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Le pessimisme d’Onfray et notre décadence

Le pessimisme d’Onfray et notre décadence

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Il est utile de faire ses courses à huit heures du soir dans les supermarchés. On peut y tomber nez à nez avec Michel Onfray. Ou plutôt, avec son dernier livre Décadence. Est-ce signe positif, en période de déculturation généralisée, de trouver dans les temples sacrés de la consommation de masse le nouveau livre d’un penseur libre et brillant ? Disons-le d’emblée, contrairement à Penser l’Islam et au Miroir aux alouettes, les deux derniers et courts ouvrages d’Onfray commentés pour Mauvaise Nouvelle, le pavé est épais, 600 pages, et ambitieux puisqu’il est sous-titré De Jésus à Ben Laden Vie et mort de l’Occident. Tout un programme. Avec une telle visée, nul doute possible, c’est du Onfray. Et on va être servi car le philosophe médiatique a décidé d’attaquer frontalement le judéo-christianisme. L’auteur du Traité d’athéologie va nous donner le sentiment, tout au long de sa démonstration à charge, de se tromper de combat d’une part, et d’être brouillon et imprécis d’autre part. Ce deuxième volet d’une trilogie, après Cosmos et avant Sagesse, ne brille pas par sa modestie, sa mesure et sa finesse. L’agressivité n’est pas en filigrane, elle s’inscrit en caractères gras pendant 600 pages.

Pourquoi disons-nous qu’Onfray se trompe de combat ? Parce que depuis l’histoire sur Canal + du mug à l’effigie de Daech, en passant par ses deux précédents ouvrages cités plus haut, il avait jusqu’alors fait preuve d’une grande lucidité pour désigner l’ennemi le plus dangereux de notre époque : l’islamisme. Il avait même osé affirmer que « sa » civilisation judéo-chrétienne qui ne prêche pas l’assassinat ou la lapidation des femmes était à ses yeux bien supérieure à celle, l’arabo-musulmane, qui couvre irrésistiblement d’une ombre menaçante l’Europe et la France. Il avait décidé d’enjamber la ligne rouge en affirmant, en dépit des mots d’ordre de la bien-pensance, que l’islamisme a bien un lien avec l’islam, et avait ainsi fait voler en éclat le détestable « pas d'amalgame » que psalmodiaient jusqu’au vomissement les médias. Mais Onfray, comme le remarquait une fine observatrice, n’aurait-il pas trop frayé ces derniers temps avec les forces conservatrices qui se mettaient à l’aimer, le citer, le commenter, le méditer ? Sa virulente, grossière et peu convaincante attaque de la religion catholique n’a-t-elle pas pour but de rassurer les progressistes sur la pureté de sa doctrine athée et anticléricale ? Car tout cela est trop lourd, trop pataud, et trop simpliste pour être vrai. Ce religieux qui s’ignore, comme nous le qualifions souvent, est-il cohérent, après pareille entreprise de déconstruction et de dénigrement, quand il s’apprête à rejoindre prochainement la Trappe pour un temps de retraite de dix jours ? Après avoir traité la religion catholique de secte moribonde, et avoir péremptoirement nié l’historicité de Jésus, entre autres joyeusetés… Un pamphlet si violent doit sûrement dire quelque chose de l’attachement de l’auteur au sujet maltraité, dans les deux sens du terme : la religion chrétienne et son miracle vieux de 2000 ans. Est-il raisonnable de chercher à tout prix à désinstitutionnaliser, bagatelliser comme dit Chantal Delsol dans la Haine du Monde, l’Eglise, Jésus, les Evangiles, seul contre tous, comme s’il détenait une vérité absolue et comme s’il pouvait renverser la table de 20 siècles d’un christianisme de génie ? Nous pensons qu’Onfray, inquiet de la tournure du monde, sous les assauts du libéralisme, du technicisme et de l’islam conquérant, perd sa lucidité, cherche un bouc-émissaire et tape sur ce qui est le plus facile et le moins risqué. Pourtant, le philosophe déplore pertinemment que « cette Europe du marché qui avait promis le plein-emploi, l’amitié entre les peuples, le cosmopolitisme heureux, le règne de la paix, la croissance assurée, a généré en fait le chômage de masse, la montée de la xénophobie, le multiculturalisme nihiliste, les guerres et le terrorisme, l’économie impuissante face aux défis mondiaux ». Il a entièrement raison sur ce dernier point comme il dit vrai lorsqu’il affirme, une fois encore en dépit des poncifs et des commentaires partout entendus, que Fukuyama s’est trompé dans son livre La fin de l’histoire, quand Samuel Huntington, quant à lui, a parfaitement bien diagnostiqué, en 1986, dans le Choc des civilisations « la fin des Etats qui ne contrôlent plus la monnaie, les idées, la technologie, la circulation des biens et des personnes ; le déclin de l’autorité gouvernementale ; l’explosion et la disparition de certains Etats ; l’intensification des conflits tribaux, ethniques et religieux ; l’émergence de mafias criminelles internationales ; la circulation sur la planète de dizaines de milliers de réfugiés ; la prolifération des armes ; l’expansion du terrorisme ; les nettoyages ethniques ; le paradigme étatique remplacé par le paradigme chaotique », interrogeant ensuite : « depuis cette date, le réel a-t-il donné tort au philosophe américain Huntington? ». Onfray vise à nouveau juste quand il dit que « nous entrons dans les derniers temps des civilisations territorialisées au profit d’une civilisation planétaire » ; que « la matière du monde risque de disparaître dans un monde de virtualité » ; que « le transhumanisme travaille au mariage de l’humain et de la machine, de la cellule biologique associée au microprocesseur informatique » ; que ce transhumanisme est « comme le destin de la fin du destin, achèvement de la puissance en mort réelle de l’homme. Le nihilisme entrant dans sa plus grande période d’incandescence : hyperrationalisme scientiste, technophilie illimitée, optimisme éthique, culture de l’antinature, religion de l’artefact, dénaturation de l’humain, matérialisme intégral, utilitarisme charnel, anthropocentrisme narcissique, hédonisme autiste. Cette ultime civilisation ayant pour tâche d’abolir toute civilisation ». Ce constat de la décadence, nous le partageons pleinement avec Onfray. Son pessimisme est l’intuition que tout est presque perdu, aussi.

Mais comment cet esprit si brillant ne voit-il pas, ou feint-il de ne pas voir, que seul le christianisme avec sa puissance civilisatrice et sa doctrine fondée sur une anthropologie singulière et sacrée a la capacité de détruire l’idéologie du temps : ce transhumanisme et ses corollaires, nihilisme, relativisme et technicisme ; que seul le christianisme peut de nouveau remplir le vide moral de l’Occident et ainsi empêcher l’Islam de s’y engouffrer ? Monsieur Onfray, de grâce, quittez vos vieilles luttes, pour la seule qui vaille : la défense de notre civilisation judéo-chrétienne et son héritage grec et latin, en passe de disparaître. Vous êtes, nous le savons, intimement convaincu, in petto, que c’est le combat juste.


Onfray tue le mythe Sade et en rebâtit un autre
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Onfray décortique Don quichotte le dénégateur
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Lélian déboulonne Onfray
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