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2088 : errance et retour de l'ordre

2088 : errance et retour de l'ordre

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Après le XVIIIème siècle de la raison vint le XIXème siècle des sentiments. Malraux prédisait : « Le XXIèmesiècle sera religieux, ou ne sera pas ». Et pourtant, après le XXème siècle où régna la technique ne naquit – du moins sous nos contrées – nulle ère religieuse mais un siècle d'affect.

Au cœur de ce temps des passions, se trouvaient évidemment les enfants. Des enfants que l'on ne tarda pas à réifier, fabriquer et transmettre : banal objet de transaction. Cette révolution, vous la connaissez probablement, vous qui me lisez il y a de cela sept décennies, aux débuts de cette errance. En l'an 2017, votre Gouvernement annonça sobrement, alors que l'attention du plus grand nombre était aux prises avec la mise en œuvre d'une autre réforme, que les femmes – seules ou à deux – pourraient désormais procréer sans le soutien d'un homme, si ce n'est parfois un médecin.

Les choses furent mises en œuvre quelques temps après, conformément à la parole de l'État. Sans tarder la Cour de Cassation, sur la requête d'une association trans-LGBT, interrogea le Conseil Constitutionnel : « l'égalité entre les citoyens n'implique-t-elle pas que les couples d'hommes puissent engendrer comme les couples de femmes ? ». On autorisa bientôt le recours aux mères porteuses. Un gouvernement conservateur, résigné de ne pouvoir abroger ces pratiques, résolut de les encadrer.

Afin que les enfants nés de ces manipulations du vivant ne connussent pas de discrimination et de souffrance en apprenant que le sang qui coule dans leur veine n'est pas celui de ses deux parents, les biologistes purent extraire l'ADN des gamètes afin de leur faire fusionner dans un embryon. Cette technique avait cependant un inconvénient, pour traiter la descendance de deux Hommes, il fallut sélectionner au moins un spermatozoïde abritant un chromosome Y.

Bientôt, avec les progrès techniques et la maîtrise de ce processus de sélection, les docteurs proposèrent que les embryons fussent choisis pour éviter la naissance d'enfants touchés par une maladie génétique. Les associations de malades se félicitèrent de cette avancée et ce, pendant que quelques rétrogrades se contentèrent de constater la disparition des avortements médicaux, pendant que croissaient dangereusement le stock d'embryons cryogénisés pour l'éternité.

Devant ces progrès, les quelques couples hétérosexuels qui ne rencontraient pas de difficultés à enfanter – en dépit de la baisse de la fertilité et de l'influence des perturbateurs endocriniens – furent rapidement convaincus d'abandonner la reproduction naturelle.

Pour réduire les coûts exorbitants de cette technique, financés par la sécurité sociale, on proposa que fût introduit le clonage. Une sélection drastique d'une souche limitée mais exempte de toute anomalie génétique permettrait une reproduction sans risque ni sélection au coup par coup. S'inspirant du modèle scandinave, on prit soin de choisir un code génétique devant donner naissance à un enfant aux yeux bleus ; on prit soin également de représenter toute la diversité des peuples français dans cette souche qui devait devenir une référence. Après tout, il est moins important qu'un enfant ressemble à ses parents que de le savoir en pleine santé, issu d'un étalon contrôlé par l'État.

À la lumière de ces événements, le doute ne vous est plus permis. Il est certain que sur nos terres, le XXIèmesiècle n'était pas religieux. Cependant, depuis quatre ans, ça va mieux… L'ordre est de retour.


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