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Jean de Viguerie analyse le mythe du Citoyen

Jean de Viguerie analyse le mythe du Citoyen

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Dans le sillage de deux précédents livres, Christianisme et Révolution et Les deux patries, Jean de Viguerie vient de publier Histoire du Citoyen aux éditions Via Romana, essai historique sur l’un des trois mythes (avec la Révolution et la République) engendrés par les événements de 1789 et qui perdurent encore aujourd’hui. Jean de Viguerie a accepté de répondre aux questions de MN.

« Dans cette parodie de religion chrétienne qu’est la Révolution, l’engendrement du fils apparaît très tôt, c’est le citoyen. »

Mauvaise Nouvelle : Pourquoi ce livre ? Il y a déjà eu Catholicisme et Révolution et Les deux patries, livres précédemment écrits sur le thème de la Révolution comme idéologie, et avec lesquels ce nouvel opus, intitulé Le Citoyen, entre en filiation, tout n’avait donc pas été dit à ce sujet ? Il y avait donc nécessité d’y revenir ?

Jean de Viguerie : Non, tout n’était pas dit. Et c’est l’actualité qui m’a conduit à y revenir. Car en 1995, on a commencé à parler de nouveau du citoyen. Il y a d’abord eu l’entreprise citoyenne, puis les clubs de foot citoyens, les écoles citoyennes, et alors toutes choses pouvaient devenir citoyennes. Citoyen devenait un adjectif, ce qu’il n’avait jamais vraiment été. Cela m’a amené à réfléchir. Que se passait-il ? Pourquoi ce retour du mot qui avait pratiquement disparu du vocabulaire politique, qui ne subsistait finalement plus que dans la Marseillaise, que d’ailleurs beaucoup voulait voir changée et qui était accompagnée d’une connotation militaire. À partir de ce moment là, j’ai réfléchi sur une lettre du citoyen, j’ai cherché à le définir. Et je me suis alors rendu compte qu’il s’agissait d’un des trois mythes engendrés par les événements de 1789, avec la Révolution et la République. On pourrait y ajouter la patrie et la nation. Mais la patrie n’est qu’un simulacre, une imitation de la patrie réelle (Cf. Les deux patries). Donc, je pense qu’il faut se limiter à ces trois mythes, ce qui est vraiment mythique, ce sont ces trois êtres là, trois êtres imaginaires artificiels que sont la Révolution, la République et le Citoyen.

MN : Votre livre commence en 1789, pourquoi ne pas l’avoir amorcé avant ?

JV : Parce que l’idée de citoyen existe mais le personnage n’existe pas. Rousseau (Considérations sur le gouvernement de Pologne) ou Voltaire (Le Dictionnaire philosophique ou La Raison par alphabet) en ont parlé. Mais cet être imaginaire n’apparaît qu’avec la Révolution. La Révolution pouvant être considérée comme Dieu le père, et le Citoyen le fils. Alors que dans la religion chrétienne, le Fils se révèle très tard, dans cette parodie de religion chrétienne, l’engendrement du fils apparaît très tôt, c’est le citoyen. Parce que la révolution a un besoin vital du citoyen, ce dernier est engendré dès le début. En fait, au bout de sept jours, Jean Dusaulx qui fait partie du comité des électeurs de Paris évoque « la nouvelle genèse. » Le monde a été transformé en sept jours. Un être nouveau est apparu dans ces sept jours. On est passé du sujet au citoyen. Le sujet, on savait qui il était. C’était un Français vivant sous l’obédience du Roi. Le citoyen, en revanche, ne correspond à rien de connu jusqu’alors.

MN : Quelles sont donc les caractéristiques de ce citoyen ainsi engendré ?

JV : J’ai interrogé la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, j’ai trouvé la définition donnée par Claude Nicolet dans les années 90, chargé des festivités du bicentenaire de la Révolution. Il écrit : « Homme et citoyen sont indissociables et créent une nouvelle nature pour l’homme. » Allez comprendre, moi je ne comprends pas. Alors à ce moment là, j’ai interrogé les professeurs de droit constitutionnel qui ont avoué qu’ils ne savaient pas ce qu’était le citoyen. Le citoyen n’a jamais été défini juridiquement. Mon ami Xavier Martin, qui est historien comme moi, m’a toujours dit : quel intérêt de traiter du citoyen, c’est un être imaginaire. Mais justement, l’Histoire ne s’intéresse pas seulement aux réalités mais également aux folies. C’est même son sujet préféré.

