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Le génie féminin selon Eugénie

Le génie féminin selon Eugénie

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C’est bien connu, la valeur n’attend pas le nombre des années. Vingt-quatre ans, c’est l’âge auquel Eugénie Bastié, journaliste, a écrit en avril 2016 Adieu mademoiselle, sous-titré La défaite des femmes. En préambule, le ton est incisif, avec la définition des féministes telle que Houellebecq l’a donnée dans Les particules élémentaires : « J’ai jamais pu encadrer les féministes. Ces salopes n’arrêtaient pas de parler de vaisselle et de partage de tâches ; elles étaient littéralement obsédées par la vaisselle. […] En quelques années, elles réussissaient à transformer les mecs de leur entourage en névrosés impuissants et grincheux. » Eugénie Bastié, au long d’un premier ouvrage engagé (qui en appelle d’autres) offre une sorte de reportage journalistique sur l’histoire du féminisme. Elle va bien sûr plus loin et nous détaille les ressorts précis du néo-féminisme d’aujourd’hui dont le caractère jusqu’au-boutiste conduit à des impasses sociales, sociétales et anthropologiques. Comme si les conquêtes réalisées jusqu’ici (procréation libre, mariage, divorce, droits politiques et sociaux, femmes ministres, sénatrices, patronnes du Medef, footballeuses…) ne suffisaient pas, et qu’il fallait encore extirper de nos sociétés, non pas les traces de domination masculine, mais jusqu’à l’existence même de toute trace masculine.

L’homme blanc, hétérosexuel, est coupable de tous les torts ; il est condamné à perpétuité. Pour le réduire puis l’anéantir, la logique du Gender et l’hyper-démocratie doivent s’introduire, de gré ou de force (par la pression médiatique et par les lois), dans les foyers et dans les chambres à coucher. Bastié nous dit ensuite par quel modus operandi cela se fait. Ce néo-féminisme a ainsi opéré un glissement de la lutte pour les femmes vers l’égalitarisme, ce qui se traduit par un combat pour l’asexuation de la société ; il est l’héritier direct de la french theory des déconstructeurs Derrida, Foucault, Bourdieu, en vogue sur les campus américains de Californie, et revêt de multiples formes, comme le « sextremisme » des Femen dont l’auteur montre que ce mouvement né en Ukraine « poursuit une révolution révolue, contreproductive, la misandrie entraînant en retour la misogynie, le vide idéologique. » Judith Butler, papesse américaine du Gender, « déporte le combat féministe de la lutte pour l’égalité réelle vers la destruction des normes hétérosexuelles, ces normes définies, dictées par le plus grand nombre qui empêchent les minorités de s’épanouir. Il s’agit d’en finir avec la polarisation universelle du genre humain en deux sexes, jugée artificielle, arbitraire et stigmatisante au profit d’une " transidentité " floue (le queer, que l’on peut traduire par " bizarrerie " en français) ou, au contraire, d’étiquettes surdéterminées quant à " l’orientation sexuelle " déclinée en homosexuel, homosexuelle, bisexuel, bisexuelle, trans, neutre… ». Au sein de l’idéologie de déconstruction, il existe un monstre, celui de la volonté de l’individu qui lui sert, par une logique libertaire poussée à l’extrême, à s’émanciper de tout obstacle de nature à nuire à sa liberté pour, in fine, s’auto-engendrer.

Les terrains de conquête pour « changer la société » : le langage et l’école

Il y a deux terrains d’actions pour les néo-féministes : celui du langage et celui de l’éducation. « En créant des " pompières ", des " grutières ", des " rabbines ", les femmes atteindraient enfin l’égalité réelle. » Etonnante voie qui pour symbolique qu’elle soit, pourrait pourtant changer à terme les mentalités. A l’école, c’est « une éducation au respect de la diversité des orientations sexuelles », via les ABCD de l’égalité et autres programmes visant à lutter contre les stéréotypes de genre, qui doit permettre la rééducation des jeunes et préparer la société de demain. Une déstructurante et individualiste tautologie (le « soyez comme vous êtes ») est inculquée à la jeunesse afin de la rendre servile à l’idéologie libérale-libertaire qui l’accompagnera sa vie durant. La logique de l’antiracisme s’est aussi invitée dans les collèges et les lycées, de même que « l’antisexisme devenu une sorte d’hétérophobie, de dénigrement de la sexuation et d’apologie de la transexualité », avec l’efficace relai auprès des jeunes du numérique libre qui ne connaît ni entrave ni contrôle.

