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Manifeste pour écrivains catholiques du futur

Manifeste pour écrivains catholiques du futur

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S’écrire et non écrire, s’inscrire entre la mort et la résurrection, faire de sa chair du verbe, manipuler l’ironie du sort, se sacrifier pour faire vivre un objet, le livre. Notre ambition est très modeste, nous écrivons pour le salut du monde.

Maurice G. Dantec s’est ainsi qualifié : un catholique du futur, un catholique de la fin des temps. Il faut rajouter écrivain devant pour être complet, et apporter une définition. Sur un plateau, tous les journalistes et critiques ont d’ores et déjà leur titraille de faite. En ayant conscience qu’il s’agit d’un écrivain de science-fiction, tout le monde y a facilement trouvé une application accessible pour tous : c’est un écrivain futuriste et catholique, les plus analytiques osent le qualifier de catholique visionnaire. Mais ce n’est qu’un imaginaire que l’on qualifie ainsi, et non l’intention ou la mission de l’écrivain. C’est étrange, mais il m’apparaît nécessaire de connaître le lieu de l’écriture, sa fonction et son but. Qu’est-ce déjà  qu’un écrivain catholique ? Un écrivain qui raconte des histoires de curés ? Un éternel thésard en théologie ? Un écrivain qui planque du catéchisme dans sa narration ? Non. Baudelaire, et même Sartre, ont été des écrivains catholiques, c’est à dire des écrivains possédant une vision très précise du mal et une aspiration démesurée vers le transcendant. Ne pas oublier que l’expression employée est pléonastique, fonctionnant en poupée russe. Catholique induit du futur bien sûr, mais écrivain induit catholique aussi. Catholique du futur devrait être placé entre parenthèses. On sait déjà qu’il n’y a d’écriture que dans le désir irrépressible de vérité et que cette vérité point parfois en dépit de l’intention de l’auteur. On sait aussi que pour un chrétien le royaume est déjà advenu, donc, pour faire téléfilm : le futur est déjà là. Maintenant que les trois mots vont de soi, qu’il a été rappelé qu’il n’y avait pas de quoi sourciller à les voir réunis, il faut en profiter pour comprendre pourquoi un catholique écrit. Qu’est-ce qui fait que le monde chrétien et son corollaire moderne sont les plus grands producteurs de livres du monde alors même que tout a déjà été écrit ? Alain Santacreu, le contrelittéraire, dirait : si le verbe s’est fait chair, pourquoi la littérature ? Au-delà des propos pétris d’érudition qu’engendrent les tentatives de réponses, la question est centrale et nous renvoie simplement à la façon que l’on a d’exister. Si Maurice Dantec précise « du futur » c’est peut-être pour se situer. C’est à dire écrivain de l’après ou de l’avant. De plus tard ou de l’attente ? Ecrivain se situant dans l’attente de la résurrection, car après, il n’y a plus d’histoire à raconter. Il faut se servir de la définition que se donne Maurice Dantec pour en faire l’ambition de tout écrivain et détailler le manifeste qui en découle.

