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Et les Charlie trouvèrent leur bouc émissaire

Et les Charlie trouvèrent leur bouc émissaire

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Heureusement qu’on a eu le père Hervé Benoît, car le bon peuple, toujours prompt à donner dans le lynchage en place publique, se trouvait un peu dépourvu quand le djihadiste, dans l’explosion de sa ceinture d’explosifs, mourut. On a beau avoir de bons sentiments, être pétri de bienveillance, être empli de solidarité, l’émotion qui nous submerge nous fait désirer le bouc émissaire. Et heureusement, on a le père Hervé Benoît de Lyon ! On peut se ruer sur lui pour laisser passer sa colère et son sentiment d’injustice devant la mort qui promène son cimeterre et sa kalachnikov dans nos lieux hautement civilisés.

Un texte plus dangereux qu’une kalachnikov ?

Quel est donc le bon prétexte de ce peuple pour donner dans le lynchage et obtenir une bonne conscience, sorte d’indulgence de nos temps politiquement corrects ? Le père Hervé Benoît a rédigé un texte fameux pour le site Riposte catholique, Les Aigles (déplumés) de la mort aiment le diable !, dans lequel il livre une analyse mystique et sociologique des attentats parisiens. Analyse qui décrit deux formes de postmodernité entrant en dialogue, si on peut dire, dans la tragédie elle-même. D’un côté, la postmodernité occidentale que nous connaissons bien, jouissant de se faire peur à consommer du diable, tout en cultivant une bonne conscience avec « des valeurs chrétiennes devenues folles », et de l’autre côté les barbus fétichistes jouissant de distribuer la mort en amalgamant l’humanité entière dans leur haine. Voilà bien « Le drame de l’humanisme athée, qui aime le diable, la mort, la violence, et qui le dit… et qui en meurt ! » Le père Benoît en profite pour prolonger son propos et décrire avec quel pathétisme ce groupe de rock ne parvient pas à sortir du pur produit qu’il est, même pour pleurer et montrer l’incapacité de cette société hédoniste à comprendre ce qu’est le mal, comment agit le diable.

Cherchons l’erreur

Le père Hervé Benoît a sans doute commis des erreurs, il le faut bien. Et concédons-le à ceux qui furent légitimement blessés par son texte et à la foule qui se piqua d’indignation à la suite. Ses erreurs sont de trois ordres. La première erreur vient sans doute d’un manque de délicatesse. Le texte publié sur Riposte catholique relève de l’outrance. Et même si nous sommes conscients que la vérité ne peut se révéler que de manière difractée par le prisme de l’outrance, on ne peut pas nier que les formulations en question sont choisies pour blesser et en conséquence regretter l’intention qui consiste à blesser.

La deuxième erreur procède directement de la première mais s’exprime sur un plan plus religieux. On peut discerner dans le texte une sorte de manque de charité. On croit en effet, lire entre les lignes : faut pas venir vous plaindre, vous l’avez bien cherché… Attitude contraire à celle prescrite par la charité. Quand quelqu’un reçoit le coup de grâce, inutile de donner la gifle salvatrice à celui qui n’est plus que cadavre, à celui qui n’est plus que larmes. Impossible également de se réjouir, même d’une satisfaction intellectuelle, de la réalisation de ce qui est prévisible survienne.

La troisième erreur enfin que nous concédons à détecter relève du mal porté à l’Eglise et du rôle public qu’a le prêtre. On trouve dans cette catégorie ce qui relève bien sûr du devoir de réserve du prêtre, je préfèrerais néanmoins le devoir d’imitation de Jésus Christ. Sans doute fallait-il que le texte soit écrit, car il faut que la vérité jaillisse via l’outrance et nous savons cette dernière scandaleuse. Mais sans doute eut-il fallu que ce texte ne soit pas écrit et revendiqué par un prêtre. L’expression sacerdotale ne s’accorde pas toujours avec une sorte d’annonce de la mauvaise nouvelle, quand bien même cette dernière est salvifique.

Et Libé, La Croix et les autres crièrent : crucifie-le !

Voilà, c’est fait. Nous avons concédé à trouver des fautes dans la publication du texte du père Benoît. Nous pouvons donc désormais nous tourner vers les courageux accusateurs sûrs de leur bon droit, fiers de leurs bons sentiments et assoiffés de justice. Ils caricaturent le texte ne citant qu’une phrase et hurlant que le père Benoît a dit que les victimes étaient comme les bourreaux. S’ils avaient pris soin de lire, ils auraient retrouvé dans le texte du père ce qu’ils avaient encensé quelques jours plus tôt sous la plume des prêtres qu’ils se prennent comme idoles : l’abbé Grosjean ou le Cardinal Sarah. Les deux dénonçant la déchristianisation de la France et le cardinal allant même, comme le souligne Riposte catholique, jusqu’à dénoncer une même origine démoniaque de ces deux mouvements « (presque comme deux "bêtes de l’apocalypse") située sur des pôles opposés : d’une part, l’idolâtrie de la liberté occidentale ; de l’autre, le fondamentalisme islamique. » (cardinal Robert Sarah au dernier synode des évêques).

Mais le catho ne fut pas le seul à s’indigner des propos du père Benoît. Le non catho, depuis qu’il « pray for Paris », s’est senti concerné par cette affaire d’Eglise. Libé rejoint ainsi La Croix pour exiger des sanctions exemplaires. Libé admettrait-elle donc qu’un prêtre ne soit pas un citoyen comme les autres ? Une pétition, lancée il y a quelques jours sur le site Change.org pour demander la destitution du prêtre, avaient recueilli 41 742 signatures vendredi dernier. Bref, tout le monde demande une sanction exemplaire. On croirait entendre : crucifie-le, crucifie-le ! Le suspens était là : Monseigneur Barbarin leur livrera-t-il ? Et dire que le père Benoît avait pressenti le sacrifice qui l’attendait puisqu’il indiquait à la fin de son texte avec un certain cynisme : « Les formulaires de dénonciations à quelque autorité qu’on voudra sont à la disposition du public. » Ce pressentiment ne l’a pas dissuadé d’obéir au petit diable qui lui dictait de publier son texte. Et Monseigneur Barbarin a satisfait la foule qui voulait son bouc émissaire pour pouvoir faire tranquillement son deuil des attentats et retourner un jour écouter un groupe amoureux de Satan au Bataclan : « À la suite de la publication d’une tribune signée par le Père Hervé Benoît, et après avoir pris le temps de le rencontrer et de l’écouter, j’ai décidé, en accord avec son évêque Mgr Armand Maillard, de le relever de ses différentes charges pastorales dans le diocèse de Lyon. Je demande au P. Benoît de se retirer immédiatement dans une abbaye pour prendre un temps de prière et de réflexion. »

Au regard de la conscience qu’il avait d’être lynché, on peut même aller jusqu’à penser que son écrit fut l’expression d’un désir de se sacrifier pour la vérité. Un point de vue flatteur pour tous ceux qui font de la foi une façon de militer idéologiquement, j’en conviens. Mais, la vérité, la seule, celle qui crie dans son texte Les Aigles (déplumés) de la mort aiment le diable !, c’est celle discrètement soulignée : l’avortement fait 600 morts par jour en France. La France est baignée dans une culture de mort. Et cette vérité là, rappelée, est Blasphème vis-à-vis du vivre ensemble comme dirait Henri Quantin. Notre quotidien, c’est la mort des plus faibles d’entre nous, les enfants à naître. La mission de ce prêtre était de nous dire que tant que nous ne sortons pas de cette civilisation de la mort, nous n’aurons point de salut. Il l’a écrit.


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