Indifférenciation et eugénisme : le combat contre la malédiction de la procréation pour les femmes

« La perte de la verticalité, du commun, de la limite scellée par un absolu extérieur, a cédé le pas à une horizontalité prométhéenne : l’homme changeable et changeant à l’infini, qui se rit des assignations biologiques ou historiques. » affirme Bastié. L’extension du domaine de la lutte doit s’opérer tous azimuts pour susciter la disparition des fardeaux que sont la naissance et la morale. La suppression de l’appellation « mademoiselle », vestige de l’amour courtois inventé au Moyen-Age, n’a pas été le fait de l’hystérique Vallaut-Belkacem mais de François Fillon lui-même par le biais d’une circulaire demandée par Roselyne Bachelot. Classique alignement de la droite aux valeurs de la gauche gardienne de la Morale et assimilée au camp du bien ! Bastié pose souvent les bonnes questions : « Les femmes ont-elles étaient gagnantes en troquant le biberon-ménage-cuisine contre le métro-boulot-dodo ? » Concernant la GPA, un important paradoxe est assumé par les néo-féministes : comment peut-on vouloir se libérer de carcans et en même temps accepter la marchandisation du corps féminin, sa confiscation par les lois du marché tout-puissant ? L’argument spécieux de Pierre Bergé disparu récemment évoquant une « GPA éthique » ne prend pas et l’on devine les intentions (si peu cachées) de repousser toujours plus loin les limites éthiques, de parvenir à de nouvelles conquêtes, comme le recours à la parthénogenèse, mode de reproduction se passant de gamète mâle, l’obtention de l’utérus artificiel, la démocratisation de l’ectogenèse, c’est-à-dire la production de placentas artificiels pour créer une humanité asexuée grâce à la fée technologique et transhumaniste, la libération de la femme en neutralisant le handicap lié à la fonction reproductrice qui l’affligerait depuis toujours.

Concernant l’IVG, et malgré toutes ses précautions, Eugénie Bastié valide son existence comme un progrès, malgré l’énorme tribut de 200 000 victimes annuelles depuis 1974. Elle permettrait selon elle de traiter l’exception et serait l’ultime recours dans des situations désespérées. Il semble que notre jeune auteur ait totalement occulté ce « légalisme moral » qui génère banalisation et systématisation. En effet, aux yeux du plus grand nombre, ce qui est légal est nécessairement moral. Triste glissement qui conduit l’opinion à considérer un terrible crime de masse contre des enfants à naître comme une nécessité compassionnelle à l’égard de femmes victimes. Le caractère d’accommodement, à l’instar des signes religieux ostensibles pour les musulmans, dessert la lutte d’une plus grande vérité et d’une morale à restaurer dans la société. Il ne faut pas s’étonner, Bastié semble l’être, que le toilettage de la loi Veil par Najat Belkacem en 2014, aboutisse à plus de libéralisation et de banalisation encore, et à la sanctuarisation du « droit à l’avortement ». L’autorité en ces matières devrait au contraire se montrer sans faille pour garantir l’ordre et ne souffrir aucun accommodement, aussi raisonnable soit-il. L’emploi du « nous », plutôt que du « je » jusqu’alors utilisé, page 157 du livre, prouve l’embarras d’Eugénie Bastié entre sa conscience chrétienne et ses combats en faveur des femmes : « Nous ne sommes pas " pro-vie ", nous ne pouvons être et nous ne sommes que " pro-choix ". » Quel dommage de ne pas assumer un vrai conservatisme sur le point-clé du « massacre des saints innocents » qui se perpétue à l’époque moderne et constitue la cause de beaucoup de nos maux. Recouvrant subitement sa clairvoyance, elle fait alors une juste prédiction, sans percevoir ses paradoxes sur cette question fondamentale de l’avortement : « Un jour, peut-être regarderons-nous avec contrition ce temps où aura été encouragée comme un acte " banal ", la destruction d’êtres humains relégués au rang d’un agrégat de cellules. En attendant, nous ne lutterons pas contre cette " culture de mort " en changeant la loi, mais en convertissant les cœurs. »

