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Marivaux ou l’extase grammaticale

Marivaux ou l’extase grammaticale

Par  

Je retourne au théâtre ces derniers temps. Ce goût de la scène avait disparu en raison de tous mes abonnements. J’étais abonné à ceci et à cela. Je n’arrêtais pas de remplir mon caddie. Là, une conserve de musique actuelle. Ici, un sachet de théâtre antique avec cet air de penser qu’on a toujours mal traduit Sophocle. À hue, un tube de danse contemporaine avec les éternels corps nus - à l’âge de la pornographie, c’est d’un comique ! -, les rampements provocateurs de petite frappe et cette manière de dire que, derrière le spectacle vivant, il y a des penseurs. À dia, les lectures de romanciers dont le plus jeune aurait aujourd’hui cent cinquante ans comme si être vivant méritait la mort. J’étais écœuré par cette floraison d’orties. Cette singerie de l’abonnement me rebutait. J’ai balancé mon caddie dans le canal pour que les ragondins s’en servent de grotte platonicienne. Les rats ont aussi droit à la lumière, même dans la vase. Je me suis mis à siffloter sur les berges en regardant les joggers et les cyclistes. Parfois, l’un d’entre eux disait : « on ne s’ennuie jamais sur un vélo ». Une fois, sous un pont graffité, j’entendis une jeune femme dire d’une de ses amies : « elle a une âme végétarienne ! ». Le sens de la vie revint comme un mouvement onaniste. Plus la vitalité revenait, plus l’envie de spectacle s’émoussait. La scène est une maladie nerveuse, surtout lorsqu’on est sur le strapontin. Je redevenais heureux, sans rien à voir. Je pouvais de nouveau créer. Mais, au bout de ce chemin vers la béatitude, je me demandai : assister à quelques pièces, serait-ce redevenir un ringard ? Devant le miroir, la réponse fut négative.

J’y reviens donc comme un vieux toxicomane. Un opéra. Puis, des concerts à la Philharmonie et à la Scène musicale. Il y a quinze jours, le théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis pour la double inconstance de Marivaux. À ma grande honte, j’en suis sorti béat. La mise en scène est bien en dépit de deux encouragements à la bêtise : du rock et des seins nus comme d’habitude ! Il y avait des collégiens qui, à la vue de la paire de nichons, se sont esclaffés comme des tordus. Ces moqueurs avaient raison. Les acteurs sont excellents. Bref, c’était vif et chouette. Mais, surtout, le texte de Marivaux est splendide. Le dix-huitième siècle a inventé la langue française, limpide comme un bain moussant. À chaque instant, un genou de femme – tel le monstre du Loch Ness – sort du marécage et provoque l’extase grammaticale, lexicale et syntaxique. Une érection est même possible. Avec cette littérature amie, vous avez le sentiment d’être un don Juan, susceptible de conquérir la plus belle femme du monde qui, miraculeusement, apparaît à vos côtés, enthousiaste. Vous êtes le Prince et elle, Sylvia. Le dix-huitième siècle est un entremetteur. Relisons donc ses écrivains incroyables qui ont le don rare de bannir à jamais – on voudrait le croire si les vacances de Pâques n’approchaient pas - la banalité.


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