« Ce personnage porte en lui dès le début la mort et la haine. »

MN : Mais cet être imaginaire semble pourtant bien exister au regard de son action révolutionnaire, notamment au début, et vous montrez dans votre livre qui retrace l’histoire du citoyen qu’il évolue au fil du temps, qu’il mute en quelque sorte…

JV : Dès le début, le citoyen n’a pas d’existence réelle car il est obligé d’être armé. C’est un être artificiel qui sert d’instrument, c’est comme une machine. La machine évidemment existe, mais ne peut être qualifiée d’Être. Ce citoyen a effectivement évolué au fil des époques. J’ai écrit cette histoire du citoyen, du citoyen armé indispensable à la Révolution, jusqu’au citoyen désarmé auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Le citoyen armé du début va très vite devenir un assassin. Il doit assassiner celui qui renie l’être nouveau. Il doit le faire disparaître. D’abord dans les nations européennes. C’est pourquoi la République à peine installée déclare la guerre. Et ensuite dans nos frontières, ceux qui ne veulent pas accepter l’être nouveau, les ennemis intérieurs, vont être persécutés par l’instigation de la terreur. Cette terreur se renouvellera en 1945, lorsqu’il faudra remettre sur pied la République. Et on ne peut la remettre sur pied, les communistes le voient ainsi et ils ont raison, qu’en renouvelant les assassinats, qu’en immolant à nouveau des victimes. En somme, ce personnage porte en lui dès le début la mort et la haine. C’est terrible de penser cela. Évidemment, pour les braves gens, tout cela parait imaginé, mais si on regarde le déroulement de l’Histoire, on s’aperçoit que c’est bien le rôle que le citoyen a joué. Et aujourd’hui, paradoxalement, il lui est interdit de verser le sang, c’est un changement très important, mais il reste la créature de l’État c'est-à-dire de la République. Et il est là maintenant pour faire accepter la diversité par l’immigration, sous peine d’exclusion totale, sous peine de condamnation à une haine perpétuelle.

MN : Vous dites que l’État ne peut être que la République pour le citoyen.

JV : Oui, ce ne peut être que la République. Cette dernière naît qu’après la création du citoyen en septembre 1792. Et qu’est-ce que la République sinon la suppression de la monarchie et la mort du roi qu’elle annonce. Là encore, la mort est présente à l’apparition de ce mythe. Le nom de cette République a été choisi pour rappeler la République romaine. On vit dans l’histoire imaginaire de la République romaine. Le livre « Grandeur et décadence des romains » de Montesquieu a été lu par tous les députés de la constituante. Montesquieu est l’auteur préféré de Robespierre. On comprend dès lors ce nom de République qui a la caution de l’histoire.

MN : Tout au long du XIXème siècle, on voit néanmoins le retour de la royauté, différentes formes d’État se succéder…

JV : Oui, on voit revenir le roi. Mais c’est une fausse royauté. Une des preuves est que ces rois ont fait tirer sur le peuple, ce que Louis XVI n’a jamais fait. Charles X en 1830 fait tirer sur les gens qui manifestent, et en juin 1848 on récompense. La royauté française, par le passé, a pu affronter quelques princes révoltés, mais ne fait pas tirer sur le peuple. Et surtout cette royauté du XIXème siècle a accepté la Révolution, a intégré les institutions révolutionnaires, les biens nationaux. Même si la déclaration des droits de l’homme ne figure plus dans les constitutions, toutes les conquêtes révolutionnaires sont garanties.

MN : Mais Louis XVI, lui-même, a adoubé la Révolution…

JV : Le malheureux Louis XVI, à un certain moment, est contraint, d’une certaine manière, d’accepter la nouvelle constitution. D’abord, le 5 octobre, on vient à Versailles en émeute l’obliger à signer la déclaration des droits de l’homme, puis il va signer la constitution. Mais il le fait sous la contrainte. Alors que les trois autres le font de leur plein gré. Ce sont des rois révolutionnaires. Charles X a une grande admiration pour Napoléon. Louis XVIII a arboré, lorsque Napoléon revient de l’île d’Elbe pour aller se réfugier en Belgique, la flamme de la légion d’honneur. Ces princes sont imbus de la philosophie des Lumières, des idées voltairiennes. Ils sont révolutionnaires. Ces princes sont des citoyens promus à la dignité de roi.

