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Brel : dire non !

Brel : dire non !

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J'ai envie de vivre ma vie, comme j'ai envie de la vivre.

Comme Alceste, Brel aimerait aimer ses semblables mais leur comportement moutonnier l'en empêche : "désolé bergère, j'aime pas les moutons". Dans le grondement de tambours, les moutons de Jacques Brel marchent - presque au pas - "d'étable en bureau", "broutent le béton" et "se retrouvent tondus" mais continuent de dire "oui". Au milieu de quelques critiques assez faciles, on relève une pique plus marquante quand Brel affirme "j'aime pas les troupeaux qui ne voient pas plus loin que leur coteau". Cette incapacité des masses à être rationnelles est cependant leur mal incurable, celui qui marque la condamnation perpétuelle de la société. Au cours du célèbre échange radiophonique avec Brassens et Ferré, lorsque la question anarchiste est abordée, Brel se révèle assez peu prolixe mais signale précisément cette vertu évidente de l'anarchie : celle d'accorder "une priorité à l'individu", lui qui toujours se retrouve seul dans les moments importants. Immédiatement ensuite, Léo Ferré précise alors "C’est une morale du refus… Car s’il n’y avait pas eu au long des millénaires quelques énergumènes pour dire non à certains moments, nous serions encore dans les arbres !". Par essence, la société aliène l'individu et l'empêche de dire non à l'inacceptable.

Parmi les tenants du "oui", se trouve en bonne place, quasi en première ligne, la femme. Face à elle, qui voudrait enfermer l'homme dans la vie du foyer, la misogynie affichée de Brel est avant tout une condamnation féroce d'un mode de vie qui écarte tout risque, qui choisit la sédentarité, qui refuse de vivre. Dans cette vie corsetée, "entre la barrière du grand-père Machin et le bois joli de Monsieur l'baron", Brel ne saurait s'épanouir. Don Quichotte des temps modernes, il préfère l'aventure au "quotidien qui nous bouffe l'énergie" ou aux élucubrations politiques qui traversent en permanence la société.

Au cœur de cette société du "oui", il y a bien sûr ceux, les plus nombreux, qui le font par facilité, par paresse, c'est-à-dire par bêtise : les bigotes refusent tout bonnement de vivre leur vie, les Flamandes abandonnent aux convenances le contrôle de leur existence, Zangra aux rêves illusoires de gloire militaire s'en remet au destin moqueur, même les jeunes bourgeois révoltés n'auront pas - malgré le mépris de leur propre classe - la force d'échapper au destin que la société leur a tracé… D'autres se pâment volontairement dans la vanité de la vie bourgeoise, ce sont bien sûr ces gens-là. Mais la comédie humaine n'est pas leur apanage et partout les pires hypocrites sont les premiers à crier "Vive le Roy !". À ces Belgiens, Brel oppose une hypothétique république qui, bien plus qu'un souhait véritable, sonne comme un nouveau "non" provocateur à l'ordre bourgeois. Parmi les mineurs oppressés et malgré sa compassion, Brel célèbre surtout les "quelques ceux qui refusaient de ramper jusqu'à la vieillesse", c'est-à-dire les travailleurs qui se rendent comptent que "[leur] usine n'est pas [leur] usine mais [leur] prison" ; ceux qui osent dire non.

Parce qu'il est un idéaliste, Brel a su, sa vie durant tenir sa propre morale et dire "non". Non à la vie bourgeoise tracée dès son enfance. Non à la facilité de la vie matrimoniale. Non à une vie artistique qui triche…


Lou Casa interprète Brel
Lou Casa interprète Brel
Ma vie avec Brel
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Comme un grand danseur fatigué
Comme un grand danseur fatigué

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