant, c’est une forme d’élitisme qui clôt ce monde. Non pas un élitisme sensible, mais un élitisme de réseaux. Ce monde où l’art officiel est noyé sous des montagnes d’argent, où l’on parle continuellement de marché de l’art, manque cruellement de poésie à mes yeux. C’est un monde qui me parle nettement moins que l’art moderne. Je qualifie d’« art contemporain » les œuvres créées après 1965 (année de la mort de Le Corbusier qui me semble être un jalon, comme 1906, année de la mort de Cézanne en est un autre). Les œuvres appartenant à ce que l’on nomme « art moderne » (1907-1965) et ses prémices (tournant XIX-XXème siècles) me sont réellement en écho de sensibilité. Je pense que si j’étais né en 1874 et non pas en 1974, j’eus été pleinement de mon temps. Je me sens tellement plus proche de Debussy, de Suarès, de Laurens, De Kahnweiler, de Braque, de Gray, de Perriand, de Prouvé, de Derain, de Vallotton, et de tant d’autres appartenant à ce véritable âge d’or de la création où ces âmes et leurs œuvres allèrent aussi haut que durant la Renaissance. Beaucoup plus proche qu’envers bon nombre d’artistes contemporains où la ruse, les systèmes, les filons me semblent être trop présents. L’art aussi a peut-être perdu le Chant. Les questions de sens n’échappent pas au domaine de l’art, comme il atteint un grand nombre des activités humaines. Je me réfugie donc avec grand plaisir dans le monde de la création qui vit naître le néo-impressionnisme, le fauvisme, le cubisme, les Nabis, le mouvement moderne en architecture… Un temps où les notions d’harmonie, de sérénité, de poésie, de beauté construisaient les œuvres. Désormais, c’est le chaos et le vulgaire qui ont remplacé ces notions semble-t-il dépassées.
Je reste ainsi souvent en très bonne compagnie, en compagnie de « mes trois grands » : Suarès, Matisse et Debussy. J’entends alors, à nouveau, le Chant.

Lionel Borla, peintre d’un monde relié
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Sébastien Arcouet et Lionel Borla révèlent Marseille
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