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La guerre d’Algérie et ses vérités cachées

La guerre d’Algérie et ses vérités cachées

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Produit parfaitement abouti du politiquement correct, Emmanuel Macron, le 14 février 2017 à Alger lors de la campagne présidentielle, y allait d’une belle ineptie mémorielle à l’allure de haine de soi, en déclarant : « La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime contre l’humanité. C’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes. »

Heureusement, Jean Sévillia nous a offert à Noël 2018 un ouvrage intitulé Les vérités cachées de la guerre d’Algérie. L’occasion, le temps d’une lecture, de bien comprendre les ressorts et la complexité de ce conflit protéiforme qui a tant marqué l’après-guerre mondiale et dont la France garde les stigmates. En préambule, il faut redire toute la pédagogie et le talent de notre historien qui, de sa plume didactique, rend intelligibles des choses de prime abord difficiles. Surtout, comme à l’accoutumée, il casse les idées reçues et assène d’emblée deux réponses aux poncifs coupables de Macron : « On ne saurait oublier qu’une certaine tradition se revendiquant de l’humanisme et de l’universalisme révolutionnaire, philosophie qui n’est pas étrangère à Emmanuel Macron, a souvent vu dans l’entreprise coloniale un vecteur de diffusion, outre-mer, des Lumières, des droits de l’homme et des idéaux de liberté et d’égalité. » ; « Dans le cas de l’Algérie, comment dépeindre sous les couleurs de « crime contre l’humanité », qualificatif infamant, cent trente-deux années d’administration, de 1830 à 1962, d’un pays constitué de départements français (Alger, Oran et Constantine) ? Une telle accusation, schématique, lapidaire et péremptoire, ne signifie rien, historiquement parlant, tant elle est caricaturale. » A l’anachronisme des imbéciles clichés jupitériens émanant d’un dirigeant politique dont la génération n’a pas vécu le conflit algérien et qui est, de surcroît, marquée idéologiquement, s’ajoute l’incapacité pour Macron d’imaginer que l’Algérie ait pu faire partie intégrante de la France dans une histoire commune qui fut heureuse. Deux autres vérités s’invitent à la table des débats : la colonisation fut une idée de gauche au XIXème siècle (de Jules Ferry à Gambetta, et Léon Blum au XXème siècle qui proclamait à la Chambre des députés en 1925 le « devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture ») ; la condamnation unilatérale et sans nuances de ce pan entier de notre histoire est, cent ans plus tard, un leitmotiv de gauche… Comme un pied de nez fait aux hémiplégiques de la pensée, La Grande Histoire se joue ainsi des contradictions et des paradoxes. Elle réaffirme sa détestation de la relecture binaire et manichéenne que pratiquent les idéologues à des fins spécieuses.

Quel peut être le(s) motif(s) justifiant l’analyse rétrospective et la recherche d’une véritable objectivité relatives à cette période de notre histoire ? Il y a d’abord une nécessité démographique (350000 algériens vivaient en France en 1962 au moment des accords d’Evian, désormais 5 millions en 2017 !), sur « fond d’anticolonialisme rétrospectif et de mauvaise conscience occidentale » qui induit le risque d’aversion de la France chez toute une jeunesse maghrébine formatée à ce dangereux schéma de pensée. Il y a ensuite, pour notre pays (et pour l’Europe), la question de l’identité autour du choix décisif auquel nous sommes confrontés : garder nos valeurs occidentales ou adopter le multiculturalisme mondialisé. Deux raisons, l’une démographique et l’autre civilisationnelle, qui rendent ce thème brûlant. L’exigence de mémoire envers les victimes oubliées que furent les pieds-noirs et les harkis, grands « perdants » de l’indépendance de 1962, est d’autre part un impératif moral auquel s’astreint Jean Sévillia.