La question de l’islam et l’incompréhensible position des néo-féministes

Bastié, en lucide conservatrice, nomme le réel et n’a pas la langue dans sa poche : « Les imams salafistes, les caïds de banlieues, les exciseurs professionnels et les rappeurs misogynes suscitent une mansuétude toute particulière de la part de la gauche féministe. » Le féminisme islamisant, quant à lui, laisse songeur sur ce que pourra devenir notre société à forte proportion musulmane. Voici la déclaration fracassante de Rockhaya Diallo, édile du « féminisme indigène » : « Je me bats pour que les femmes puissent disposer de leur corps c’est-à-dire se voiler ou se prostituer. » Sans commentaire. Ou si ! Un ! Où sont les néo-féministes pour combattre les imams promoteurs d’une société organisée par ses propres lois et prescriptions religieuses dans laquelle la femme doit disparaître ? Quant aux arguments fallacieux prétextant que le port du voile est, soit un rempart contre la société française jugée raciste (sempiternelle dialectique victimaire toujours en vigueur), soit un rempart face à l’hyper-sexualisation caractéristique du mode de vie occidental, il est urgent de dire la réalité pour libérer la femme musulmane de cette oppression et refuser la provocation volontaire et prosélyte faite à la laïcité. Nous sommes sur le point suivant en total désaccord avec notre jeune journaliste qui est prête à s’accommoder du voile « s’il découle d’un choix raisonné » -sic- , « ne pas le conforter comme un symbole de contestation politique et d’opposition à la France », ce qu’il est, de fait, et qui reviendra demain, par cet « accommodement raisonnable » avec l’islam, à conférer un statut spécial à cette religion conquérante qui n’attend que cela pour asseoir sa position « d’Etat dans l’Etat ». Dommage que Bastié ne nomme pas les choses jusqu’au bout, tel un Zemmour qui affirme l’évidence de l’incompatibilité de l’islam avec la France. Elle est donc à classer dans une nouvelle catégorie, celle des « intellectuels précoces empêchés », qui bien que perspicaces, ont une sorte de retenue lorsqu’il s’agit de conduire leur analyse à son terme. Pour notre auteur, le féminisme original et utile subit une double menace : le fondamentalisme islamique et le relativisme post-moderne. On retrouve ici l’intuition de Fabrice Hadjaj quant aux deux contre-annonciations que sont islamisme et technicisme.

Sur la place de la femme et en conclusion

Bastié nous gratifie d’un développement intéressant quant à la vision chrétienne de la femme : « L’Evangile, d’abord, le premier livre de l’humanité où des femmes simples, qui ne sont ni des reines ni des héroïnes, ni des prophétesses ni des philosophes, apparaissent et agissent sous leur nom propre. Ce même Evangile qui place une inconnue, Marie, au centre de l’histoire, comme son pivot et son point de basculement puisque, selon le Magnificat, en elle, par son oui, " les puissants sont renversés de leurs trônes et les humbles sont élevés, les affamés sont comblés de biens et les riches sont renvoyés les mains vides ". Cet Evangile enfin où le Christ n’a pas de femme mais vit entouré de femmes, les compte parmi ses disciples et leur réserve la primeur de sa résurrection. » ; « C’est de l’universalisme chrétien qu’est née la première civilisation égalitaire, la première à avoir érigé la femme au rang d’égale ontologique de l’homme, la première à avoir acté un culte féminin et maternel libéré de toute exaltation païenne, à avoir humanisé le mariage au profit de la femme en transformant le marché aux unions en sacrement, à avoir permis aux prostituées de se délivrer de leur servitude et de reprendre une vie sociale. Toutes choses qui ont imprégné le Moyen-Age que l’on moque comme une époque sombre afin de disqualifier, au passage, l’apport unique de l’Occident chrétien en matière d’équité des sexes. Ce qui revient à omettre les avancées du droit sous l’impulsion de l’Eglise, la sanction du rapt, du viol, l’invention de l’amour courtois, l’interdiction de la polygamie et du concubinage… » On voit ici, soit dit en passant, l’abîme qui nous sépare de l’islam…

Bastié conclut joliment : « Qu’est-ce que la féminité ? Je le sais intimement, sans pouvoir le dire autrement qu’en la décrivant. Mais que serait un monde sans différence sexuelle, ou plutôt sans raffinement de la différence sexuelle ? Assurément, un monde sans littérature et un monde sans vie. »

Nous acquiesçons et voyons le caractère incomparable de ce génie féminin sans lequel l’humanité n’aurait aucune saveur et aucun avenir.


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