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Marina Ho, la volonté de voir dans la nuit

Marina Ho, la volonté de voir dans la nuit

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Propos recueillis par Maximilien Friche

MN : Marina, votre peinture ressemble à un travail d’archéologue au sens où vous semblez révéler des visages, des êtres, comme certains ont découvert une relique. Votre peinture est-elle d’abord révélation ?

MH : Oui, il y a un travail réellement de révélation car j’essaie de poser une lumière dans l’obscurité. Et c’est cette lumière qui vient définir les formes. J’ai toujours aimé confronter l’obscurité et la lumière, cela donne un rendu d’apparition. Le contraste, toujours, produit cet effet, avec une très grande force. En fait, j’aime l’intimité. Ces visages qui sortent de l’obscurité apparaissent comme des âmes pour moi.

Cette façon de peindre correspond à un quelque chose de très personnel. Et le choix des matériaux joue beaucoup aussi. Le fusain est un matériau assez fugace avec une vraie profondeur dans les noirs et dans la peinture à l’huile, de la même façon, je pars toujours du sombre pour aller vers la lumière… J’aime beaucoup ce qui est révélé par la lumière.

MN : Effectivement vos peintures m’ont donné l’impression d’avoir été peintes à la lueur d’une bougie et nous-mêmes, qui regardons en plissant les yeux, avons l’impression de tenir par l’index comme une lampe qui vient éclairer ce qui était dans la nuit…

MH : En fait, j’ai beaucoup fait d’expositions privées avant et j’ai déjà exposé à la bougie, ce qui permettait d’avoir un œil plus incisif, cette attention que l’on n’a pas toujours dans les expositions. Il ne s’agit pas seulement de regarder mais d’observer pour comprendre les choses. On a ainsi plus d’attention que pour des tableaux vus en plein jour ou en lumière artificielle. Les contrastes donnent de la profondeur aux choses, révèlent leur texture, l’aspect rugueux… Et ma peinture traduit cette volonté de voir dans la nuit. Cela induit un regard discret et voyeur en même temps. On donne à celui qui regarde la toile un trou de serrure pour voir sur une scène. On lui donne un privilège. J’aimerais beaucoup créer cette ambiance dans une exposition à nouveau. J’aime cette intimité de la bougie.

MN : Marina, juste après avoir remarqué ce jeu de révélation par la lumière posée dans les ténèbres, j’ai aussi noté le mot : dignité. Il y a dans vos peintures un immense respect pour le visage ou la partie du corps peinte, extraite de l’ensemble par la lumière et qui nous attendrit immédiatement…

MH : J’ai une véritable inclination pour les choses à peine dévoilées. J’aime la pudeur et en même temps, je souhaite célébrer le corps. Ainsi je choisis certaines de ces parties pour ne pas tout montrer. Pour la féminité, j’ai voulu montrer le ventre sans montrer de sexe ou de poitrine, qui sont des choses plus évidentes et sexuées. Un bassin, un ventre sont des parties plus vraies, plus évocatrices de la féminité, de la fécondité. En art, on est libre, on peut montrer ce que l’on veut. C’est peut-être même le propre de l’artiste de choisir ce que l’on veut montrer, de choisir ce que l’on veut cacher. Et mon choix est guidé par la pudeur et la vérité d’une personne.

MN : J’ai envie d’évoquer maintenant le mot de tragédie. En observant les visages que vous avez peints, je vois des personnes qui vont vers la grande épreuve, je vois des êtres verticaux qui assument la dimension tragique de la vie.

MH : Dans l’œuvre de chaque artiste, il y a son vécu. Il y a toujours quelque chose de très personnel dans une peinture. Moi-même, je travaille beaucoup à partir de mes émotions. Les visages que je peins sont ceux de personnes relativement tourmentées entre une aspiration à une vie spirituelle et une réalité beaucoup plus terrestre. J’ai une véritable passion pour la condition humaine et j’aime quand les gens se sentent compris à travers une de mes œuvres. C’est ainsi que l’on se relie, que l’on se rejoint.

