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Bloc contre bloc

Bloc contre bloc

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Il y a deux ans, Jérôme Sainte-Marie publiait un livre intitulé Bloc contre bloc. Depuis, l’expression a fait florès. Le bloc élitaire s’oppose au bloc populaire, et symétriquement, en une violente défiance qui semble ne pas connaître de répit.

Il est sans doute surprenant de lire que le « bloc élitaire s’oppose au bloc populaire » car cela est contre-intuitif. L’élite, dans une démocratie libérale qui fonctionnerait bien, prendrait grand soin de sa base, de ses petits, des citoyens qui la composent. En France, elle a délibérément choisi de les mépriser. Question de posture, de dédain de classe, d’un entre-soi politico-médiatique qui ne connaît pas le risque du champ de bataille ; « Le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse » affirmait Jean Giraudoux. Le bloc populaire rend la monnaie de sa pièce au camp élitaire. Œil pour œil, dent pour dent : loi du Talion. Les bonnets rouges, les gilets jaunes, les antivaccins, les anti-passe sont les intéressantes variations d’un rejet exacerbé des élites politiques et médiatiques en incapacité de comprendre les sans-grades et les invisibles.

Sainte-Marie, ancien de la Ligue Communiste Révolutionnaire, ne cache pas son adhésion au macronisme, sa conversion au libéralisme pur et dur. Il explique : « Cet essai constitue d’abord une apologie du macronisme en ce qu’il le dépeint comme une solution politique idéalement conforme à son projet et aux forces sociales qui le soutiennent. Il est également un regard sur un pays qui se fragmente moins qu’il ne se polarise, une période où les enjeux se simplifient et où les antagonismes s’exacerbent. » Sa théorie télescope celle de Jérôme Fourquet qui, dans son livre l’Archipel français, décrit à l’inverse une fragmentation de la nation en une multitude de communautés et d’entités hostiles les unes aux autres, rétives à partager un destin commun, éloignées de toute vision holistique du vivre-ensemble.

La gauche et la droite ont fait face à des contradictions insurmontables qui ont facilité l’éclosion d’un libéralisme qui s’est unifié sur un populisme divisé. Emmanuel Macron triomphait ainsi de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon. La dynamique actuelle des blocs fait renaître l’ancien clivage et « introduit désormais une incertitude majeure sur l’issue électorale d’un conflit social et politique toujours plus radical. » Il y a, « d’un côté une France relativement diplômée et dotée financièrement, ne voyant guère de raisons de contraindre un libéralisme économique et culturel qui lui profite, et pratiquant une europhilie de bon aloi ; de l’autre, une France plus populaire, soucieuse de protections collectives, se sentant menacée par la mondialisation sous toutes ses formes, et chérissant l’identité nationale. » Il s’agit de ce que l’on peut appeler, avec d’autres, le Grand Déclassement qui frappe une partie de notre pays. Ces citoyens exposés, issus des classes populaires et non des rangs des bobos des métropoles, sont percutés de toutes parts comme l’est un noyau d’électron par ses neutrons et protons fous. Ces citoyens subissent de plein fouet la mondialisation anglo-saxonne protestante qui n’a cure du « modèle social à la française » nourri, quant à lui, d’un catholicisme social et d’une tradition à la fois monarchique et républicaine qui semblent aujourd’hui tout droit sortis d’un âge immémorial.

Alors, disparition ou résurgence du clivage droite/gauche ? L’effacement progressif de celui-ci, en une synthèse libérale centre-droit centre-gauche, a abouti à ce que Jean-Claude Michéa nomme « l’alternance unique », c’est-à-dire à une sorte d’arrêt sur image du paysage politique français. Des politiques falots dont le niveau intellectuel ne cesse de baisser se succèdent ainsi au gouvernail France. L’alternance est de fait interdite, le verrouillage est incroyablement efficace. Il s’agit pour le bloc élitaire d’empêcher l’expression des diverses sensibilités démocratiques. Le peuple est floué de son droit le plus légitime, celui d’exister. Cela prépare sans aucun doute des lendemains douloureux. Le microcosme politique, médiatique, universitaire, et judiciaire pratique ad nauseam l’endogamie. Concernant le monde judiciaire : « Les instances de contrôle -Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, Cour de cassation, Cour des comptes ou le Conseil supérieur de la magistrature, mais aussi dans un autre genre le Conseil supérieur de l’audiovisuel- cumulent désormais l’homogénéité sociologique et la convergence politique. Ce phénomène tient non seulement à la synthèse macronienne des deux libéralismes sur lesquels autrefois gauche et droite se divisaient, le libéralisme culturel et le libéralisme économique, mais surtout à l’affaiblissement de la perspective d’un changement politique. »

A ce stade de notre chronique, pointons l’impensé de l’analyse de Sainte-Marie : le Grand Remplacement qui prend la forme d’un troisième bloc totalement étranger aux deux premiers. Il s’agit de la France des quartiers de l’immigration dont une frange construit pas à pas une contre-société qui alimente la tectonique des trois blocs. Avec, en toile de fond, habilement tapis dans le sillage de l’idéologie progressiste de Bruxelles -cf la monstrueuse campagne de communication vantant les bienfaits du hijab pour la liberté et la diversité-, les Frères Musulmans, ceux dont Boualem Sansal, l’intellectuel et écrivain algérien, nous rappelle à longueur de prises de paroles qu’ils ont juré la perte de l’Occident chrétien, en s’attaquant à son flanc le plus faible et le plus veule, l’Europe. Ce phénomène est une véritable bombe à déflagration puisqu’une culture arabo-musulmane s’enracine lentement -pas si lentement, en fait !- chez nous, au détriment de la double essence française : le christianisme et les Lumières.

L’ouvrage de Sainte-Marie, quoique bien écrit, manque donc singulièrement de lucidité et d’honnêteté. Le diagnostic est incomplet, partiel, partial bien sûr, comme il sied souvent aux intellectuels médiatiques appartenant au camp autoproclamé du Bien. Dommage. Tant que la France ne sera pas tombée plus bas, il se trouvera toujours une majorité d’aveugles ou de déconstructeurs appliqués à la défaire chaque jour pierre par pierre. Sic transit gloria mundi. Surtout, ainsi passe la gloire de la France qui fut longtemps si aveuglante et si universelle, si nécessaire au monde, et qui ne sera… plus jamais.


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