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Fabrice Hadjadj savoure l’aubaine d’être né en ce temps

Fabrice Hadjadj savoure l’aubaine d’être né en ce temps

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Fabrice Hadjadj vient de sortir aux éditions de l’Emmanuel quelque chose que l’on pourrait appeler un précis et qui est la retranscription d’une conférence donnée pour inaugurer le IIIème congrès mondial des mouvements ecclésiaux et communautés nouvelles, prononcé à Rome le 20 novembre 2014. Le titre du petit livre a tout pour ne pas passer inaperçu et titiller le désir de lire : l’aubaine d’être né en ce temps. Et le sous-titre enfonce le clou : Pour un apostolat de l’apocalypse. Et déjà ça énerve. Dès la formule savourée, on a envie de rentrer en joute verbale, d’ânonner oui mais…

Hadjadj a toujours raison

Il est énervant ce Fabrice Hadjadj, il a toujours raison ! C’est fatiguant quelqu’un qui ne fait pas l’effort de se tromper. Cela réveille sans arrêt le diable qui est en nous, le jaloux. Je me dis que Fabrice pourrait se tromper de temps en temps, qu’il pourrait ne pas convoquer l’Église éternelle derrière chacun de ses propos, cela relèverait de l’humilité finalement… Il se paye même le luxe de nous narguer dès le début de ce petit essai : « mon culot procède de mon obéissance ; ma fantaisie, de ma fidélité » (p8). Quel ange de ménager les conventions des hommes d’Église… Mais qu’il se méfie avec ce côté premier de la classe des penseurs catho, c’est un coup à se faire casser la gueule à la sortie… C’est tellement facile de s’engueuler avec Hadjadj, surtout quand on est d’accord avec lui.

Ni nostalgie ni utopie, rien que l’Espérance

Nous avions déjà lu par ailleurs cette idée parfaitement exprimée par Fabrice Hadjadj et issue de la parabole du bon grain et de l’ivraie, selon laquelle il y a une coévolution du bien et du mal, que demain sera pire et meilleur qu’aujourd’hui. Cette fois ci, cette idée prend les formules suivantes : « nous sommes dans un temps de misère, c’est donc un temps béni pour la miséricorde »« la foi en Dieu implique de l’aubaine d’être né dans une telle perdition »« nous ne pouvions pas mieux tomber »« de la providence d’être né dans ce temps et pas dans un autre »… Je jette le livre carrément ! Il va voir celui là ! Ah oui, je vais aller dire au petit gars de banlieue à qui on n’a rien transmis d’autre que le chômage : t’as de la veine, tu vas permettre aux autres de tester leur charité. Ah, oui, je vais aller dire aux Chrétiens d’Orient et très bientôt d’Occident : trop de chance, vous allez pouvoir connaître le martyr de votre vivant ! Et j’en passe. Quand je vous dis qu’il est énervant ce Fabrice Hadjadj, je ne me trompe pas…

Oui et pourtant… Il faut reprendre le fil de la conférence et comprendre que Hadjadj veut parvenir avec ces formules à tuer deux attitudes non conformes à la foi et donc non efficaces pour un apostolat : la nostalgie portée sur le passé et l’utopie portée vers le futur. Nous sommes là et nous rendons grâce d’être là. Et dans ce , nous ne pouvons pas distinguer le lieu, ni le temps, ni l’être. Car il faut bien que nous soyons là pour être…, nous. Ce qui fait le titre de l’ouvrage n’est en fait qu’un moyen d’évacuer une palabre inutile remplie de si qui mettraient Lutèce en amphore.

Si Hadjadj prend des précautions au début de son discours, c’est qu’il sait aimer manipuler le scandale, c’est un habitué. S’il se la joue provoc’, s’il use et abuse des accroches stylistiques, c’est avant tout que notre esprit est coriace, que notre orgueil est sournois. Tout au long des pages, Hadjadj précise la spécificité de la foi chrétienne en dévoilant les différentes attaques auxquelles nous avons à répondre. Et oui, l’apostolat de l’apocalypse est un combat, on va vite le comprendre à la façon qu’a le conférencier de marteler son Espérance.

