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L’Impasse du salut, un roman catholique

L’Impasse du salut, un roman catholique

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Maximilien Friche publie aux Editions Sans Escale un second roman intitulé L’Impasse du salut. Tout à la fois questionnement métaphysique, réflexion sur l’incarnation, la faute, le mal, le péché, la rédemption, la mort, le sens et l’absurdité des choses, le livre de Friche ne ménage pas le lecteur. Avec l’intention en filigrane de prévenir que pour vivre une vie intensément et en saisir les fondements, toutes les voies sont de traverse et même vaines, sauf une peut-être que propose Saint Jean à travers l’interrogation prêtée à Simon-Pierre dans le quatrième évangile : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. » Le roman de Friche est une subtile ode au christianisme, son génie et sa nécessité vitale pour l’homme. S’inscrivant brillamment dans la filiation intellectuelle de Pascal, Châteaubriand, Dostoïevski, Bernanos, Saint-Exupéry, notre auteur parle des seules choses qui importent vraiment : Dieu et l’homme véritable. Tout le reste n’est que bagatelle. D’une belle écriture vive, cadencée et puissante en évocations, il nous plonge dans l’univers de son héros Renaud Manne, sexagénaire tout juste retraité, père de famille désabusé par la société moderne (« conspiration contre toute espèce de vie intérieure »), citoyen standardisé par le monde du travail qui l’a rendu complice de l’eugénisme mental qui y sévit, homme déçu par ses enfants, sa femme et finalement lui-même. Anti-héros houellebecquien, Manne, das Mann, L’Homme, est l’acteur principal d’une époque qu’il n’aime et ne comprend pas. Peut-être car elle n’en finit plus de délégitimer tout ce qui est masculin, viril, fort pour donner ad nauseam la totalité de l’espace au féminin. Manne est l’un parmi les innombrables figurants à l’intérieur de ce décor humain que Pierre Boutang appelait si justement « théatrocratie ». Une sorte de monde décivilisé, désincarné, déverticalisé, déterritorialisé, ayant vidé de toute substance véritable les êtres, univers sans âme et sans espérance mû par de tristes et insipides « industries de l’hébétude ». Misanthrope, « original et personnalité intéressante », Renaud Manne n’adopte la posture de la marge (marginalité ?) que parce qu’elle lui semble la plus honnête, ajustée au spectacle offert, joué et subi par le personnage de scène qu’est l'homo-festivus. Dans l’Homme surnuméraire, Patrice Jean ne faisait-il pas dire à l’un de ses personnages : « Dans un monde qui appartient aux pignoufs et aux sophistes […], cher Clément, ne me prenez pas pour un naïf, je dissimule, je ne dis jamais ce que je pense, sauf lorsque je rencontre un esprit libre, ce qui est rare. ». Manne aussi a dû composer en tant que DRH « à coup de monologues inaudibles » et subir « l’humiliation d’avoir dû mettre sa pensée, la vérité, au service d’une entreprise, d’un camp ».

Notre homme se sait dépassé. Il a probablement fait allégeance au monde d’avant. Il éprouve d’ailleurs son déclassement quotidiennement en famille, au contact de ses enfants : « C’est de la discussion en imitation de ce qu’ils ont toujours vu à la télévision […] on ne leur a rien appris. Ils n’arrivent pas à donner l’impulsion nécessaire sur le dernier mot pour signifier que la parole sera laissée. Ils ne savent pas que c’est au bout de deux secondes de silence que l’on peut débuter un nouveau sujet, ils ne savent pas que le français a un accent tonique placé sur la phrase et non sur le mot. Le père Manne leur a fait sentir souvent toute leur ignorance à ce sujet, mais trop tard. » Dans le cirque post-moderne où il se débat, Manne pense que « Tout homme devrait rire cyniquement de ses faits et gestes, de son allure forcément surjouée, de sa façon obligatoirement vulgaire de s’exprimer, de ses gestes tous maladroits, de la bêtise de ses propos, tout homme devrait s’écœurer de s’entendre salir le Verbe, et de participer à la niaiserie généralisée produisant raisonnement sur raisonnement. » Alcuin, précepteur de Charlemagne, disait déjà ces choses mille deux cents ans plus tôt dans un superbe dialogue avec son maître : « Qu'est-ce que l'écriture ? demandait Charlemagne - La gardienne de l'histoire, répondait Alcuin - Qu'est-ce que la parole ? - La trahison de la pensée - Qui entendra la parole ? - La langue - Qu'est-ce que la langue ? - Le fléau de l'air - Qu'est-ce que l'air ? - Le gardien de la vie - Qu'est-ce que la vie ? - La joie des heureux, la douleur des malheureux, l'attente de la mort - Qu'est-ce que l'homme ? - L'esclave de la mort, l'hôte d'un lieu, un voyageur qui passe. » Résonnent ici les thèmes qui devraient mobiliser toutes les forces de l’homme, son intelligence et les moindres fibres de son âme. Au lieu de pervertir son esprit et de s’offrir lascivement à toutes les baguenauderies. Au lieu de dilapider un capital sacré et se contenter naïvement de la surface des choses. Maximilien Friche conclut son roman par une sentence lapidaire pour appuyer encore sur l’absurdité apparente de notre condition : « C’est idiot, tout le monde meurt d’un arrêt du cœur. » Notre auteur n’en a pas moins ouvert au préalable quelques voies pour dérouter ceux qui le suivraient des impasses piégeuses. Comme un veilleur ou un lanceur d’alertes, il a pointé précisément les périls. Nul doute possible : Friche se soucie du salut de son prochain.


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