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Andrei Roublev ou les peintres et le pouvoir

Andrei Roublev ou les peintres et le pouvoir

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Il est des cinéastes qui font des films, il en est d’autres qui font du cinéma. Andrei Tarkovski est de ceux-là. Voilà 70 ans, il réalisait une grande fresque mystique au pays du matérialisme historique. Comment un financement d’état avait-il pu être accordé à cette entreprise coûteuse dont l’ambition ne pouvait échapper aux commanditaires ? Cela reste assez mystérieux.

Le film connu néanmoins un long purgatoire, sans doute à cause de son penchant mystique, de son amour affiché pour la sainte Russie de jadis et surtout à cause de l’éloge de l’indépendance du créateur. Terminé en 1967, il ne sortit qu’en 1969 au Festival de Cannes, et seulement en 1971 en projections publiques à Moscou.

Comme l’a exprimé Tarkovski, « nous avons inventé la vie d’Andrei Roublev, dans les limites historiques que nous avions. » Et de façon plus radicale encore, il a pu dire : « J’ai construit un Roublev mais j’en accepterai d’autres versions. »

Si quelques unes de ces œuvres sont conservées, peu de détails de sa vie sont parvenus jusqu’à nous. Tarkovski ne cherche pas à dresser une biographie édifiante de l’artiste, comme le cinéma s’est plus à le faire si souvent à propos des grandes figures de l’histoire russe.

En un prologue et huit parties, le cinéaste compose le tableau d’une Russie médiévale (XVème siècle) mise à sac par les invasions tartares, déchirée par toutes les formes de la barbarie et l’intolérance, qui patauge dans la boue, dans le sang et cherche à se relever au dessus de son marasme et du retour au paganisme.

Commettant un meurtre pour sauver une jeune fille d'un viol au cours d'un massacre collectif dans une église, Andrei Roublev renonce alors à son art et fait vœu de silence pendant dix années de pénitence.

La famine et la peste surviennent mais la Russie reconstruit néanmoins des églises. La construction miraculeuse d'une cloche gigantesque, dirigée par un adolescent,  lui redonne le courage de peindre. Devant ce décor apocalyptique, un peintre épris d’absolu, contestataire, refuse d’exécuter certaines commandes tant il est confiant en l’avenir de l’homme. Le film, comme la cloche ou comme l’icône de « La Trinité » de Roublev à propos de laquelle Eisenstein a parlé de « lyrisme plastique du “doux carillon” » peut ainsi être cette véritable « fête pour les gens ».

Tarkovski, qui pratiqua la peinture, se projette lui même dans ce portrait imaginé d’un maître d’autrefois. La séquence quasi finale en couleur filmée est une pure déflagration visuelle, dont les textures et les détails sont montrés dans leur magnificence et leur flamboyance. Ces détails (mieux visibles dans l’édition Blu-Ray HD) assemblent maints éléments appréhendés dans le film par touches, recomposant une mosaïque présentée dans sa fragmentation, visant à donner une impression de totalité, un « courant d’impressions » comme l’a énoncé Tarkovski.

Andrei Roublev contient une réflexion sur la foi, l'art, la science et la technologie, le pouvoir et la politique. Ces éléments sont montrés comme étroitement imbriqués. Tarkovski nous livre une méditation sur les rapports de l’artiste et du monde, sur l’aspiration exaltante de la liberté créatrice face aux exigences du pouvoir. Les dirigeants politiques russes sont soumis aux mêmes tourments que leurs sujets, le pouvoir dont ils disposent les rendant simplement inquiétants. Dans le chaos ambiant du XVème siècle existe néanmoins une conscience collective, celle d'appartenir à une même culture, russe… Ne reste plus qu'à bâtir des institutions politiques et sociales raisonnées pour organiser cette société russe.

Cela, il semble aujourd’hui que Vladimir Poutine  l’a bien intégré, tout comme son contemporain, le cinéaste Andreï Zviaguintsev, réalisateur de Léviathan en 2014.

 

Blu-ray  (Version 182 min): (pas de sous-titre français mais disponibles sur le net).

Cette version HD est de bien meilleur qualité que toutes les versions (y compris restaurées) disponibles en DVD
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DVD (version 182 min) :
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DvD (Version USA 205 min) :
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Sources :

  • « Le Siècles du cinéma » Vincent Pinel (Bordas) 1995
  • Entretien avec Andreï Tarkovski par Michel Ciment, Luda et Jean Schnitzer, Positif, n° 109, oct. 1969

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