« On ne peut pas compter sur l’armée ou sur les évêques pour s’opposer à la République, et quelquefois on ne peut même pas compter sur le Pape »

MN : Quel a été le rôle de l’Église et du clergé en France dans la création du citoyen et durant toutes ses évolutions ?

JV : L’Église a non seulement accompagné mais cautionné l’engendrement du citoyen. Quand vous pensez que Monseigneur de Juigné, archevêque de Paris, a fait dire un Te Deum à Notre Dame de Paris le 17 juillet pour célébrer l’ordre nouveau après la prise de la Bastille ! Quand on sait ce qui s’est passé le 14 juillet, c’est confondant. Un deuxième épisode édifiant est la réaction des évêques de France au bref de Pie VI. Pie VI y condamne à la fois la constitution civile du clergé et la déclaration des droits de l’homme. Pie VI reproche à la déclaration des droits de l’homme de ne pas faire cas de l’être pensant, de l’être doté de raison. Les évêques français ne l’ont pas suivi sur sa critique de la déclaration des droits de l’homme, attachés qu’ils étaient à l’égalité entre tous les citoyens que cette déclaration établit. Peu après, le Concordat qui créa une Église d’État et permit à Napoléon de considérer les évêques comme des fonctionnaires, ne fut l’objet d’aucune protestation. Le ralliement de Léon XIII, de la même façon, n’a entraîné de la part des évêques français aucune protestation, alors même que la République est persécutrice à cette époque. Au fond, l’Église en tant qu’institution n’est pas un opposant à la Révolution, alors même que le christianisme l’est intrinsèquement. Il y a un pacte entre l’épiscopat et la République. L’autre force de la République est l’armée. On ne peut donc pas compter sur l’armée ou sur les évêques pour s’opposer à la République, et quelquefois on ne peut même pas compter sur le Pape ! Le ralliement de Léon XIII déconcerte tous les défenseurs de la liberté de l’enseignement par exemple.

MN : N’y a-t-il jamais eu de trêve dans ce pacte entre l’épiscopat et la République, de lézarde dans le pacte ?

JV : Si, il y a eu un moment où l’épiscopat a trahi la République, c’est Vichy. Il y a eu une unanimité surprenante de l’épiscopat pour le maréchal Pétain, alors même que cet épiscopat avait suivi Pie XI dans sa condamnation de l’Action Française, et appliqué avec zèle les sanctions que le pape ne faisait que recommander. Ce même épiscopat passe avec enthousiasme dans l’obédience de Vichy et approuve « travail-famille-patrie. » Cette rencontre est assez inattendue entre l’Église et le maréchal qui n’a jamais été un militant chrétien. Cette rencontre va néanmoins coûter cher à la libération à un certain nombre d’évêques. Un nonce diplomate va venir à Paris rencontrer de Gaulle pour éviter le pire. Pie XII, dans une lettre, recommande à de Gaulle la clémence et la paix civile.

MN : La République a donc disparu pendant un temps. Vichy a donc été contre-révolutionnaire ?

JV : Vichy est un régime qui a mis la République en pénitence, qui ne parle plus du citoyen, qui remet à l’honneur des valeurs profondément traditionnelles. Et l’épiscopat s’y retrouve après avoir soutenu précédemment l’ordre nouveau de la Révolution française. Le maréchal Pétain, quant à lui, a été un soldat-citoyen en 1914. Il n’était pas vraiment opposé à la République. Il disait « La République existe tout en n’existant pas ». Il avait même préparé une constitution qui effraya ses collaborateurs qui craignirent de voir revenir la IIIème république…

MN : Justement parlons maintenant du rôle des militaires, de l’armée, dans la sauvegarde de la Révolution.