En 1830 sous Louis-Philippe, au moment de l’arrivée française en Algérie, la Régence d’Alger appartient à l’Empire ottoman et apparaît « comme une colonie d’exploitation dirigée par une minorité de Turcs, avec le concours de notables indigènes ». Pendant plusieurs années, la guerre entre le sultan Abd-el-Kader et les troupes françaises fait rage. En 1841, le général Bugeaud, commandant en chef des opérations algériennes, rencontre à Paris Victor Hugo qui affirme : « C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. » La conquête s’avérera néanmoins longue et sanglante. Si les français d’alors considéraient « avoir fait » l’Algérie, les algériens d’aujourd’hui soutiennent inversement que les français « ont défait » l’Algérie : « les deux ont raison, car la conquête et la colonisation du pays ont été une « destruction créatrice » ». Dans les aspects positifs de la colonisation, selon la terminologie communément employée, le « décret Crémieux » d’octobre 1870 permet l’accession à la nationalité française aux 30000 juifs d’Algérie qui constituaient jusqu’alors une communauté indigène présente sur cette terre depuis plusieurs siècles. La nomination de préfets et sous-préfets à Alger, Oran et Constantine, l’élection de députés, le placement des services administratifs sous tutelle des ministères concernés en métropole traduisent la volonté d’une assimilation de l’Algérie. Le développement démographique se fait à un rythme soutenu que ce soit pour les musulmans (2,1 millions en 1872 ; 8,5 millions en 1955) ou pour les Européens d’Algérie (100000 en 1856 ; 900000 en 1954). Durant plus d’un siècle, les apports de la France sont considérables, les investissements colossaux dans tous les domaines : « fin de la piraterie maritime, pacification du pays, mise en valeur de ses ressources, action sanitaire et scolaire au profit des populations de toutes origines » ; « villes, ports, routes, chemins de fer, ouvrages d’art, bâtiments administratifs, casernes, hôpitaux, écoles et usines ».

De Gaulle « n’aura jamais aimé ni compris les Français d’Algérie. »

La montée d’un nationalisme algérien, de 1910 à 1954, bouleverse la donne. Ce nationalisme est exacerbé au début de la seconde guerre mondiale à cause de la paupérisation de la population (les pénuries alimentaire et vestimentaire sévissent), dans un contexte d’échec de l’industrialisation du pays. La défaite de 40 précipite l’aura de la France dans la fosse des vaincus, là où gisent ceux qui ne peuvent plus se prévaloir du statut de grande puissance, de puissance impériale… Un acteur s’invite par la force dès 1954, il s’agit du FLN qui est encore à ce jour, en la personne de Bouteflika, au pouvoir en Algérie. Les accrochages se multiplient. La « Toussaint rouge » marquée par l’assassinat de l’instituteur Guy Monnerot choque profondément l’opinion publique et correspond au début de l’engrenage des violences. La multiplication des attentats plonge les acteurs de ce drame dans une terrible guerre civile qui semble ne s’être jamais arrêtée depuis dans ce pays. En 1956, le général cinq étoiles Raoul Salan, ancien de l’Indochine, est nommé commandant en chef des opérations : « Il doit tout à la fois affronter la guérilla dans les djebels, le terrorisme en ville, l’intrusion d’éléments armés à la frontière du Maroc et de la Tunisie, les pressions politiques de tous bords et celles, parfois intempestives, des Européens d’Algérie. » Salan jouera quelques années plus tard un rôle majeur et bien différent au moment du putsch d’Alger. En janvier 1957, les paras de Massu, dont le 1er régiment étranger de parachutistes (1er REP) que commande le lieutenant-colonel Jeanpierre et le 3ème régiment de parachutistes coloniaux (3ème RPC) commandé par le lieutenant-colonel Bigeard, sont investis des pouvoirs de police sous le contrôle de la préfecture, avec pour objectif d’anéantir les groupes rebelles de la ville d’Alger et « détruire la structure politico-administrative de l’adversaire. » La bataille d’Alger se termine en octobre 1957 par la victoire des paras. Victoire en trompe l’œil car la guerre asymétrique que livre le FLN ne s’arrête pas pour autant.