Ironie du sort rabâchée

Notre écriture doit s’inscrire entre deux événements, entre la mort et la résurrection, notre écriture ne doit durer que trois jours en comptant le jour où l’on décide d’écrire et le jour où l’on meurt de s’être entièrement écrit. Le futur est donc un dimanche, le jour de la résurrection. Le début, c’est le rideau du temple qui se déchire et permet que le spectacle commence, le nôtre. Le temps de l’entre-deux, réservé à l’écrivain, est un purgatoire. La matière manipulée est la chair et il doit en faire du Verbe. Le point de départ de l’écrit est la connaissance que notre Dieu s’est fait cadavre. Ce qui donne l’impulsion pour écrire quand on est catholique, c’est finalement le mal triomphant et le bien réfugié dans un corps accroché au bois en croix. C’est à ce moment que disparaît la peur de la page blanche et qu’à flots vient l’inspiration. Après la résurrection il n’y aurait plus rien à inventer. C’est quand on est enfin abandonné que l’on peut prendre la plume. Et les histoires inventées ont toutes un clou, une ironie du sort, un truc du type tel est pris qui croyait prendre. Tel est roi qui finit viande. On pourrait même avancer que la détection de l’ironie du sort, par l’auteur écrivant ou le lecteur lisant, est l’amorce d’un petit moment de jouissance. Cela ne flatte pas que des bons sentiments, mais c’est la mission de l’écrivain, c’est pour cela qu’il a été élu, pour se plonger dans l'écriture du mal, dans un terrible baptême, à la gloire du Créateur. Il doit se comporter comme un équilibriste entre le mal et le bien, c’est pourquoi toute écriture doit être sacrificielle. Un écrivain catholique fait le sacrifice de se commettre avec le diable, de le mettre en scène. Sa routine consiste à rabâcher, piétiner comme un lion derrière les barreaux, entre les deux bornes, la mort et la résurrection, creuser l’abandon dans une tranchée en attendant que le média lui-même, le Verbe, se sauve tout seul. L’ironie du sort qui se retourne sans cesse sur elle-même, dans les infinis surplis d’une narration, va permettre l’irruption de la grâce. Notre victoire sur le monde, c’est la croix. L’arroseur arrosé redevient arroseur. Telle est la chaire suppliciée qui devient finalement nourriture. Le futur arrive pour irriguer le livre depuis le début, car il était déjà là avant le premier mot. Il n’y aurait pas de littérature sans ironie du sort.

Dantec, exemple d’humilité

En situant le lieu de l’écriture, on a donné une définition partielle à « écrivain catholique du futur ». Pour purger le sujet, il faut vérifier le sacrifice de l’auteur. Maurice Dantec est le bon exemple d’une écriture sacrificielle, incorporant toute vérité à l’appareil de la narration sans jamais renoncer à raconter des histoires. Dantec s’est déjà écrit entièrement. Car l’objectif est là : s’écrire complètement, faire de toute sa chair du verbe pour pouvoir mourir en paix. Les auteurs n’existent pas, ils ne sont rien, seul le Verbe existe. Et Maurice Dantec le sait. S’il parle, s’il répond à trois cents questions, s’il accepte de montrer son image, c’est par esprit d’humilité, pour servir l’existence de ses livres. Précisément, c’est l’humiliation nécessaire de passer par la vulgarité de paraître alors que l’on désirerait être englouti par la page. Dantec s’est mis au service des livres à tel point qu’il se contente d’être la marque de fabrique de ses livres, le nom déposé pour qu’ils soient reconnus entre dix mille. C’est la mission de tout écrivain : servir ses livres et disparaître, et non se servir des livres pour paraître. La nuance est de taille et tout ne pourra être démêlé qu’au ciel. Le monde moderne nous accule à faire preuve d'intelligence, c'est à dire à prendre les armes et à combattre. Ce combat doit se faire dans le seul et unique but de permettre l'existence du livre qui est une expression de la Vérité. Une façon de faire est d'épouser la modernité dans ce qu'elle a de plus vulgaire, dans sa mise en scène, dans son art du spectacle. Si le monde nous impose pour faire exister un livre, qu'un auteur existe de plein droit, et qu'il cause bien de lui-même et de la chose, alors il faut que l'auteur fasse lui-même partie de la chose. Il faut en créant le livre, créer l'auteur. Fondre l'intention de l'être dans une image de marque, un pseudonyme en vitrine, recto et verso identique. Il s'agit de mener un jeu avec la société de masse, c'est la stratégie de retournement des armes contre ceux qui les portent. Créer une personnalité porteuse de l’oeuvre, et organe du livre. Le véritable auteur deviendrait ainsi esclave de l'objet créé pour le sauver, et en même temps, d'ailleurs se sauver. Il n'existe pas, il n'est qu'un organe du livre, créé en plus pour son service, un appendice moderne pour garantir l'existence du livre dans le monde. Ainsi il se donne aux lecteurs en pâture, en appât. Dans une inversion significative, l'être auteur devient produit pour que l'objet prenne pleine existence. La société moderne n'y voit que du marketing, et c'est gagné, le livre existe ! Ecrivains de la Vérité entre la mort de son Dieu et sa résurrection, écrivant après la venue du royaume. Ecrivains catholiques du futur ! Notre ambition est modeste : nous écrivons pour le salut du monde.

Publié une première fois dans le revue RING le 16/02/2010.


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