Le culte de l’émotion et le dématérialisme

La spécificité de la foi chrétienne est l’incarnation. Le verbe s’est fait chair, il s’est fait une personne humaine, l’autre. Et toutes les attaques subies de toutes parts semblent d’ailleurs se concentrer sur l’incarnation. Il faut connaître ces attaques pour être précis dans son apostolat. Hadjadj déplore notre éloignement de la matière et de la chair, du travail de la matière par la chair. Il établit un lien entre le culte de l’émotion, le pathocentrisme et le développement de la haute technologie. Hadjadj ose user du néologisme caractérisant notre ère : dématérialisme. C’est une sorte de matérialisme 2.0. En appréhendant l’aspect immédiat et pulsionnel, le conférencier va jusqu’à montrer que cette technologie favorise la bestialité. Et l’effondrement de toutes les utopies politiques et du modernisme favorise la rencontre entre le fondamentalisme et le culte de l’émotion. « L’Islamisme contemporain est moins une résurgence médiévale qu’un phénomène post moderne » (p54) Un phénomène pulsionnel qui trouve dans la technologie de type « push button » une efficacité redoutable. Voilà donc ce à quoi l’apostolat doit s’atteler. Avec quelle arme ? La raison. Comment ?

La métaphysique et l’autre

Hadjadj évoque les news qui abreuvent chacun et qui nous laissent spectateurs, infatués de notre indignation passagère, des news si éloignées de la Bonne Nouvelle. L’objectif est pourtant qu’il y ait un « impact existentiel » chez l’autre. Là-dessus, on est en phase sur MN, puisque le seul objectif de ce titre est de verticaliser autrui, d’en faire un être désirant se relier à ce qu’il ne voit pas en réinitialisant une crise métaphysique en lui. Mais nos lecteurs connaissent ça…. Il y aura une bonne nouvelle, c’est pourquoi nous commençons par la mauvaise et patati et patata. Hadjadj insiste donc sur la « Préséance de la métaphysique sur la morale », si l’on désire véritablement que l’autre rencontre Jésus. L’apostolat consiste avant toute chose à se tourner vers l’autre en tant que personne. « Quand vous vous tournez vers Dieu en tant que créateur, vous êtes obligés de vous tourner du même coup vers les créatures » (p18) « la parole chrétienne ne consiste pas d’abord à dire quelque chose sur quelque chose, mais à dire de quelqu’un à quelqu’un » (p16). Oui, la personne est au cœur de la spécificité chrétienne.

Quand nous sommes attaqués, le risque est parfois de rentrer en concurrence avec ce qui nous attaque et de perdre ainsi notre spécificité. Hadjadj évoque notre différence avec l’Islam quant aux méthodes. « L’apostolat procède par inculturation et non par exculturation ». L’Église universelle n’est pas un Califat ou un Etat mondial. L’apostolat « exige des Églises locales, un clergé indigène » (p55). L’annonce de la Bonne Nouvelle ne peut pas se faire en niant l’autre, en niant ce qu’il est, en niant la créature de Dieu. « Se tourner vers le Dieu Trinité, c’est se tourner vers celui qui assume en lui une différence éternelle. » (p22)

La maternité et le combattant

Hadjadj conclut son propos en faisant émerger deux figures synthétisant pour lui l’apostolat de nos jours, l’apostolat de l’apocalypse. Deux attitudes possibles face à toutes ces attaques de notre époque (bénie) contre l’incarnation : la maternité et le combattant. Ces figures apparaissent elles-mêmes l’une après l’autre dans l’Apocalypse de Saint Jean : la vierge Marie enfantant et Michel et ses anges combattant. Et on ne peut s’empêcher de voir là deux formes d’une même réponse aux attaques civilisationnelles subies par le monde. Deux formes d’une même réponse pour une attaque sur deux fronts. D’un côté, le front du post-modernisme s’oppose à la personne humaine au profit d’un individu non incarné qui décide de la mort, de la vie, de son corps, de son sexe. De l’autre côté, le front islamique s’oppose également à la personne humaine en la rendant indigne de Dieu, en niant sa liberté. La maternité est bien l’image du projet du créateur. Le combattant est cet homme qui a la mission de protéger les siens et qui est prêt à mourir pour les défendre, un combattant qui permet d’échapper à « l’efféminement des Chrétiens (…) à la trippe sensible et au cœur dur ». La maternité et le combattant sont deux figures incarnées pour l’apostolat de la religion de l’incarnation, pour l’apostolat par temps d’apocalypse.


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