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David Atria élève son âme

David Atria élève son âme

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Propos recueillis par Maximilien Friche

MN : Notre premier échange que nous avions eu sur MN, avait placé immédiatement la vie intérieure comme question centrale. La question du rythme, question superflue peut-être, arrive aussitôt après celle du temps. Si je vous dis que votre musique évoque une certaine musique cyclique de Philipp Glass, ça ne doit pas vous surprendre d'ailleurs… J'ai le sentiment en écoutant votre musique qu'elle est comme épurée d'une rythmique qui voudrait automatiser le corps, le mécaniser comme celui d'un pantin. S'il y a danse dans votre musique, ce serait pour moi davantage celle de l'éveil du corps pour l'élévation de l'âme. Faut-il se dépouiller d'une certaine rythmique pour laisser la musique entrer en nous, faire corps avec elle ? Faut-il fondre le rythme dans la note pour conserver la possibilité d'une contemplation ?

David Atria : Alors ce rapport au rythme, dans la musique, est fondamental, évidemment. La liberté d'un corps vis-à-vis d'un rythme, ou au contraire son empêchement, en dit long sur la liberté intérieure de ce même corps, selon moi. Et chaque musicien cherche, consciemment ou non, son propre rythme au sein d'un tempo donné. Il faut sans cesse s'ajuster, par micro-mouvements.

La machine, le beat, le sample a robotisé ce geste, et je continue à m'interroger de savoir si c'est un mieux, spirituellement. J'utilise personnellement des rythmiques que je programme moi-même. Au final j'en utilise assez peu. Je les utilise quand je décide d'un effet recherché. Car oui, Maximilien, le rythme raconte une histoire et ce n'est pas forcément celle que j'ai le plus souvent envie de dire. Il faut faire des choix, constamment, en état de création. Obéir à sa nécessité intérieure. Mais aussi trouver un son qui s'ancre dans une époque donnée. Je crois cela important. On se remémore souvent une époque par les artistes et penseurs qui ont su trouver des formes adéquates pour dire ce qui doit se dire.

La mécanisation en cours est cruelle en ce sens qu'elle ôte à l'humain, pernicieusement, l'occasion de s'écouter, d'ajuster sa conscience à son pouls, à son tempo, à son propre rythme intérieur. Si j'étais cynique, j'écrirais que l'organisation de la société telle qu'elle est, serait impensable si les gens avaient le temps de se mettre à lire, questionner, penser. Qu'en dire ? Chacun est libre en conscience de refuser cette automatisation. Je ne me résous pas à penser que l'être humain soit à ce point un être grégaire et moutonnier. Il y a des forces vives partout. Sans doute faut-il que les choses s'aggravent encore davantage pour que l'on décide de rééquilibrer un tant soit peu ce monde désaxé et qui s'auto-détruit à vitesse grand V. Passons, je suis musicien.

L'élévation de l'âme ? Vous seriez surpris du nombre de gens que je croise qui disent fièrement ne pas avoir d'âme… Moi, à 20 vingts ans, j'ai pu dire à un ami, à la fin d'un repas partagé : « j'ai l'âme sensible aujourd'hui » - ce qui avait suspendu le temps, puis nous avait fait beaucoup rire… Je continue de lui prêter attention, à mon âme.

Soyons plus précis : l'âme est ce dynamisme intérieur de l'être. Ce qu'on se raconte sur soi-même, notre identité, masque souvent cette dimension de l'être. J'ai décidé, très jeune, d'avoir une trajectoire singulière. Alors ma musique – qui est majoritairement non-enregistrée, n'est qu'un chant de l'âme, oui. Je ne connais pas d'autre manière d'exister.

Vous me parlez de Philip Glass, Maximilien, et bien sûr j'aime sa musique passionnément. On ne mesure pas encore tout ce qu'on lui doit… J'écoute et vis surtout avec ses œuvres créées dans les années 80 et 90 ; mais il y a aussi des pièces majeures dans son répertoire récent. C'est un guide, comme Reich, Pärt et quelques autres.