Pour Mendès France et Mitterrand, l’Algérie c’est la France, tout comme pour Jacques Soustelle nommé gouverneur général à Alger. Pour de Gaulle aussi qui revient au pouvoir en 1958 clamant l’appartenance de l’Algérie à la France. De Gaulle incarnait la solution, la seule semblait-il alors, apte à résoudre le problème algérien. Si la guerre d’Algérie a achevé la IVème République, de Gaulle a, « pour revenir au pouvoir, joué toutes les cartes. » Lançant le fameux « Je vous ai compris », il affirmait : « Je déclare qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière – des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. » Alger fera alors la fête au cri partagé par les Européens et les musulmans de : « Al-gé-rie fran-çaise, Al-gé-rie fran-çaise ! » Pourtant, en privé, de Gaulle confie à Peyrefitte : « Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allé les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français […] Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre […] Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions, et après-demain quarante ? » Double jeu du général qui considérait « en off » que l’Algérie coûtait trop cher économiquement. Parole publique et parole privée. Conscience à géométrie variable. L’Histoire retiendra la volte-face du général qui s’apparentait, pour un grand nombre d’acteurs de l’époque (Européens d’Algérie (pieds-noirs) ; et musulmans fidèles à la France (harkis)), à une trahison majeure. Ajoutons le contexte militaire d’une armée traumatisée par la chute de Diên Biên Phu en 1954 et qui savait in petto quelles seraient les terribles représailles que les fellaghas exerceraient à l’encontre des « traitres » après le départ de la France. Ainsi l’histoire se répétait, les fellaghas jouant le rôle des vietminhs d’Indochine et embrassant à leur tour la figure des vainqueurs, grâce à une victoire due à la lâcheté de l’adversaire, une fois encore… Dans son œuvre littéraire autobiographique et philosophique, Hélie de Saint Marc a écrit des pages inoubliables sur l’Indochine et l’Algérie, d’où jaillissent sa passion et son amour pour ces terres françaises brusquement livrées à leurs destins. Le putsch d’Alger mené par les « généraux félons » Salan, Jouhaud, Challe et Zeller ne changera rien à l’inéluctable mouvement d’indépendance qui s’opérait alors. Leur « geste » fut une sorte de baroud d’honneur. Les accords d’Evian du 19 mars 1962 n’achèveront pas l’histoire pour deux catégories de Français pour lesquels la tragédie restait à venir : les Européens d’Algérie qui auront à choisir entre « la valise ou le cercueil » (entre le 19 mars 1962 et la fin de l’année 62, 1300 personnes d’origine européenne furent enlevées et jamais retrouvées –crime couvert par le silence de deux Etats : celui de la France et celui de l’Algérie) ; les musulmans fidèles à la France qui seront éradiqués en Algérie, ou qui seront scandaleusement abandonnés par la France lorsqu’ils décideront de rejoindre la métropole. Sévillia ajoute que de Gaulle « n’aura jamais aimé ni compris les Français d’Algérie. »

