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Simone, tes enfants sont lâchés !

Simone, tes enfants sont lâchés !

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Il est paradoxal que l’exposé des motifs de la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse commence par un mensonge :

« L’interruption volontaire de grossesse est un droit fondamental pour toutes les femmes, reconnu par la « loi Veil » du 17 janvier 1975. »[1]

Quelques lignes plus loin, le texte reconnaît que :

« Aujourd’hui, l’IVG n’est plus un droit concédé, mais un droit à part entière ». En effet, la loi Veil ne faisait que dépénaliser ce qui restait un délit.

Nous sommes donc passés de la dépénalisation du délit d’IVG à la pénalisation de la dissuasion de l’IVG.

L’article unique de cette proposition de loi institue que le délit d’entrave à l’IVG est commis

« en diffusant ou en transmettant par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s’informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l’entourage de ces dernières. »

Etrangement, induire en erreur dans un but persuasif ne serait donc pas délictueux, ce qui se comprend si l’on parcourt les sites gouvernementaux qui affirment sans frémir que l’avortement provoqué n’induit généralement pas de séquelles chez les femmes, ou que l’IVG est depuis le départ reconnu comme un droit fondamental. Ce qui montre bien que le but du gouvernement est d’interdire la dissuasion.

Il est vrai que la proposition de loi va clairement plus loin que la loi Veil, comme on le voit dans les propos de Simone Veil, admettant qu’il est bon qu’existent des associations qui s’efforcent de dissuader les femmes d’avorter[2]

Mais il serait illusoire de croire qu’elle est en rupture, pour au moins deux raisons :

La première est que la loi Veil est en elle-même une perversion du droit, comme je l’ai montré ailleurs[3]. Son article 1er le montre avec évidence en commençant par poser le principe, extrait du code civil[4], que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. » Le code civil institue très sagement la loi gardienne de la vie, c’est-à-dire d’un droit qu’elle a pour mission propre de faire respecter. Mais aussitôt l’article trahit ce principe en ajoutant : « Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». L’idée même de porter atteinte à un principe suppose que ce n’est pas un principe, puisqu’il y a un principe supérieur au nom duquel on lui porte atteinte. Mais quel est ce principe ?

Si la loi crée les conditions dans lesquelles on peut porter atteinte au respect de « tout être humain », alors aucun être humain n’est en sécurité, et surtout la loi se fait elle-même le principe du droit.

Il ne faut donc pas être surpris si la proposition de loi du 12 octobre 2016 continue à s’engouffrer dans la brèche ouverte par Simone Veil en 1975 et qui n’a cessé depuis d’être aggravée.

Revenons rapidement sur cette escroquerie intellectuelle qu’a été, et reste, la loi Veil. Il suffit de se pencher sur le rapport des débats de la Commission[5].

« Après avoir rappelé que la loi ne peut porter atteinte au respect de tout être humain dès le commencement de la vie qu’en cas de nécessité et de manière limitée, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 a jugé que la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’était nullement contraire à un quelconque principe fondamental reconnu par les lois de la République ou à un principe énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 « selon lequel la nation garantit à l’enfant la protection de la santé », non plus qu’à aucune des autres dispositions ayant valeur constitutionnelle. »

Le Conseil Constitutionnel s’est donc appuyé sur l’affirmation de la loi Veil elle-même pour en conclure que la loi n’est pas contraire à elle-même. Sauf qu’elle est bien contraire au principe du Code Civil (article 16) qu’elle énonce elle-même « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. » La restriction « qu’en cas de nécessité » est bien contraire à ce principe, mais comme le Conseil Constitutionnel admet d’emblée cette restriction il ne peut évidemment il commet une pétition de principe que l’on peut énoncer ainsi : « la loi prévoit par la loi Veil que l’on peut porter atteinte à la vie, donc la loi Veil n’est pas contraire à la loi. » C’est une loi qui ne tient sa justification que de son auto affirmation.

Or le Conseil Constitutionnel n’a jamais fourni le moindre argument pour rendre compte de son jugement, et notamment du fait que cette restriction au droit de tout être humain à la protection de la loi ne portait pas atteinte préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 « selon lequel la nation garantit à l’enfant la protection de la santé ».

Il est temps de reconnaître que l’affirmation ne vaut pas argument. Ainsi le rapport renvoie à la décision du Conseil Constitutionnel sur l’allongement du délai à 14 semaines pour en déduire que déjà dans la loi Veil seule compte la volonté subjective de la femme.

Considérant que la loi du 17 janvier 1975 a autorisé une femme à demander l'interruption volontaire de sa grossesse lorsque « son état » la « place dans une situation de détresse » ; que ces dispositions réservent à la femme le soin d'apprécier seule si elle se trouve dans cette situation ; que la modification, par l'article 24, de la rédaction des dispositions de la première phrase de l'article L. 2212-1, qui prévoit que la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut en demander l'interruption à un médecin, ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ; que, par suite, cet article doit être déclaré conforme à la Constitution[6]

C’est affirmer que puisque la loi, en ne donnant de poids qu’à la volonté de la femme, ne rompt pas l’équilibre entre la liberté de la femme et le droit de l’enfant, la loi n’enfreint pas le principe d’égalité. C’est là un pur sophisme : on pose en principe que la loi est juste pour affirmer qu’elle est juste.