La mélancolie est un endroit dans lequel je me sens à peu près bien car c’est un endroit juste. Il se situe entre une vie que l’on a et une vie que l’on aimerait avoir. On n’est pas tous égaux dans ce rapport. Le vécu personnel compte évidemment beaucoup. Connaître l’exil, la guerre, les deuils, etc. modifie notre regard. Il y a ce que l’on a envie de garder, ce que l’on cherche à oublier. Cela devient indépendant de soi, je peux dire que je n’ai pas de contrôle sur tout ce que j’ai reçu. Il y a des choses qui ne m’appartiennent pas, dont j’ai hérité comme franco-vietnamienne, l’histoire de ma famille, j’en ai porté les valises. Au final, j’exprime ce qu’il y a dans mon cœur, dans mon âme.

Tous les artistes qui souhaitent immortaliser des choses expriment ce qui relève de l’intime et j’en fais partie. Dans tous mes personnages, il y a cette quête d’ailleurs, un désir d’éternité. C’est un combat de tous les jours. Oui, j’ai un goût pour la tragédie, pour la poésie, j’ai un rapport avec la mort assez particulier. Pour moi, la fonction de l’art est de rappeler cette dimension tragique. Pour moi, je ne conçois pas la beauté sans, à  la fois, la part de mélancolie et la part de lumière, pour moi elles vont de pair, c’est comme la vie et la mort, l’espoir et le désespoir…. Cela ne se dissocie pas. Je ne conçois pas une grande œuvre sans le contraste entre la lumière et l’obscurité. Ce qui crée l’harmonie, la beauté, c’est l’équilibre parfait dans ce contraste…

MN : J’ai lu vous concernant cette phrase : « Je suis devenue ce que j’étais. ». L’art est-il un chemin de conversion, un chemin de Damas ?

MH : Le domaine de l’art est celui de l’âme. Cela permet de réaliser des choses que l’on ne peut pas réaliser tous les jours parce que l’on est « terrestre ». Je ne conçois pas une vie sans art car cela permet de s’élever. Il y a effectivement une forme de spiritualité dans ma peinture. J’y réalise un travail de libération. Par exemple quand j’ai représenté les corps, j’ai cherché à les libérer des entraves de la société, des codes de beauté imposée. J’ai cherché à aller vers une vraie liberté, montrer les choses comme elles sont. J’aime une beauté plus réelle, plus juste. Ce qui est mon moteur, c’est chercher la beauté là où on ne la voit pas car non évidente. Il en est de même pour la sensualité. J’aime la vérité des choses. Je n’aime pas mentir. C’est en ça que mon travail peut être vu comme déstabilisant. La femme, par exemple, est ronde, plus en chair, elle n’est pas tyrannisée comme l’image que l’on nous montre sans arrêt. Je cherche à extraire la beauté non saisie par le monde, par la société, comme je cherche à extraire les corps de l’obscurité.

De la même façon, j’avais réalisé une série de natures mortes car j’ai une passion pour les objets abandonnés. Je trouve un charme fou à me promener dans les rues de Paris, à m’y perdre. Je trouve qu’il y a beaucoup d’amour par exemple dans une chaussure abandonnée. Le vécu rend les objets vivants en leur procurant une histoire. J’aime quand il y a de la texture, du vécu. C’est aussi le cas dans les portraits bien sûr.

MN : L’art est-il de l’ordre du combat pour vous ?

Oui bien sûr. Créer est un combat permanent pour être heureux, pour apprécier la vie. J’ai toujours été bouleversée par la mort depuis mon enfance. J’aime l’éternité. Je suis vraiment restée une enfant, il y a des choses que je n’accepte pas. Dans mon travail, il y a un désaccord, une volonté de reculer la mort, de la combattre. C’est une ambition complètement démesurée que cette volonté de se relier à ce qui ne se voit pas, de vouloir crier son désaccord à l’invisible. Toute création permet de repousser la mort, de conjurer l’inconstant. La joie de la création n’a pas de prix, elle met en suspens la mort. Avoir un enfant procède sans doute de la même logique. J’établis un lien entre le fait d’être mère et le fait de créer, tout ça est transmission, partage…

Plus d'informations : http://marinaho.com/actualites/


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