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Le complexe politico-médiatique sur la défensive

Le complexe politico-médiatique sur la défensive

Par  

« Il serait honteux de se taire et de laisser parler Isocrate[1]»
Aristote, ouvrant son premier cours à l’Académie.

« Dès lors que le système capitaliste a définitivement acquis la forme d’un fait social total, il devient pratiquement impossible de se soustraire à son emprise idéologique sans avoir aussi à mettre en œuvre une réflexion critique sur l’ensemble des questions morales et culturelles. Le problème (…) est d’apprendre à discerner - dans l’agencement juridique concret sous lequel chaque nouvelle réforme « sociétale » est à présent imposée au peuple - les multiples points d’entrée de l’idéologie dominante, donc le mécanisme qui conduira inexorablement, dans les faits, à renforcer encore un peu plus l’invasion de nos vies quotidiennes par la logique marchande. »
Jean-Claude Michéa, Notre ennemi, le capital. (Climats, 2017, p. 127)

 

Le Ministère de la Vérité

Lors de ses vœux à la presse du 3 janvier 2018, l’actuel locataire de l’Elysée, celui qui propose comme idéal aux jeunes français de « devenir milliardaires », a mis en garde l’ordre établi contre le phénomène des « fake news ». Celui-là même qui avouait que sa formation professionnelle initiale consistait à séduire pour tromper[2], a ainsi affirmé : « Toutes les paroles ne se valent pas »…

Face aux nouveaux réflexes des jeunes qui ont bien compris l’immense manipulation médiatique des canaux mainstream, Macron parle à ses complices : « C’est vous, journalistes, qui êtes les premiers menacés par cette propagande. Elle adopte votre ton […] votre vocabulaire. Parfois même, elle recrute parmi vous », a-t-il regretté ajoutant que la concurrence alternative était « parfois même financée par certaines démocraties illibérales ». Les agents médiatiques sous contrôle restent par contre des « tiers de confiance ».

Macron va même jusqu’à parler de « vérité », et de « liberté d’expression », mais c’était pour annoncer la volonté de l’État d’intervenir et de contrôler la façon dont les informations sont partagées, pour sauvegarder, non pas le bien commun, mais la « vitalité démocratique ».

Des associations de mots sont lancées : « Entre complotisme et populisme, le combat est en effet commun ». L’ancien « managing director » de la banque Rothschild, qui reconnaissait que « le métier de banquier d’affaires n’est pas très intellectuel. Le mimétisme du milieu sert de guide[3]», s’attaque aux « fake news » : autrement dit, parmi les authentiques fausses nouvelles, celles qui démasquent les Tartuffes dont il est le « manager ». Quand on parle au nom de la vérité et de la démocratie, l’auditoire ne peut qu’écouter. Mais quelle « science politique[4] » Richard Descoings lui a-t-il enseigné lors de son passage à « Sciences-Po » ?

Rappels : Machiavel, Le Prince (1532)

Pour s'élever dans le pouvoir, le Prince devra être "un homme habile ou bien secondé par la fortune" (le hasard). Il se maintiendra au pouvoir par sa « virtù » : énergie à la fois brutale et calculatrice étrangère à toute décence commune issue de la loi morale naturelle. Virtù n'est évidemment plus la vertu des authentiques êtres humains mais la ruse des animaux.

Son souci majeur n’est bien entendu pas le bien commun mais de défendre et d’étendre son influence politique par tous les moyens (criminels si nécessaire). « Il est plus sûr d'être craint que d'être aimé. »

Autre souci fondamental pour le politique post-moderne : sa réputation, son image. Il s’agira donc de jouer avec l'opinion publique. Machiavel propose ainsi une technique de manipulation des représentations du peuple qu'il sait malléable, sensible à l'autorité, facile à abuser. Un des premiers devoirs du Prince : l'hypocrisie.

La politique des disciples de Machiavel sera donc ce dosage subtil de brutalité et de dissimulation, selon les circonstances : « ce que l'on considère, c'est le résultat ». Pour conserver sa vie et son œuvre politique : « tous les moyens qu'il aura pris seront jugés honorables ». On voit ici poindre cet argument-clé des dictatures étatiques modernes : la « raison d'état ».

La vie politique est définie par le jeu des volontés de puissance, des passions égoïstes, des calculs mesquins. Car la nature humaine est mauvaise : « qu'est-ce qu'un gouvernement, sinon le moyen de contenir les sujets ? »

Mais attention : ici on se dit « intelligent ». La politique est ici l’art positif qui dénie les soucis moraux et les finalités éthiques. Le donné révélé est maintenant au service de l'état et la religion est un outil de pouvoir. On constatera au passage une certaine efficacité : entend-on nos évêques catholiques dénoncer, avec la vigueur de ceux qui sont au service de « l’Esprit de vérité », l’avilissement du peuple de France ?

Pour les disciples de Machiavel, le christianisme n'invitait dans son royaume que "les humbles et les hommes livrés à la contemplation plutôt qu'à la vie active". "Et les actifs arrogants ?" semble se demander Machiavel ?

L’objectif du Prince est de décrire le Prince idéal, animé par le « réalisme positif » : le monde tel qu'il est nous oblige à ne pas s'embarrasser d'un effort éthique qui nous ferait perdre la course au pouvoir. La victoire est promise à ceux qui, agneau au dehors, savent être loup et lion au dedans.

Machiavel opère une césure qu'il veut présenter comme « rationnelle » entre l'éthique et la politique. Le chef politique machiavélien, égotiste, qui agit par-delà le bien et le mal, adorateur de la force et de la manipulation, méprisant la loi morale naturelle et les Evangiles, est le paradigme des chefs d'état modernes.

Une analyse psychiatrique

Jean Cottraux, dans son livre "Tous narcissiques" (Odile Jacob, 2017), évoque la « triade noire » qui « regroupe trois des traits les plus sombres et les plus malveillants de la personnalité humaine. »

« Le premier trait est le machiavélisme : autrement dit l'art de la manipulation des personnes et des peuples. (…) Le Prince est le bréviaire de la plupart des hommes d'Etat, qui peuvent s'en servir comme d'un guide de manipulation sociale destiné à leur permettre de conquérir le pouvoir, de l'exercer et de le conserver » (p. 60).

« L'emprise trompeuse du prince peut jouer habilement sur l'apparence des bons sentiments. Ecoutons Machiavel : "Un geste d'humanité et de charité aura parfois plus d'empire sur l'esprit de l'homme qu'une action marquée du sceau de la violence et de la cruauté. » (…) (p. 61)

« Mais (…) une toute autre lecture peut en être faite par les peuples qui veulent démystifier le fonctionnement des princes et trouver les moyens de s'en débarrasser pour instaurer une république démocratique » (idem).

 

Notes

[1] Contemporain d’Aristote, disciple de Gorgias, Isocrate avait ouvert une école de Rhétorique concurrente de l’Académie de Platon. On lui attribue cette belle définition de la Sophistique : « L’éloquence est l’art de faire que ce qui est bien paraisse mal, et que ce qui est mal paraisse bien ».

[2] Dans un article publié par le journal américain Wall Street Journal quelques mois avant son élection, Emmanuel Macron résume son ancienne activité de banquier d'affaires : « On est comme une sorte de prostituée. Le job, c'est de séduire »

[3] Martine Orange : « Rothschild, une banque au pouvoir » (éd. Albin Michel, 2012).

[4] Sans doute en cohérence avec la philosophie politique enseignée  à l’université Paris X-Nanterre dans laquelle il a passé son DEA de philosophie (consacré à Hegel).


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