Là encore, on affirme que puisque la loi dit que, en ne donnant pas de poids à la vie de l’enfant elle ne contrevient pas au principe d’égalité, on doit en conclure que la loi ne contrevient pas au principe de l’égalité. Bref, la loi a raison puisque la loi dit qui a raison.

La seconde raison, c’est que l’IVG n’est absolument pas, comme on essaie de nous le faire croire, une mesure de compassion envers les femmes en difficulté. Comme le reconnaît Pierre Simon dans son éphémère mais instructif livre La vie avant toute chose[7], paru en 1979 retiré des ventes au bout de six mois, l’IVG s’inscrit dans une volonté politique eugéniste qui donne quelques frissons aux amis de la liberté.

Disciple de Margaret Sanger, initiatrice du Planning Familial américain et auteur de l’American Baby Code, Pierre Simon annonce depuis sa chaire de la GLF[8] une société pluraliste dans laquelle la seule transcendance sera la conscience sociale. L’avortement y est reconnu non pas comme un instrument de libération de la femme, mais davantage comme le moyen par lequel la société se fait maîtresse de la vie.

« La vie est ce que les vivants en font : la culture la détermine. Sa trame n'est autre que le réseau des relations humaines. Le fil des jours la tisse. La culture n’est donc pas ce qui s’ajoute à la vie : le concept de vie mûrit en elle. Ainsi mais ce n'est qu’un exemple - la façon dont les sociétés successives, à l’échelle de l’histoire, abordent des affaires aussi graves que l’avortement, suffit à rappeler la prééminence de la société sur l’individu. Ce n’est pas la mère seule, c’est la collectivité tout entière qui porte l’enfant en son sein. C’est elle qui décide s'il doit être engendré, s'il doit vivre ou mourir, quel est son rôle et son devenir. [9] 

Pierre Simon le reconnaît,

« La révolution n’était donc pas seulement médicale, elle était également philosophique. Révolution philosophique puisque, pour la première fois, l’individu n’était plus considéré comme une entité dont la peau marque les frontières. Il prenait une dimension nouvelle, devenait une -entité intégrée dans un corps plus vaste, la société »[10]

Il est clair cependant que cette menace que la loi fait peser nous contraint à davantage de professionnalisme. Les médias, avec l’impartialité que l’on sait, du moins pour ceux qui ont renoncé à l’information au profit du divertissement, font leurs choux gras de l’amateurisme de certaines bonnes volontés mal formées[11], et qui portent aussi une part de la responsabilité de cette proposition de loi.

Les crispations autour de ce débat, que certains voulaient croire clos, manifestent que des opportunités sont à saisir pour remettre le souci de la vie et de l’homme au cœur de nos préoccupations.

Voilà un moment que l’Eglise Catholique fait avancer cette idée que « L’ouverture à la vie est au centre du vrai développement. Quand une société s’oriente vers le refus et la suppression de la vie, elle finit par ne plus trouver les motivations et les énergies nécessaires pour œuvrer au service du vrai bien de l’homme. Si la sensibilité personnelle et sociale à l’accueil d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil utiles à la vie sociale se dessèchent »[12]

Le gouvernement est réactionnaire : incapable de promouvoir les conditions de la vie commune, il se contente de protéger de prétendues libertés individuelles dont il ne voit même pas qu’elles sont corrosives pour le lien social. Il se raidit dans une attitude conservatrice alors qu’il faudrait aller de l’avant, et aider véritablement les femmes qui sont en difficulté.

Et d’abord, dépassons cette absurde opposition entre pro-choix et pro-vie.

Qu’est-ce en effet qu’avoir le choix, sinon de voir devant soi des possibilités diverses reconnues comme possibles ? Et quelle femme qu’un soutien durable assure de pouvoir élever son enfant se réjouit de le supprimer ?

Il y a là un défi que beaucoup d’associations relèvent avec courage, et il faut reconnaître que l’Etat, pour le coup, n’est pas de ce combat là : quel choix réel pour les femmes quand par la loi du 6 janvier 1986 l’Etat délègue aux régions le souci des mères en difficultés, au titre duquel « dix-huit départements ont créé un ou plusieurs services d'aide aux parents isolés pour une dépense totale de l'Etat de 12 millions de francs »[13].

Autant dire que le choix n’existe pas : avorte ou débrouille-toi est un choix d’hypocrite.

Vers un eugénisme d’Etat ?

C’est pourquoi l’Etat manifeste par cette nouvelle initiative son idéologie profonde qui est eugéniste et totalitaire.

