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Claudia Masciave, créatrice d’images

Claudia Masciave, créatrice d’images

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Propos recueillis par Maximilien Friche

MN : Claudia, vous êtes donc « créatrice d’image », du moins c’est ainsi que vous vous qualifiez. Photographie, extra-courts métrages… Votre travail se caractérise par un contraste criant entre une forme de légèreté revendiquée par le choix des couleurs, un certain humour, … et les questionnements d’ordre philosophique et métaphysique que vous suggérez. Ce choix de créatrice d’image est-il un moyen pour vous d’éviter le nom d’artiste, cherchez-vous à fuir des étiquettes ? J’avais rencontré Virginie Boutin qui, elle, se qualifie d’artiste essayiste, cette appellation vous irait-elle ? Cherchez-vous à être inclassable, unique ?

Claudia Masciave : Tout d'abord merci d'avoir noté ce contrepoint important pour comprendre mon travail, le léger et le profond, le haut et le bas de l'existence. Ce que je vais dire pourrait paraitre contradictoire, mais cela fait partie de ma "démarche artistique" de faire des recherches sur la signification de l'art, et pendant que son sens est encore trop flou pour moi, je préfère me nommer créatrice d'images, ce qui est plus évident à mes yeux. Le mot artiste, je le laisse en "Stand by", mais quand les spectateurs m'appellent ainsi ça me fait plaisir, j’avoue. Par rapport à être artiste-essayiste, je n'ai rien contre car je suis une chercheuse, je fais des expérimentations, j'essaie plusieurs mélanges pour créer du nouveau. Mais je ne connais pas le concept spécifique de Virginie Boutin. Je ne cherche pas spécialement à être inclassable, je pense qu’être unique est quelque chose de naturelle quand on est vraiment authentique, quand on écoute sa voix intérieure, quand on connait son histoire et qu'on se laisse porter par l'intuition. C'est une alchimie avec plusieurs éléments différents. En fait je cherche à m'exprimer, à interpeller, à sublimer mes complexes, à me connaitre moi-même et le monde. Je souhaite trouver un langage qui me soit propre, qui puisse toucher l'âme de n'importe quel être humain. Je plonge en moi pour parler de nous. 

MN : Ma deuxième question porte sur le rapport au temps. Vos films sont très courts, le rythme un peu saccadé à la manière de films super 8, est-ce une façon pour vous d’être efficace, percutante ? Est-ce pour correspondre à notre monde et pouvoir déposer rapidement une graine chez l’autre, presque à son insu ?

CM : Oui, il y a aussi un rapport avec le temps. Je suis une personne très agitée, je m'ennuie très facilement, donc j'essaie de trouver une manière de garder seulement l'essentiel dans mes images, même si je dois sacrifier quelques détails, c'est une forme de minimalisme. J'aime aller droit au but, les détours me dérangent, ils font naître en moi un vide angoissant. J’éprouve une urgence à communiquer, comme si je n'avais pas de temps à perdre. Notre passage sur Terre est éphémère, et j’aimerais arriver à exprimer une vision globale de la vie humaine et de l’univers dans lequel elle se déroule. Je vois mes films comme des sortes de petites bombes dans lesquelles je condense beaucoup de choses, comme mes souvenirs, mes références, des traits de notre époque, mes ressenties etc.

Le rythme de chaque film vient pour couper l'ennui et malgré leur courte durée, à la fin de chaque montage je sens que l'œuvre est achevée, que je ne pourrais plus rien changer. Ces films, je ne les fais pas pour correspondre au monde, mais d'abord pour moi-même, je les regarde mille fois avant et après les avoir publiés, c'est comme une obsession, un grand plaisir à mes sens.

MN : Une bande son, parfois de radio, accompagne vos films. Qu’est-ce qui est premier ? Ce morceau audio qui est fragment d’une leçon philosophique, ou le film poétique et ironique ? Comment s’établissent a priori les correspondances entre les images et le texte lu ?

CM : C’est comme un puzzle. Tout d’abord je crée les images, et dans un second temps je cherche intuitivement, dans la liste d’extraits audios que j’ai sélectionnés pendant mes études autodidactes, le texte qui me touche le plus. Et pour finir j’élabore un titre avec les mots qui m’ont interpelé le plus au cours de mes lectures précédentes. L’œuvre achevée est la fusion indivisible de ces trois éléments.

MN : Dans vos vidéos, il y a vous. Au centre, à droite, à gauche, en bas, en haut de l’écran. Vous vous mettez en scène, vous vous détournez vous-même, comme une matière à utiliser plus que pour vous mettre en lumière. En quoi sa propre personne est matière première de l’art ? En quoi est-elle matière première de toute question philosophique ?