J'aime votre expression « fondre le rythme dans la note». La tradition dite classique n'utilise qu'assez peu la rythmique envahissante, la batterie, la percussion qui joue non-stop, au fond. Après l'ère industrielle, et plongés dans l'ère technologique, avons-nous eu besoin de ces rythmiques sur-puissantes, sur-présentes pour nous envoler et quitter un instant cette gravité qui ronge ? (Je n'ai jamais pu goûter ces rythmiques techno, house, etc. qui sont de ma génération, cela me semblait sec et vide.) Encore aujourd'hui, moi qui travaille souvent au café, je sais choisir les endroits où je peux respirer.

La vérité est que nous n'avons pas tous un système nerveux à l'identique. La transe n'est pas l'extase (Mircea Eliade dirait l'enstase), et j'ai beaucoup écrit là-dessus dans mon livre. La transe est un cheminement singulier, et les drogues aident à altérer la conscience. L'enstase est un autre voyage, plus doux, plus à l'écoute du corps, plus respectueux probablement. Je n'ai pas besoin d'empoisonner mon corps pour atteindre quand je le souhaite à des états modifiés de conscience, Maximilien. Chacun est libre, encore une fois, au sein même de tous nos déterminismes – j'espère.

J'admire la patience de la voie longue, humide et féconde. Les voies d'épuisement du véhicule – que j'ai expérimentées plus jeune, ne m'ont jamais vraiment mobilisé. Quant à la contemplation… il s'agit plus d'une aptitude personnelle, d'un goût exquis, qu'une forme artistique quelconque donnée une fois pour toutes. Ce serait trop simple.

 

 

MN : Nous avons parlé de votre rapport au temps ou plus exactement votre façon de vous en extraire, nous avons également parlé de rythme ou plus exactement de son absence ou sa fusion dans la note, j'en viens maintenant à ce sentiment d'équilibre précaire que nous ressentons à l'écoute de votre musique. Le caractère continue des cordes nous maintient en pression, en éveil, comme au bord de nous-mêmes, muet et bouche ouverte sur le son qui nous est extérieur et qui nous est proposé, objet de désir mais non de possession. Les instruments ne s'individualisent pas vraiment, ils font corps entre eux. Quelle est la forme du dialogue à l'intérieur de votre musique comme avec l'extérieur ? Quelle est le contenu de ce dialogue à l'intérieur de votre musique comme avec l'extérieur ?

David Atria : Cet « équilibre précaire » que vous entendez dans ma musique, je n'y avais jamais songé, sonne comme un compliment à mes oreilles. Car il m'arrive de vouloir dire parfois, à l'aide des sons, cette vulnérabilité qui nous habite chacun. Suffit de passer une nuit d'insomnie pour savoir de quoi je parle. Là, dans le crâne, se met à tournoyer, à vibrionner les mille-et-uns éclairs de nos pensées anxieuses et souvent courageuses. Le silence parle à demi-mots et nos rêves sont des éclaireurs patients.

Les instruments ne s'individualisent pas, ou rarement, dans ma musique, car ils se cherchent et se trouvent en une polyphonie triste et simultanément joyeuse, vous avez raison. Mon dialogue avec l'extérieur est réduit au minimum, Maximilien, volontairement. Je cherche à cultiver une approche de la musique qui puisse plonger dans le temps (et se laisser influencer) tout en étant, sur le plan rythmique, mélodique, harmonique et technique, une musique de 2016.

 

Il y a des formes convenues, parfois très séduisantes, des recettes qui fonctionnent, des rythmes à la mode, etc. « La mode est ce qui rend laid ce qui est beau ; l'art est ce qui rend beau ce qui est laid », disait un poète. Ce qui compte est de tracer un chemin, de trouver un itinéraire singulier. D'écouter sa voix intérieure.

 

Pour aller plus loin : http://www.davidatria.com/

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