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Michel Houellebecq en présence de Schopenhauer

Michel Houellebecq en présence de Schopenhauer

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Michel Houellebecq parle En présence de Schopenhauer aux Carnets de l’Herne. Il faut être très attentif et l’entendre répondre, dans ce petit traité, à son maître en philosophie et ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie. Si nous aimons tant Houellebecq, c’est parce qu’il est ce pessimiste à la lucidité implacable, ce contempteur de la société moderne et de son affligeante horizontalité ; c’est parce qu’il est aussi le génie visionnaire de Soumission et encore plus peut-être, parce que lui seul peut donner la recette de la liberté et de la poésie d’une vie : « chaque individu est en mesure de produire en lui-même une sorte de révolution froide, en se plaçant un instant en dehors du flux informatif-publicitaire. C’est très facile à faire ; il n’a même jamais été aussi simple qu’aujourd’hui de se placer, par rapport au monde, dans une position esthétique : il suffit de faire un pas de côté. » Suspension du vouloir, conscience d’un écart, pratique du déphasage : Houellebecq fait du Schopenhauer. Sur le malheur et la douleur, Schopenhauer pour qui « toute vie est essentiellement souffrance » : « le malheur peut être amené par la simple situation des personnages l’un à l’égard de l’autre, par les circonstances ; il n’est alors besoin ni d’une erreur monstrueuse, ni d’un sort extraordinaire, ni d’un caractère atteignant les bornes de la méchanceté humaine ; au contraire, des caractères qui nous sont familiers au point de vue moral, placés dans des circonstances ordinaires, sont les uns à l’égard des autres dans des situations qui les contraignent à se préparer mutuellement, en pleine connaissance et en pleine conscience, les plus atroces malheurs, sans que la faute puisse en être clairement attribuée à l’une des parties. Cela nous montre que le malheur le plus extrême n’est pas une exception, n’est pas amené par des circonstances exceptionnelles ou des caractères monstrueux, mais qu’il est une chose qui provient aisément, comme de soi-même, presque nécessairement, de la conduite et du caractère des hommes, et par là nous le rend effroyablement proche. »

Houellebecq pour qui le « monde est une souffrance déployée » répond, en écho à Annah Arendt : « les personnages « d’une exceptionnelle méchanceté, frôlant les bornes de la nature humaine », ont connu de nombreuses et modernes incarnations. La tragédie de la banalité, produite par des circonstances ordinaires, rendue ainsi encore plus inéluctable, reste à écrire. » En « philosophe de la contemplation esthétique », Schopenhauer « parle de ce dont on ne peut parler » : l’amour, la mort, la pitié, la tragédie, la douleur, l’univers du chant. Sur la contemplation, Schopenhauer : « quand, animé par la puissance de l’esprit, on abandonne la matière habituelle de considérer les choses […], quand on ne laisse pas la pensée abstraite, les principes de la raison occuper la conscience, qu’au lieu de tout cela on se livre à l’intuition de toute la puissance de son esprit, qu’on s’abîme tout entier en elle, et qu’on laisse sa conscience entière se remplir de la contemplation paisible d’un objet naturel directement présent -  que ce soit un paysage, un arbre, un rocher, un édifice  - ; quand enfin l’objet s’est affranchi de toute relation avec quelque chose d’autre, et le sujet de toute relation avec la volonté : alors ce qui est connu n’est plus la chose particulière, mais l’Idée, la forme éternelle, l’objectivité immédiate de la volonté à ce degré ; et celui qui est saisi par cette contemplation cesse par là même d’être un individu, car l’individu a disparu dans l’instant de la contemplation ; il est devenu le sujet pur de la connaissance, délivré de la volonté, de la douleur et du temps. »

Houellebecq : « l’accessoire pour un poète, c’est qu’il est semblable aux autres hommes ; l’essentiel, c’est que, seul parmi les hommes faits, il conserve une faculté de perception pure qu’on ne rencontre habituellement que dans l’enfance, la folie, ou dans la matière des rêves. » Sur l’intériorité, forme la plus aboutie de la richesse et de la singularité humaine, Schopenhauer : « les jouissances les plus élevées, les plus variées et les plus durables sont celles de l’esprit, bien que nous nous y trompions tellement pendant notre jeunesse ; celles-ci dépendent surtout de la puissance innée de notre esprit. Il est donc facile de voir à quel point notre bonheur dépend de ce que nous sommes, de notre individualité, alors que l’on ne tient compte le plus souvent que de notre destin, de ce que nous avons, ou de ce que nous représentons. Le destin peut s’améliorer ; et, lorsqu’on possède la richesse intérieure, on n’attendra pas grand-chose de lui. »

Houellebecq aux illusions disparues : « ce n’est pas sans tristesse qu’on assiste à l’évocation des joies simples de l’homme ordinaire (une vie de famille intime et gaie), tant elles apparaissent, dans nos sociétés modernes, comme un paradis perdu, au profit d’un leurre, l’argent et la renommée, qui suffit à condamner la société moderne ». Sur l’exigence de vérité, Schopenhauer : « un homme plein d’esprit, jusque dans la solitude la plus profonde, trouvera dans ses propres pensées et ses fantaisies une distraction parfaite, tandis que le changement continuel apporté par la société, les spectacles, les promenades, les fêtes sera incapable de repousser l’ennui qui torture l’imbécile. Un caractère bon, modéré, paisible peut être satisfait dans l’indigence, pendant que toutes les richesses ne sauraient satisfaire un caractère avide, envieux et méchant. »

Houellebecq : « écrivant pour l’éternité, comme si son livre seul devait subsister, et contenir l’ensemble de la sagesse humaine, Schopenhauer a trouvé l’énergie nécessaire pour énoncer des banalités et des évidences, lorsqu’il les croyait justes ; il a systématiquement placé la vérité au-dessus de l’originalité ». Sur la joie, ré-insistant sur l’incomparable grandeur des choses simples, un peu à la manière de Thérèse de Lisieux plus tard avec sa voie spirituelle d’enfance, Schopenhauer a le mot de la fin : « la plupart des somptuosités sont de pures illusions, comme un décor de théâtre, et l’essence de la chose manquante. Ainsi des vaisseaux pavoisés et fleuris, des coups de canon, des timbales et des trompettes, des exultations, des cris d’allégresse et ainsi de suite : tout cela est l’enseigne, l’indication, le hiéroglyphe de la joie ; mais le plus souvent la joie elle-même n’y est pas : elle seule s’est excusée de venir à la fête. Là où elle se présente vraiment, elle vient d’ordinaire sans être invitée ni annoncée, d’elle-même et sans façon, s’introduisant en silence, souvent pour les sujets les plus insignifiants et les plus futiles, dans les circonstances les plus quotidiennes, pour des occasions même qui ne sont rien moins que brillantes ou glorieuses. »


Houellebecq : celui qui ne sait ni écrire ni vivre
Houellebecq : celui qui ne sait ni écrire ni vivre
Tsss… Houellebecq, Houellebecq !
Tsss… Houellebecq, Houellebecq !
Et Houellebecq fit ouin ouin
Et Houellebecq fit ouin ouin

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