JV : L’armée n’est pas contrerévolutionnaire, elle protège la République. En juin 1848, le soldat-citoyen (l’armée) tire sur le peuple qui manifeste pour du travail et du pain. Il est interdit de se plaindre en République. Tout comme l’être pensant n’existe plus, il en est de même de l’être souffrant. C’est un blasphème de souffrir en République. Plus tard, grâce à la répression des communards, l’armée permit à la IIIème République de s’établir. Le général de Galliffet, qui appartient à une famille de noblesse ancienne, choisissait ses victimes au hasard parmi les prisonniers qui vont à Versailles pour les exécuter sommairement en cours de convoi. Mais Galliffet travaillait pour Thiers, et Thiers pour la République. C’est Thiers qui a refait la République. Toutes les forces du pays convergent. Mais globalement, tous les militaires ont été républicains. Même Foch, questionné par Clémenceau, accepte de s’engager à respecter les institutions républicaines, plutôt que simplement son pays ou sa Patrie.

- Depuis la création du citoyen, il n’y a plus de pays réel -

MN : Mais où est le contre-révolutionnaire, où est le contre-citoyen ?

JV : Il n’existe pas. Vous connaissez cette fameuse distinction de Maurras entre le pays légal et le pays réel. Cette distinction n’a pas de raison d’être maintenue. Parce que depuis la création du citoyen, il n’y a plus de pays réel, tout est citoyen, tout est passé dans le légal. Évidemment, vous pouvez détester le régime, mais vous êtes revêtu de la nouvelle nature double d’homme-citoyen. D’où l’impuissance de la révolte, d’où la certitude que nous pouvons avoir, d’une durée quasi indéfinie, de la République en France. Je crains qu’il soit très difficile d’anéantir ces mythes qui nous illusionnent car tout est installé de telle manière avec la Révolution, le Citoyen et la République, que la France est comme encapuchonnée et incapable de se délivrer elle-même.

MN : Mais il y a eu parfois opposition par des régimes concurrents comme le communisme ou le socialisme…

JV : Ce ne sont pas des régimes concurrents. Socialisme et communisme sont fils de la Révolution. Ce sont d’autres façons d’encadrer la population et de la manipuler. En 1936, les communistes envisagent un plan de réfection de la République et de la Révolution, refaire ce qui a été fait en 1789. Il faut faire la guerre, c’est très important. En 1789 c’était contre les princes européens, en 1936, c’est contre le fascisme. Pour les communistes, il y a nécessité de passer par la révolution de 1789 pour parvenir au pouvoir. Le parti communiste est maître du jeu dans les années 30, sans participer au Front populaire, il en est l’instigateur. Le citoyen est invité à renouveler son patriotisme de citoyen. Maurice Thorez fait chanter la Marseillaise et l’Internationale ensemble. La défaite et la fin du régime de Vichy va lui permettre d’accéder au pouvoir et de mettre un certain nombre d’institutions aux mains du parti jusqu’à aujourd’hui.

MN : Nous n’avons pas évoqué un point essentiel de votre livre qui est la reproduction du citoyen. Comment reproduire le citoyen, le perpétuer ?

JV : Par l’école ! C’est la convention nationale qui eut cette idée la première. Le citoyen ne se reproduit pas, il faut travailler à en produire d’autres. Le citoyen ne se reproduit plus, et nous en avons confirmation désormais, parce que le sexe n’existe plus. C’est la République imbue de l’idéal révolutionnaire qui va créer des écoles censées fabriquer de nouveaux citoyens. Mais c’est un labeur sans cesse écrasant à recommencer. Tout repose sur l’école. Si l’école ne fabrique plus de citoyens, alors le citoyen disparait, alors la Révolution n’a plus son fils et la République n’est plus ce Tout, qui est en quelque sorte l’Esprit créateur. Car je le répète, ces trois mythes sont une parodie, une caricature du christianisme, le diable ricane. Nous avons bien le père qui est la Révolution, le fils qui est le citoyen et la République qui est l’Esprit créateur.

MN : Le christianisme est donc la véritable force d’opposition ?

JV : Oui, il faut donc le dénaturer, s’en emparer, le refaire à la manière nouvelle. On retrouve là la complicité du clergé avec le développement du modernisme, l’alliance de certains avec la pensée marxiste. Il faut que le christianisme serve.


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