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Michel Maffesoli, La nostalgie du sacré

Michel Maffesoli, La nostalgie du sacré

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Dans La Nostalgie du sacré, le professeur émérite à la Sorbonne et membre de l’Institut universitaire de France, Michel Maffesoli, nous invite avec la phrase rimbaldienne « Posséder la vérité dans une âme et un corps » à « être réaliste en reconnaissant l’étroite union de l’esprit et du corps, et ainsi cerner les mystères terrestres en référence aux mystères du sacré ». Ainsi peut-on d’après-lui ouvrir quelques portes de ce merveilleux palais qu’est la vie.

L’exorde de l’ouvrage est limpide et le tout-puissant rationalisme de l’époque va trouver à qui parler avec le fort en thèmes Maffesoli : « Le retour du sacré c’est, tout simplement, le retour aux lois naturelles comme propédeutique au surnaturel. » Cette renaissance des choses cachées est repérable dans l’engouement des jeunes générations pour le spirituel. « La politique, les politiques, le politique » n’auraient plus rien d’attractif et cèderaient désormais la place à une soif d’infini. Il n’est pas jusqu’aux commerces qui n’empruntent la voie : « La boulangerie Au bon pain tend à céder la place à la Flûte enchantée. De même le Café du commerce disparaît au profit du Pub du Graal et autres Carpe Diem. Et que dire du bougnat du coin qui attire sa clientèle en proposant du « Dix vins » ! Il suffit de se promener dans nos villes pour voir, tous métiers confondus, une myriade d’exemples en ce sens. »

Notre auteur propose un itinéraire de méditations autour de la catholicité essentielle, celle du fait religieux, c’est-à-dire de la « reliance » comme fondement de la culture occidentale. Cette re-liaison est aujourd’hui facilitée par les technologies numériques. Les jeunes générations, connectées, ont une appétence au sacré qui n’a rien d’obsolescent ou d’obscurantiste : « Elles actualisent cette prémonition de Mozart : « L’inconnu me parle. » » Les classes populaires, autre signe dans un monde ébranlé par la vitesse, incarnent une forme de sagesse visant à unir le naturel et le surnaturel, sorte « d’inclination devant ce divin sens commun » (Villiers de l’Isle-Adam) qui prend aussi le visage de ce populisme que la post modernité pressée rejette. A rebours, le monde élitaire bâtit son univers en perpétuelle transformation sur le principe de la prévalence des idées, ce qui aboutit à une dénégation de la transcendance. Notre auteur affirme qu’il n’y a pas d’immanence sans transcendance, autrement dit qu’incarnation véritable et verticalité se fertilisent mutuellement. C’est là tout le contraire de l’abstraction des idées chérie par les progressistes.

Pour définir le mystère de l’incarnation, notre professeur parle d’ « être primitif » soumis à des pulsions qui le dépassent, forces intérieures qui le font accéder à un être transcendant. C’est à partir de cet être-là, charnel, que l’on peut toucher à la divinité. Saint Thomas, en son hymne Adoro te, en témoigne : Adoro te, devote, latens Deitas, quae sub his figuris vere latitas (je vous adore dévotement, ô Divinité cachée qui vous tenez réellement voilée sous ces figures).

En cette révolution intérieure qu’il croit voir, Maffesoli décrypte « un dépassement du moi individuel pour accéder à un Moi collectif engendré par le passé et conforté par la tradition. » Nous pensons à Chantal Delsol expliquant que le holisme de nos sociétés a été remplacé par l’individualisme hyper sécularisé. A en croire Maffesoli, le mouvement pendulaire inverse de l’individu vers le collectif serait à l’œuvre. S’opérerait donc la transmutation du désenchantement du monde vers un réenchantement. En témoigneraient la recrudescence des pèlerinages, les solidarités concrètes et toutes les formes de spiritualité qui se font jour. Pour ne pas paraître trop ingénu, l’auteur pointe le danger des sectarismes et des fanatismes religieux dont l’islamisme, en ses multiples manifestations, est l’exemple achevé : « On peut se demander si la barbarie sanguinaire de cet islam se voulant conquérant (mais peut-être l’est-il intrinsèquement) n’est pas l’enfant naturel du rationalisme moderne. » Fabrice Hadjadj a bien analysé dans son livre, La Résurrection mode d’emploi, les similitudes entre le technicisme (d’essence rationaliste) et l’islamisme ; il les rassemble sous un vocable commun : les « deux contre-annonciations ».

L’invitation au mystère proposée à chacun de nous passe par l’intimité, le secret. Pierre Boutang parlait de « l’ontologie du secret ». Chesterton, lui, énonce : « Ce qui est sacré est toujours secret. » Et Maffesoli de poursuivre : « Le « je ne sais quoi » unissant le divin et le mystérieux est observable dans la beauté de la nature, ce dont témoignent la symphonie des oiseaux ou la splendeur d’une nuit étoilée, mais qui est également repérable dans les émotions suscitées par les grandes œuvres de la culture, telle une élégante symphonie, une belle construction architecturale ou l’intense plénitude d’un tableau d’un grand maître. En chacun de ces cas : nature ou culture, le sublime nous transporte au-delà de nous-même et nous fait communier à quelque chose de divin. »

Il y a assurément une prévalence de Dieu qui, tout en semblant absent, témoigne d’une éternelle présence. Le poète allemand Friedrich Hölderlin l’exprimait magnifiquement : « Dieu fait l’homme comme la mer fait les continents, en se retirant. » Nous avons toujours eu le souci des interrogations et énigmes pérennes et, face à cela, tout le reste -développement technologique multiforme, acquis sociaux divers, bien-être existentiel- pèse finalement de peu de poids. La cyclologie de l’histoire est en cours : Dieu au Moyen-Âge, la Nature de la Renaissance, le Moi pour la Modernité mais, immuablement, récurrent, le souci heideggérien de l’Être nous étreint toujours, par-delà les conjonctures du temps.

En conclusion, notre auteur se risque à la prédiction : « On voit que c’est le relationnel qui va constituer le cœur battant de l’époque en gestation. Mais cela veut dire qu’il faut prendre en compte le passage d’un anthropocentrisme moderne, devenant de plus en désuet vers un théocentrisme redonnant au désir de l’Autre la place qui était la sienne avant les temps modernes. » Prenant la posture du prophète, Maffesoli révèle sa vision intime, sorte de vœu jailli de prémices porteuses d’espoirs : « Le peuple juvénile retrouvera sa force dans l’éternelle catholicité. »


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