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De l'intention

De l'intention

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On n’a jamais autant parlé de l’intention qu’aujourd’hui dans la sphère publique. Dans la foulée des attentats terroristes et de l’état d’urgence qu’ils ont entrainé, certains politiciens voudraient que la police intervienne et arrête des individus suspectés de radicalisation avant qu’ils ne passent à l’acte. Cette exigence sécuritaire n’est pas sans rappeler la vision anticipatrice de Philip K. Dick dans « Minority report » - porté à l’écran par Steven Spielberg. Elle se heurte cependant au droit français qui, dans sa sagesse, ne juge que des faits et pas des intentions. Cela veut-il dire que l’intention est à jamais indétectable et que les mesures de prévention vis-à-vis d’elle sont aléatoires et inefficaces ? Peut-être pas. Mais qu’est-ce, au juste, qu’une intention ? 

L’intention s’inscrit dans un processus de détermination de l’action. Exactement, elle est le premier maillon dans cette chaîne mentale qui aboutira peut-être à des conséquences irréversibles. En cela elle est antérieure à la délibération qui caractérise toute volonté bonne selon Aristote. Et qui pourrait bien, à l’examen, lui être fatale, c'est-à-dire faire de l’intention « un désir demeuré désir », selon le mot de René Char (qui définissait ainsi le poème). Dans cette perspective, l’intention relève donc d’une forme de puissance – ou de latence – dont l’actualisation reste toujours incertaine, parce que soumise à des conditions préalables. 

Mais si on ne peut pas voir ce qui se passe dans les cerveaux, il n’en reste pas moins que la pensée se secrète à travers les émotions, qu’elle sème des indices dans cette partie – infime – du réel qu’on dit visible. Wittgenstein, avec raison, pouvait dire que les pensées se laissent lire sur les visages. A son regard ou son sourire, je peux deviner ce que me veut la personne qui est en face de moi et me préparer intérieurement à une réaction circonstancielle. Cette perception des intentions d’autrui repose sur l’intuition et ne peut être tenue pour universellement valable. Car les codes expressifs peuvent varier d’un groupe humain à un autre. En outre, il faut prendre en compte le facteur feinte qui fait que mon interlocuteur peut cacher sa véritable intention par le signe d’un sentiment contraire (c’est ainsi qu’on peut parler d’un sourire meurtrier). Tant par les mimiques que par les mots, l’être humain est un animal particulièrement doué pour la dissimulation. Enfin, c’est seulement dans l’instant, ici et maintenant, que cette grille de lecture peut s’avérer pertinente. Elle ne peut en rien présumer de l’état d’esprit d’une personne dans quelques heures, quelques jours ou davantage. 

Au final, on se retrouve avec un ensemble de signes qu’il s’agit d’interpréter avec une marge importante d’incertitude. Car l’intention fait partie de ces objets psychiques qui ne se laissent pas clairement appréhender. Avec l’intention, on est dans le règne de la déduction. Celui, plus scientifique, de l’induction ne suivra que s’il y a des preuves concrètes.


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