Eugéniste, d’abord :

« Si la première grande victoire de la médecine fut de faire reculer la mort, la seconde sera de changer la notion même de vie. »[14] Quel est ce changement ? Il s’agit de passer d’une conception de la vie comme « don » à celle de la vie comme matériaux : « Cette vie qui nous vint si longtemps d'un souffle de Dieu posé sur notre argile, c'est comme un matériau qu'il faut la considérer désormais. Loin de l'idolâtrer, il faut la gérer comme un patrimoine… »[15]

Pierre Simon a beau récuser l’idée d’un « eugénisme positif »[16], il est clair pour lui que, dans la mesure où le respect pour la vie ne signifie pas le respect de tout vivant :

« Aimer véritablement la vie, la respecter, implique qu’il faut avoir parfois le courage de la refuser »[17].

L’auteur n’a pas de mots assez durs pour ceux qui invoquent le respect absolu de la vie :

« Un respect absolu - ou plutôt aveugle - de la vie se retourne contre lui-même et, ruiné par les moyens qu’il emploie, dévore ce qu’il entend préserver : la qualité de la vie, l’avenir de l’espèce. La prolifération des tares héréditaires et les avortements clandestins sont les fruits amers de ce fétichisme. »[18]

Ainsi comprend-on qu’il ne convient pas de laisser naître les enfants handicapés[19].

Totalitaire, ensuite, parce que cette politique de banalisation de l’avortement conduit à compter pour rien la vie humaine, chacun devenant au bout du compte un individu qui aurait aussi bien pu être avorté.

« Les mouvements totalitaires sont des organisations de masse d'individus atomisés et isolés »[20].

Quoi de plus atomisé que l’individu moderne dont le droit de naître, et bientôt peut-être le devoir de mourir, est déterminé par la société ?

C’est à la liberté d’opinion que le législateur s’attaque, mais sans le reconnaître puisque pour lui le principe selon lequel « l’avortement est un droit fondamental » n’est pas une opinion :

Mme Chaynesse Khirouni affirme en commission que « le droit à l’avortement n’est pas une opinion mais bien une liberté fondamentale pour toutes les femmes. »[21]

Paniqué au constat de son échec dans tous les domaines, depuis l’éducation jusqu’à l’économie, l’idéologie sociale-libérale se venge brutalement en bouleversant radicalement, depuis le début de ce sinistre quinquennat, tous les fondements de notre vie commune. Son drame est précisément de ne pas se reconnaître comme une opinion dont on peut discuter. C’est ici le nœud du problème : en érigeant en dogme ce qu’il ne devrait considérer que comme une opinion, le législateur se pose en gardien de la doctrine. La loi n’est plus un moyen de protéger les droits fondamentaux de tout être humain, elle devient l’instrument par lequel la volonté de celui qui exerce le pouvoir est protégée contre toute remise en question. Cette volonté n’est pas la libération de la femme, mais l’asservissement de tous à la transcendance sociale.

On ne peut que souhaiter que cette marche forcée vers l’utopie socialiste s’essouffle un peu. Mais il y a encore un énorme travail culturel à accomplir pour que l’on comprenne cette chose simple : on ne peut résoudre le drame de l’IVG en abandonnant l’enfant ou la mère. Notre sollicitude doit aller aux deux. Le reste est du bavardage.

NOTES

[1] http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion4118.asp

[2] https://www.facebook.com/CharlottedOrnellas/videos/1343259159026090/

[3] http://pascal-jacob.over-blog.com/2014/11/la-loi-veil-ou-la-loi-pervertie.html

[4] Article 16 du Code Civil

[5] http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r4245.asp

[6] http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2014/2014-700-dc/decision-n-2014-700-dc-du-31-juillet-2014.142036.html

[7] Pierre Simon, La Vie avant toute chose, Mazarine, 1979. Je renvoie à l’excellente synthèse des Cahiers Libres : http://cahierslibres.fr/2014/01/pierre-simon-co-fondateur-du-planning-familial-de-ladmd/

[8] Grande Loge de France. Il s’agit d’une des deux grandes loges maçonniques (l’autre, celle du Grand Orient, est plus marquée à gauche). Son influence dans les milieux du pouvoir, qui n’est plus à démontrer, pose tout de même la question de l’indépendance de l’Etat face aux organisations régies par des croyances.

[9] Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 53

[10] Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 15

[11] https://www.franceinter.fr/emissions/le-moment-meurice/le-moment-meurice-12-octobre-2016

[12] Benoît XVI, Caritas in Veritate, 28, cité par Pape François, Laudato Si, 120

[13] https://www.senat.fr/questions/base/1986/qSEQ860702362.html

[14] Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 13

[15] Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 16

[16] Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 230

[17] Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 234

[18] Pierre Simon, La vie avant toute chose, page 234

[19] « mettre au monde des enfants non handicapés, c’est cela donner la vie. » page 54

[20] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, III, p. 634. trad. P. Lévy, Paris, Gallimard, coll. Quarto, 2002

[21] http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r4245.asp#P186_48131


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