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La poésie est-elle un luxe ?

La poésie est-elle un luxe ?

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A l’heure d’un monde où tout va trop vite, où nous sommes submergés par un flot continu d’informations aussi immédiatement disponibles qu’obsolètes, où règne le culte effréné de l’efficacité exclusive ; la poésie apparaît comme le luxe suranné d’un art de vivre révolu. Fragile image d’un temps évanoui, subtile élégance d’une langue morte mais absolue nécessité d’une société sans boussole.

Une humanité « aux aguets », veilleuses de ses propres turpitudes. C’est sans doute ce que retiendra l’Histoire de notre temps. Une société farouchement individualiste, concentrée sur la satisfaction individuelle plutôt que sur le bien commun. Les exemples hélas, ne manque pas qui illustrent ce thème du repli sur soi à peine démenti par quelques soubresauts de communion fraternelle. L’individu n’intéresse plus le collectif qu’en sa qualité de consommateur ou de producteur. Des légions de publicistes nous promettent sans cesse des jours meilleurs dans un avenir radieux et aseptisé. Auscultée sous toutes les coutures, écoutée, mesurée, pesée ; notre vie n’est plus qu’une foultitude de données que collectent pour nous une kyrielle d’objets connectés.

Cette révolution des data, masses de données agrégées, disséquées, analysées est déjà en marche. Elles permettent de modéliser nos comportements, nos habitudes de consommation et même de définir nos futurs besoins. Rendez-vous compte du progrès. Ce sera désormais notre balance qui nous rappellera à l’ordre, notre téléphone qui nous invitera à marcher davantage, notre frigo qui criera famine et passera directement commande sur internet… La technique, à notre service, pour notre bien-être nous simplifiera la vie. Notre avenir est entre les mains des statisticiens et des algorythmeurs. Réjouissons-nous !

Un très vieil ami me disait : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Ce demain qui se dessine porte en germe le risque majeur de la perte d’une donnée non négociable, parce qu’essentielle à l’homme : sa singularité. C’est là sa plus grande qualité comme c’est aussi sa plus grande fragilité. C’est de notre singularité que se nourrit notre liberté. Toutes les idéologies qui ont raisonné sur des réflexes de masses en oubliant le caractère unique de chaque individu, ont conduit à de biens dramatiques situations. Quand la statistique devient plus grande que l’homme, il est presque trop tard.

Quel lien avec la poésie ? La poésie est précisément ce réceptacle des émotions qui transcrivent notre singularité. Celui qui inspire, celui qui écrit, celui qui lit ne seront pas touchés de la même façon par des mots qui chanteront dans leurs langues propres. La poésie donne à rêver le quotidien. Elle ouvre sur un ailleurs, un différent. Infiniment concrète, douloureusement lucide elle fait exploser les étiquettes et les carcans. Elle se joue des frontières et des barreaux de nos fenêtres. Elle est la plus innocente expression de notre liberté puisque rien ne lui est impossible. Elle fait voir les aveugles, entendre les sourds, marcher les boiteux. Elle révèle l’homme à lui-même et devient subversive aux yeux d’un système qui veut tout régenter.

Aujourd’hui, la poésie est un luxe. Il n’est guère que le poète qui puisse contempler un pissenlit, regarder un nuage filer ou la pluie tomber et en sourire pour la journée. De ces élans, nulle mathématique de boutiquier ne viendra à bout. En réalité, ultime refuge, citadelle de l’espérance, la poésie a toujours été un luxe. Plus qu’un luxe, un acte militant. Pour écrire ou lire de la poésie, il faut finalement avoir une âme en résistance.


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