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Bertrand Betsch écrit depuis la chambre

Bertrand Betsch écrit depuis la chambre

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Depuis la chambre froide, depuis la chambre à gaz, depuis la chambre à coucher, depuis la chambre de l'asile psychiatrique, depuis la chambre mortuaire, depuis la chambre d'hôpital, depuis la chambre d'enfant, depuis la chambre noire, depuis la chambre d'écho, depuis la chambre d'amis, depuis la chambre du petit Adrien, depuis la chambre d'en haut, depuis la chambre d'hôtel, depuis la chambre d'efforts, depuis la chambre nuptiale, depuis la chambre à air, depuis la chambre des députés avec vue sur la mer, depuis la chambre de bonne, depuis la chambre des métiers, depuis la chambre d'hôtes, depuis la chambre d'isolement, depuis la chambre forte, depuis la chambre correctionnelle, … Que fait Bertrand Betsch dans tous ses lieux choisis ? Il écrit. Il est entré dans sa propre boîte noire, celle que l'on retrouve après les crashs, pour retrouver le lieu de l'écriture et s'y illustrer.

Voilà enfin un nouvelliste ! Ils ne sont pas si nombreux en cette période qui chérit davantage les essais et les ouvrages fabriqués de la littérature de genre. Profitons-en. Dans ces romans en condensé, on ne peut échapper à la poésie, c’est là leur force. La poésie perce inéluctablement, portée par l'ironie, ce moteur de la narration rendue ultra-efficace par l’exercice de la réduction. Avec Betsch et son maniement de l’absurde et son habileté à faire le poète, on croit reconnaître du Michaud par endroit, ces nouvelles qui sont davantage des mises en situations que véritablement des aventures, des tableaux où l'absurde se fige sous le regard poétique de l’écrivain. Bertrand Betsch se décrit dans une situation où tout ce qu’il dit ne peut que renvoyer à la folie de celui qui raconte, c'est absurde, c'est folie, et pourtant c'est si proche de nous. Voilà bien le mystère auquel est confronté le lecteur rationnel. De juger ce qu'il voit fou et d'avoir l'impression d'être face à un miroir. A chacune de ces nouvelles également calibrées autour de trois pages, il nous semble la lettre d'un inadapté, une personne qui se résume à être une erreur de casting. "Nous sommes nombreux à avoir été déportés un jour ou l'autre pour fait d'asociabilité" (p17) Et l’on a envie de dire : c’est moi, c’est comme moi, c’est tout moi.

Il y a bien sûr de la méchanceté dans les pages écrites par l’inadapté, l'erreur de casting. "Je suis encore à naître, à paraître, je suis la promesse d'un prochain échec" (p162) Mais la méchanceté du narrateur n’est pas jouissive réellement, puisque c'est celle d'un enfant finalement. Elle est la conséquence ou la cause de l'isolement, la description d'un homme vivant sans lien avec les autres et le monde. " Ne sachant pas me faire aimer, j'ai choisi de me faire détester" (p137) Betsch invente le trash naïf, rentre dans le rôle de l’innocent les mains pleines. Et nous voyons ce qui se dépose de l'humanité, sa lie. De chambres en chambres, nous accompagnons un peu l'enfance d'un tueur en série, nous sommes un peu comme dans le lieu de son élan. "La somme de mes frustrations n'a pas encore fait de moi un fou furieux. Je ne suis encore qu'un grand enfant…" (p121)

La chambre est une camisole, c'est pour cela qu'elle est le lieu de l'écriture. On n’écrit bien qu'en prison, dans un lieu clos, un corps au final. C’est normal puisque l’écriture est l'expression d'une difficulté avec l'incarnation, avec l'exercice d’exister. "Je me repais de ma solitude. Seul, j'ose tout ce que m'interdit la réalité du monde habité." (p41) Plus loin : "je ne désire pas être compris." (p43) Illisible mais viable ? C’est sans doute ce qui nous a fait nous relier intuitivement Bertrand Betsch et moi. Chaque aventure est extrêmement modeste. Comme nous l’avons dit, les nouvelles décrivent davantage une situation, qu’une aventure. Il s’agit à chaque fois de l’illustration d’une plongée dans le trou psychique de l'homme, cet homme qui loge dans le lieu, à la fois le génie des lieux et la balle logée dans le corps qui meurt. C'est l'absence de lien avec les autres qui rend la vie absurde, qui rend la vie de la personne humaine absurde. Le narrateur exhibe ses liens détruits et se raconte en se sachant désormais illisible. Il ne peut être désormais qu’un miroir ingrat pour le reste du monde. Pour être ce miroir, Betsch nous laisse à la surface, nous laisse côtoyer son côté dérisoire, il révèle la pauvreté des raisonnements de l'homme seul, coupé du monde, la pauvreté de ses raisons de vivre désormais. Nous sommes dans le temps où l’âme qui est dans le corps qui est dans la chambre est comme «  au rebut » (p37).

"Peut-être (…) qu'aucune chambre n'existe. Que ce n'est qu'une sorte de camisole de force que notre psychisme affolé nous contraint d'habiter." (p103). Voici l’instant de lucidité du narrateur, l'aphorisme qui résume tout le livre, exprimé au cœur même de la nouvelle sans doute la plus surréaliste du recueil : le narrateur raconte sa situation depuis la chambre à air… Et c’est ce surréalisme qui peut ouvrir la possibilité d’un rétablissement de l’âme dans ses liens et ses questionnements. Dès le début, nous savons qu'il y a un double-fond dans la chambre que l'on nous propose dans chaque nouvelle. L'écriture nous fait chuter d'un coup d'une banalité d'un lieu à l'antre de la folie pure et dure, par trappe. Le surréalisme en dernière lecture arrive au final comme ultime trappe sous forme de sortie de secours. L'antichambre aurait pu être le vrai titre du recueil de nouvelles de Bertrand Betsch, et c’est d’ailleurs le titre de la dernière nouvelle, le repli, la plus longue du livre. C’est peut-être là la coquetterie du chanteur, habitué à se loger dans les morceaux cach


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