La question de l’usage de la torture qui ne fut l’apanage d’aucun camp est un sujet ultra-sensible, réveillé en 2000 par les déclarations médiatiques du général Aussaresses qui affirmait que tout le monde savait qu’elle existait en Algérie. Ce terrible moyen est malheureusement d’usage dans toute guerre civile. La torture est le plus souvent justifiée par le fait qu’elle constitue une action préventive permettant d’épargner d’autres attentats et d’autres morts. Justification tactique réaliste, mais en rien morale bien sûr. Ne reculant devant aucun mensonge et optant pour une politique de terre brûlée, refusant tout apaisement, la Fédération de France du FLN édictera la consigne suivante : « Quelle que soit la façon dont le patriote sera traité par la police, il devra en toute circonstance, quand il sera présenté au juge d’instruction, dire qu’il a été battu et torturé. » Certaines « belles consciences » d’aujourd’hui feignent de croire ces contre-vérités dans le but de dénigrer le passé colonial de la France, comme toujours, et afin de lui faire porter, seule, le chapeau de la torture. Voici comment Sévillia, toujours soucieux de vérité et de pondération, pose les termes du débat : « Aujourd’hui, en Algérie, l’histoire officielle de la « guerre d’indépendance » n’a jamais désavoué les méthodes terroristes que le FLN a employées pour parvenir à ses buts. Ce qui revient à admettre le principe selon lequel la fin justifie les moyens. Mais pourquoi, en France, d’aucuns font-t-ils à l’armée française un procès moral rétrospectif sans faire le même à ses adversaires ? Au cours de la guerre d’Algérie, des Européens et des musulmans fidèles à la France ont été torturés par des membres du FLN et de l’ALN. Cette torture-là, pourquoi en parle-t-on si peu ? […] En 1962, des militants Algérie française (appartenant à l’OAS) ont été torturés par les forces de l’ordre. Pourquoi cette torture-là est-elle occultée ? La condamnation de la torture serait-elle à sens unique ? Certaines indignations seraient-elles sélectives ? Si l’on étudie le problème de la torture en Algérie de 1954 à 1962, celui-ci doit être examiné sous toutes ses facettes. Sauf à estimer qu’il est de bonnes et de mauvaises victimes de la torture, et de bons et de mauvais tortionnaires. »

Rappeler que la colonisation n’a rien d’un crime en soi, mais qu’elle fut « un moment de l’histoire, une modalité de la mondialisation. »

La guerre d’Algérie n’a pas tué 1 million de personnes comme le soutient la propagande algérienne. Le chiffre, pour autant très lourd, se situe probablement entre 250000 et 300000. Cette guerre était-elle évitable ? Jean Sévillia répond en faisant référence à Lyautey qui voyait se lever depuis le Maroc un mouvement irrépressible d’émancipation des peuples. Notre auteur ajoute que la tradition jacobine de la France selon laquelle « l’Algérie, c’était la France » n’a pas permis d’anticiper la préparation sur le long terme du détachement de l’Algérie d’avec la métropole. Un processus graduel et paisible vers l’autonomie n’a jamais eu lieu. Maniant l’uchronie, en un remake où de Gaulle est absent du pouvoir, offrant ainsi un dénouement probablement différent, Jean Sévillia interroge quant aux difficultés qu’aurait eues la France « à faire respecter la laïcité sur un territoire étendu de Dunkerque à Tamanrasset » vis-à-vis d’une population arabo-musulmane passée de 12 millions en 1965 à 31 millions en 2000. Ses contradicteurs lui rétorqueront que l’Algérie devenue indépendante demeure malgré tout une société verrouillée par le FLN, corsetée entre les mains des islamistes qui y font régner la charia et la violence, le tout dans un contexte d’explosion démographique et de grave crise économique. Boualem Sansal, intellectuel algérien qu’il faut impérativement écouter et lire, prédit à L’Europe des soubresauts violents, sous la forme d’importantes migrations, si la manne du pétrole (qui ne profite qu’aux oligarques du pouvoir algérien) venait à subitement se tarir. Or, certains spécialistes considèrent que l’Algérie ne posséderait plus que deux à trois décennies de réserves de pétrole. Dans la saga des catastrophes annoncées, il y a « le formidable réservoir de recrues pour les réseaux islamistes et du grand banditisme » que constituent, en France, les émigrés et leurs descendants nourris, pour une grande majorité d’entre eux, de la haine de la France et de son action coloniale. Il faut, sur ce point, absolument sortir des mensonges officiels et rappeler que la colonisation n’a rien d’un crime en soi, mais qu’elle fut « un moment de l’histoire, une modalité de la mondialisation. » La France n’a donc pas de dette imprescriptible envers ses ex-colonies. Macron et tous les fossoyeurs de l’identité nationale feraient bien de méditer cela s’ils veulent œuvrer à une authentique réconciliation (bien hypothétique à ce jour). Seule une prise de conscience salutaire renverrait aux limbes les risques de guerre civile. Notre historien conclut son remarquable ouvrage avec Camus qui « avait grandi au soleil d’Alger » : « Nous ne pouvons pas vivre en nous haïssant. »


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