CM : La matière de mon travail, c’est à la fois mon expérience personnelle/empirique, et des thèmes de réflexion qui m’interpellent, mais qui sont je crois universels. Ce qui m’intéresse, c’est la condition et la nature humaine, je suis une passionnée de philosophie et psychologie. De par ma curiosité personnelle, je fais des recherches sur diverses thématiques, telles que l’ennuie, le hasard, le langage, la liberté, le réel, l’angoisse, le désir, la folie, la mort etc.  Et c’est à partir de ces questions que je crée.

Je me suis intéressée à l’art quand j’ai commencé à faire de la photographie. Et là, j’ai peu à peu compris que mon rôle était aussi de montrer ce qui est, dans toute son étendue, dans sa complexité, et sous plusieurs perspectives, indépendamment de mes convictions personnelles. Mais cette démarche est difficile car je dois parfois faire abstraction de mes propres valeurs. C’est une expérience troublante, et ce trouble est aussi matière pour créer.

En même temps, ce travail me fait changer : je me transforme au fur et à mesure des découvertes que je fais. Les paradigmes glissent dans mon être.

Mais mon travail n’apporte pas des réponses : il est plutôt questions mises en image. Il est là pour nous interpeler et nous faire réfléchir sur la vie. Je serais heureuse si, grâce à mes créations, mes questions étaient partagées par d’autres.

MN : Il y a un contraste entre l’austérité des propos audio et le parti pris esthétique des vidéos. Les couleurs sont saturés, l’ambiance est pop, vous affichez votre jeunesse, vous faites « la folle », vous vous prêtez à rire, et les sujets évoqués semblent graves, et ce qu’il reste du montage vidéo est un questionnement trouble voire dérangeant… C’est dans le contraste que l’on parvient à mettre l’homme en question ?

CM : Oui, ce contraste est très important. La jeune femme rigolote, en robes colorées, prenant des poses parfois drôles, est le côté comique, alors que le texte, la bande-son, le montage, les expressions du visage sont le côté sérieux, voire tragique. Pour moi, on ne peut pas séparer ces choses. C’est une métaphore de la vie, de l’existence en soi. La vie est paradoxale : le beau s’imbrique avec la souffrance. Dans la même journée, on peut rencontrer la mort et la vie, comme on voit la pluie et le soleil. On ne peut pas séparer ces différents aspects de l’existence. Si l’on fait abstraction de l’un d’entre eux, alors c’est une forme d’extrémisme. Et je pense que la vie est une sorte de mélange d’extrêmes. Ce cocktail chaotique que j’éprouve en moi, j’essaye de le transmettre dans mes images.

MN : Concernant les questionnements justement que vous suggérez. Ces questions existentielles, métaphysiques… On a l’impression que vous cherchez à devenir la question la plus adaptée à une réponse qui nous est donnée de toujours… Il nous semble que vous souhaitez réintroduire le mystère dans le monde, l’ombre, pour mieux nous remettre en quête de la lumière qui provoque cette ombre…

CM : Avant la Renaissance, on cherchait le mystère dans l’au-delà. Mais par la suite, on s’est tourné vers le monde : le mystère est ici, parmi nous, il y a tellement de choses à découvrir ! Il y a encore tellement de questions qui n’ont pas de réponse. C’est cela que j’essaie de mettre en évidence dans mon travail. Moi-même, je suis intéressée par ces questions, et j’aimerais que nous tous, nous y réfléchissions.

MN : Vos vidéos sont remplies d’objets du quotidien, d’objets ordinaires, et vos mises en scène leur donne un aspect nouveau, presque magique, comme si on pouvait composer avec eux autre chose qu’un tube éculé, une nouvelle symphonie. Est-ce une leçon de créativité de que vous donnez à travers votre travail ? Une leçon de liberté ?

CM : J’aime jouer avec les objets du quotidien, avec mon environnement, pour les transformer. Dans mon imaginaire, ce ne sont plus des objets : ils deviennent des formes que j’utilise pour créer, sans toujours savoir à l’avance ce qu’ils vont servir à exprimer.

Je ne cherche pas à donner des leçons, mais je veux exprimer la créativité naturelle que j’expérimente en moi. La liberté, c’est celle que je veux avoir pour créer et celle que je veux laisser au spectateur pour réagir à mes créations. Après, c’est comme une conversation entre moi et les spectateurs. Grâce aux réseaux sociaux notamment, ils peuvent me dire ce qu’ils ont éprouvé devant une photo ou une vidéo, et j’apprends beaucoup de tout cela.


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