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L’exquise sensation du rejet

L’exquise sensation du rejet

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Voilà un roman où l’on se mire beaucoup, où l’on se marre beaucoup et où l’on meurt à petit feu. L’exquise sensation du rejet, c’est bien un titre fait exprès pour nous concerner à l’exclusion de tous les autres. Il nous élit, il nous convoque, nous tous les fiers à bras, les adultes trop adultes, les gens établis ayant une situation, les anti-héros de nos enfances, pour nous baigner de littérature, nous laver de notre pathétique, nous délivrer de la vanité de nos choix de vie.

Le récit de Valéry Molet, mal caché derrière Valéry Zabdyr, est celui d’une chute. Au début, il le dit, « Nous étions de jeunes loups. », des sales gosses, prêts à mettre le feu à tout et à en rire. Appartenir à une meute berce dans l’illusion d’être fort. « Sans la guerre, pas de lettres déchirantes, pas de poésie et pas de romans sublimes. » Le jeune narrateur a donc fait de sa vie une guerre… Les voisins, les travailleurs, des idiots, des cadavres, sont des ennemis méprisables. Avec ses amis, l’adolescent insulte à tour de bras comme on rejette plus loin l’inéluctable âge adulte, l’inéluctable vie ordinaire. « A quoi bon ces vies circulaires : le travail, l’événement sportif, la boisson, les vacances et une femme écœurante à quarante ans avec des enfants qui répètent le processus ! » Il vaut mieux goûter à l’éternité des beuveries et à l’aventure des bagarres. La jeunesse se doit d’insulter la vie. « On riait souvent même si nous étions violents, suicidaires et sombres. » Quand on est jeune, on est prêt à se suicider rien que pour la beauté du geste, ce n’est que plus tard, que les suicidés deviennent éternels.

L’exquise sensation du rejet se lit en cinq bouchées, quatre respirations. C’est rapide, court comme une vie. Cinq tronçons de vie, un amour, quelques décès… La première partie du roman s’achève : la jeunesse a disparu. Leurs petites amies sont devenues leurs femmes. Le processus sournois de transformation du loup en adulte s’installe et la domestication, vendue comme la contrepartie de l’amour, demeure seule au premier plan. Lui est avec Hélène, « Hélène demeurait un mystère. », cette femme avec qui il n’a jamais parlé pendant 30 ans. « C’était une femme sans pitié. ». La seule femme qu’il ait aimée. La femme qu’il va tromper. La femme qui ne l’a jamais aimé. La femme qui va le haïr.

L’âge adulte se cristallise réellement avec la mort des pères. C’est la mort des autres qui nous fait vieillir. Les pères meurent, le père d’Hélène, le père du narrateur et les vivants restent incapables de les remplacer même dans leur médiocrité. « L’Hélène que j’avais connue lorsque j’étais un jeune loup agressif, venait de disparaître… » Nous ne sommes plus dans l’âge des possibles mais dans l’eschatologie des petites vies humaines. On peut tenter de se souvenir du loup que l’on était mais « La loi sociale est une tentation à laquelle on cède, quand on est plus fringant, et dont on peine à se soustraire lorsque l’on sait à quel point elle n’établit rien. »

L’exquise sensation du rejet révèle parfaitement comment l’homme, malgré le pathétique de sa vie et son incapacité à être un héros, garde un goût immodéré pour le tragique, comme il aime sa condition, comme il se régale à se voir chuter. L’agonie est bien sa raison d’être. Le gâchis est tellement bien amené, tellement lié à la nature humaine que l’on peut en jouir et s’en délecter, en littérature surtout.

Nous avons là un récit initiatique à rebours, le récit d'une chute finalement prévisible. La vie est un long poème révélé par la mort. C'est la mort qui fait le montage de la vie, disait Pasolini. La littérature aussi fait la même œuvre. « Il ne demeurait que la peine immense d’assister au massacre de mon passé, à l’écrasement sournois de mon présent et à la nullité d’un avenir forclos. (…) Pour la première fois de ma vie, je me sentais adulte. » Alors qu’est-ce qui empêche l’homme à la situation sociale établie de nous raconter ses déboires amoureux et son passé de voyou pour qu’on en jouisse ? Qu’est-ce qui nous empêche d’en jouir ?


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