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Todo Modo, une féroce fable politique…

Todo Modo, une féroce fable politique…

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Todo Modo, une féroce fable politique contre la Démocratie chrétienne, en pleine période d’épidémie

Dans la dernière partie de ma vie, j’ai fait des films déplaisants. Mais oui des films déplaisants dans une société qui en fait ne demande que des choses agréables pour tout, aussi bien si l’engagement est agréable et ne dérange personne on l’accepte. Sinon non. Au contraire mes films outrepassent le désagréable. Dans Todo Modo, c’est décidemment très déplaisant, et très pessimiste. J’ai choisi de tourner Todo Modo pour la scène du Rosaire.

Elio Petri

d’après le livre “L’avventurosa storia del cinema italiano”

En 1975, le cinéaste engagé Elio Petri adapte un bref roman assez obscur de Leonardo Scascia, intitulé « Todo Modo » paru un an plus tôt. (1)

Son film est diffusé en 1976 sur les écrans italiens. Celui-ci reçoit un accueil assez mitigé de la part de la critique italienne, mais est un succès dans les salles puisqu'il enregistre des recettes équivalentes à un million et demi d'euros. Ce résultat le place au 9e rang des films politiques des années 1970. Pourquoi cet accueil mitigé de la critique ? Principalement à cause de la fin du film : on y voit Aldo Moro, grande figure de la Démocratie chrétienne (DC) de ces années-là et interprété par l'acteur Gian Maria Volontè, sortir d'un bunker souterrain qui a abrité les personnalités de la DC, pendant que le pays était en proie à une épidémie généralisée. (2)

Ce film est sans aucun doute le plus pasolinien du talentueux cinéaste déjà récompensé quatre plus tôt par la Palme d’Or pour La classe ouvrière va au paradis (1971).

Elio Pétri s’impose au fil des ans et de ses réalisations comme l'un des « analystes les plus lucides et les plus désespérés de la schizophrénie contemporaine. » selon l'historien du cinéma Jean A. Gili.

Développant ces thématiques qui lui sont chères, il nous plonge là, pour ce long-métrage de plus de deux heures, dans un univers très particulier, et somme toute, très pasolinien.

Synopsis : En pleine période d’épidémie (cela ne s’invente pas …), dans un hôtel souterrain peuplé de statues baroques et religieuses nommé ermitage de Zafer, de nombreux responsables politiques et économiques se retrouvent pour une retraite spirituelle de Saint-Ignace. Mais de mystérieux meurtres commencent à être commis…

L’ermitage est créé et géré par un certain Don Gaetano, un prêtre érudit, personnage on ne peu plus inquiétant.

Politiciens, hommes d'Eglise, financiers, industriels, qui sont-ils vraiment ?

Se tisse alors une toile de plus en plus serrée tandis que se succèdent les jeux d'alliances faites et défaites et autres intrigues sordides. Sous couvert d'exercices spirituels ignaciens, de bien étranges complots se trament en fait. Puis un premier meurtre est commis. Et un deuxième, aussi inexplicable et gratuit que le premier. Un troisième meurtre enfin, celui de Don Gaetano.

Todo Modo, un pamphlet contre la "Démocratie chrétienne"

Todo Modo est un véritable jeu de massacre, une fable politique féroce, un pamphlet contre la "Démocratie chrétienne" avec ses jeux d'appareil, son affairisme mafieux et son hypocrisie morale. Sous l'oeil inquisiteur de caméras disposées un peu partout dans l’ermitage sous-terrain mi hôtel mi ermitage, les hiérarques des différents partis évoluent dans des décors entre catacombes et modernité, tout en se prêtant aux fameux exercices spirituels.

Tout y passe : manigances et machinations, fausses pistes et chausse-trapes, obsessions sexuelles. On songe inévitablement par moments aux films de Pasolini. Le cinéaste, très critique, réalise un film très à charge, dans la veine du film cubain La Dernière cène (La última cena) de Tomás Gutiérrez Alea sorti la même année 1976 (3).

Todo Modo, un huis clos exigeant

Todo Modo, huis clos exigeant de par la farouche démonstration textuelle qui le porte et des dialogues relevés, met à nue les institutions italiennes, dénonce viscéralement les politiques qui se goinfrent sur le dos des pauvres bougres qui les ont placés sur un trône qu’ils considèrent inamovible.

Sous couvert d’une grande farce à grande échelle, le cinéaste italien s’attribue la fonction de juge radical. Il dénonce magistralement toutes les institutions qu’il juge manipulatrices ; non seulement politiques mais aussi ecclésiastiques. L’Eglise est ici directement et habilement attaquée non pas dans son corps mystique mais comme institution où pullulent certains de ses membres « gangrénés ». Les prêtres et prélats, opportunistes mal intentionnés, se livrent à toute les compromissions possibles, sans condition, et ce, afin d’asseoir une puissance qu’ils développent dans l’ombre aux côtés de pantins et fantoches de pouvoir pour le compte du Vatican.

