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Martine Bligny peintre de la parousie

Martine Bligny peintre de la parousie

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Mauvaise Nouvelle : Vous peignez exclusivement des visages, des figures devrais-je dire, et ces figures semblent venir de loin tout autant qu’elles nous sont familières, comme celles « des aimés que la Vie exila » comme dirait Verlaine. On a dû sans cesse vous poser la même question, mais tant pis puisque votre travail l’impose ! D’où viennent ces visages ? Ils semblent chercher à entrer en communication, mais avec qui ? Avec le peintre, avec nous ? Avec le monde contemporain ? Vous posez-vous comme leur interlocutrice ou comme une passeuse ?

Martine Bligny : Dans les années 80-90, je me suis donné comme sujet de peindre ces visages. Comme tout le monde, j’ai commencé par d’abord faire de l’art contemporain, des essais plastiques, etc. C’était, malgré tout, toujours assez figuratif car j’ai une formation aux beaux-arts de dessinateur et j’ai toujours beaucoup dessiné. Et comme je voulais peindre, j’ai voulu répondre à ces trois questions : Comment continuer à peindre ? Que peindre ? Et comment le peindre ? En effet, tout a déjà été peint par ceux qui nous ont précédés. Il me fallait hériter pour créer encore, m’inscrire dans l’histoire de l’art. La vraie motivation ne vient pas du mental mais du cœur. Une énergie d’amour préside toujours à la création. Je voulais témoigner des présences, des êtres chers, des disparus. Le premier motif est donc d’ordre émotionnel.

A cette période de recherche de ma peinture, j’étais en Italie et j’ai découvert toutes ces fresques, notamment à Pompéi, qui m’ont beaucoup marquée. Pour moi, le visage c’est le premier sujet de la peinture. Les visages viennent de l’histoire de la peinture. Chez les grecs, on réalisait un masque en plâtre du visage du défunt, masque qui était accroché après au mur pour se souvenir. Il y a des visages sur les sarcophages également. J’ai enfin été beaucoup marquée par les icônes. Il est important de noter que le visage est le lieu où sont implantés tous les sens, tout ce qui permet de communiquer avec le monde extérieur. Un visage est un lieu de communication, le lieu qui nous permet de nous relier. Par ailleurs, je considère la peinture comme un miroir, on y voit toujours un aspect de nous-même, on s’y reconnait. Et ces visages que je peins sont un aspect de nous-même. Tout ce qui nous semble séparé est en fait une partie de nous-même, ce qui nous manque. Nous sommes en quête de l’unité dans cette vie, sans plus d’extérieur ni d’intérieur. Celui qui regarde la peinture, se regarde lui-même, il se reconnait. Il voit quelque chose qu’il connait bien mais qui reste habituellement inaccessible. C’est le miracle de l’art de rendre cette part inaccessible. Il se révèle ainsi, ce qui permet de dépasser la confusion entre le personnage et l’être.

MN : Il y a un suaire sur ces visages, de la gaze, un filtre. Est-ce le filtre du passé ou la marque qu’ils ne peuvent être que brouillés avec notre modernité trop « conceptuelle » par rapport à la simplicité d’un visage ? N’y-a-t-il pas là l’expression d’un combat entre l’immuable et la matière, l’être et le personnage comme on vient de le dire ?

MB : Vous savez, toute forme est prise dans le cycle de la mort et de la renaissance. Ces visages sont aussi des formes, des supports qui subissent des morts et des renaissances. Ils arrivent dans notre modernité avec tous leurs aspects provisoires. Ils ont traversé le temps. Ces visages sont comme des véhicules, supports à l’esprit, pris dans la fragilité, dans le côté provisoire de nos trois dimensions. L’être s’accommode de ce support très fragile. Et je sentais que ces visages portaient toute leur vie en eux, ainsi qu’une part d’une époque et d’une civilisation. Ils apparaissent donc dans ma peinture avec une forme de sédimentation liée à l’histoire.

MN : J’ai envie d’un coup à vous entendre vous qualifier de peintre de la parousie. Les visages que vous convoquez pour nous n’ont-ils pas quelque chose de glorieux, transfigurés ?

MB : C’est exactement ça. Ils sont toujours jeunes, éternellement. Je me souvenais de cette phrase d’un peintre : « Je vous ai peint comme vous serez le jour de la résurrection. » L’être, la présence qui est derrière un visage, contribue à rendre la matière lumineuse, moins dense, moins lourde, moins séparée, plus vivante.

MN : Vos visages ne sont pas dessinés, ils sont comme découverts à chaque clin d’œil, ils sont comme en voie d’apparition, certains les croient en voie de disparition, ce n’est pas mon cas. Ils apparaissent comme issus d’un lavis, l’eau les révèle, on pense aussi à ces photos apparaissant dans leur bain de développement. Sans contour, les visages sont là sans que l’on y prenne garde. En ce sens, votre travail se rapproche de l’archéologue ou du sculpteur, est-ce de vous avoir dépouillée du dessin qui vous le permet ? Est-ce d’avoir transformé la matière en couleur et en lumière ?

MB : Quand j’étais en Italie et que j’ai contemplé les fresques, il y avait une forme d’incarnation de la peinture, chose pour laquelle j’étais en quête à l’inverse de tous mes contemporains. Et je cherchais une technique qui me permette de renouveler cette peinture que je voyais se déposer couche après couche. Faire avec la couleur et la surface car la peinture est une question de surface, d’étendue de couleur, la ligne conceptuelle du dessin est alors dépassée. En contemplant les fresques du XVème siècle, on constate que peindre des corps ou des visages est autre chose que le réalisme, l’éclairage doit faire vibrer la chair. C’est la première fois où la chair est mise dans la peinture. En travaillant avec l’ombre et la lumière qui tournent autour des corps, la chair vibre. C’est pour ça que j’ai trouvé des enduits pour reprendre l’idée du mur. Quand j’étalais la peinture, effectivement, c’était une forme de révélation, comme si le pinceau révélait ce qu’il y avait dans le mur. J’ai d’ailleurs trouvé dans un texte d’Heidegger la racine du mot technique qui veut dire : faire advenir la présence. La contradiction avec un XXème siècle où la technique est devenue technique de mort est tellement flagrante !

MN : Vos visages sont mélancoliques. Et passée la joie de les voir apparaître en notre temps, comme rescapés, nous vient immédiatement la peur de les perdre. Nous sommes comme « contaminés » par leur nostalgie. Leur regard lucide sur notre pauvre personne nous perce. D’où nous vient ce plaisir à souffrir, ce désir de rester à les regarder en nous abîmant ? D’où vient cette fascination pour votre poésie ?

MB : Ce plaisir à souffrir vient de l’histoire du deuil. Quand un être quitte son corps, on nous dit qu’il faut faire le deuil, c’est-à-dire reconnaître qu’on ne pourra plus jamais le voir tout en continuant à l’aimer. C’est ça cette souffrance que vous avez peut-être ressentie. Ce sentiment de perte irrémédiable qui est l’expérience la plus importante de la vie. Au moment de la perte d’un être cher, lorsque l’on verse des larmes, cela signifie que le ciel vient toucher la terre, que la présence vient toucher le corps. Et nous, nous sommes à la jonction. On est touché par le cœur, lieu où la matière et l’esprit se rejoignent. Le cœur permet de retrouver l’unité.

Pour aller plus loin : http://www.martine-bligny.odexpo.com/


Dans l’atelier de Boris Zaborov
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Arnaud Martin, peintre et poète de nuit
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MN rencontre le peintre Thomas Groslier
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