Quant la réalité imitera l’art ou celle-ci serra rattrapée par la fiction

Todo Modo s’inscrit dans l’œuvre dénonciatrice de son auteur, directement inspirée par le contexte social et politique particulier des années de plomb. En 1978, éclate l’affaire Aldo Moro, dirigeant de la Démocratie Chrétienne séquestré par les Brigades Rouges qui, au bout de deux mois de vaines tentatives pour négocier avec la Démocratie Chrétienne, finiront par l’assassiner. Le corps fut découvert dans le coffre d’une voiture. Même si les Brigades Rouges sont les auteurs matériels du meurtre, les responsabilités morales sont à chercher sans doute plus haut (4).

Dans cet espace clos, sont apparus les rouages, les collusions, les intérêts, les non-dits et l'idéologie du parti. À sa sortie, Aldo Moro, comme tous les membres de la DC présents, est exécuté. Elio Petri représente ainsi cinématographiquement la mort d'Aldo Moro, deux ans avant son assassinat réel par les Brigades rouges le 9 mai 1978.

Par sa violence et surtout son argumentaire, ce film est révélateur du cinéma engagé dans les luttes politiques et sociales qui secouent l'Italie à partir de 1968 jusqu'à la première moitié des années 1980. Toutefois, il est évident qu'Elio Petri y adopte une posture radicale qui ne sera pas celle de tous les cinéastes.

Todo Modo est une œuvre audacieuse et très engagée qui n’épargne personne, bien plus méconnue en France que le film « Les Cadavres exquis » (5) de Francesco Rosi dont le sujet est assez proche (film également de 1976 et adapté d’un roman du même Leonardo Scascia).

Revoir ce rare long-métrage en version restaurée nous est désormais possible grâce à une belle édition dvd parue en 2014 (6). A (re)découvrir d’urgence en ces temps de confinement. Rappelons que ce thriller satyrique comporte un beau casting :

Comme pour ses films précédents À chacun son dû (A ciascuno il suo - 1967), Un coin tranquille à la campagne (Un tranquillo posto di campagna 1969) , Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto - 1970), La propriété, c'est plus le vol (La proprietà non è più un furto - 1973), Elio Petri a fait appel à Luigi Kuveiller comme directeur de la photographie. La composition musicale est, elle, signée par le grand Ennio Morricone.

  • Première parution en France en 1976- de l'italien par François-René Daillie- Traduction revue et corrigée par Mario Fusco en 2014-Edtion Denoelnoel.fr/Catalogue/DENOEL/Denoel-d-ailleurs/Todo-modo
  • Les années de plomb au cinéma de Gino Nocera Dans L’Italie des années de plomb (2010), pages 262 à 273
  • La Dernière cène (La última cena) de Tomás Gutiérrez Alea sorti la même année1976)

Edition dvd ici : https://www.amazon.fr/Ultima-Cena-Hombre-Maisinicu-espagnol/dp/B005PNBFCY/

Cette édition dvd ne comprend pas les sous-titres en français mais ces derniers sont disponibles sur la toile: https://www.sous-titres.eu/films/la_ultima_cena.html

  • Qui avait intérêt à la mort d’Aldo Moro ? Sciascia, l’auteur du roman éponyme dont est tiré le film, là encore, s’est chargé de l’analyse du contexte, dans son livre L’Affaire Moro: celui-ci représentait l’aile gauche de la Démocratie Chrétienne, favorable, face à la crise économique et politique, au "compromis historique", c’est-à -dire une alliance avec le PCI. Sa mort libérait la DC (et la CIA) de cette éventualité ; on comprend donc son refus de négocier avec les Brigades Rouges.
  • « Les Cadavres exquis » (Cadaveri eccellenti) film sorti la même année 1976, celui-ci beaucoup plus facilement visible que Todo Modo https://www.amazon.fr/Cadavres-exquis-italien-Lino-Ventura/dp/B07KZ529CL/

Cette édition dvd (studio CG ENTERTAINMENT SRL) ne comprend pas les sous-titres en français mais ces derniers sont disponibles sur la toile : http://victoire.b.free.fr/VO.ST.FR./index.php?director=Elio%20Petri

Pour les anglophones le film en VOST-Anglais est consultable en 3 parties sur You tube :


Le Sud, lieu mythique puis de désenchantement de Victor Erice
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Jorge Luis Borges à l’écran argentin
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La Fille de Ryan, une épopée d'humanité souffrante
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