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Miséricorde : L’écrivain peut-il être exorciste ?

Miséricorde : L’écrivain peut-il être exorciste ?

Par  

« Miséricorde à qui voulut tenir

et la chair et l’esprit

Heureux qui tergiverse

en confession surpris. »

 

Logion 29, Evangile de Thomas : « Jésus a dit : Si à cause de l'esprit la chair est advenue, elle est merveille ; toutefois si c'est par l'esprit qu'a été le corps, il est merveille de merveille ; mais plutôt, moi je m'émerveille de ceci : comment cette grande richesse a été placée dans cette pauvreté. »

 

Quelle n’a pas été la surprise du narrateur de La Miséricode de Raspail, Jérôme des Aulnay, gloire du barreau Parisien et ancien avocat assistant du bâtonnier de Bordeaux, devenu avocat conseil des requins de la finance, quand il a reconnu, dans le confessionnal, après 47 ans, la voix de l’immolateur assassin de Bief ! Grande distance temporelle entre les deux événements, un demi-siècle, entre le jugement de l’assassin curé et cette confession. Mais il s’agit d’une distance qui se trouve en quelque sorte dédoublée par la distance elle-même entre les deux confessions du narrateur dans sa vie à trou béant de catholique pratiquant. Une traversée du désert du pardon en quarantaine.

 

Pris au piège des confesseurs

Cette entrée en matière ne pouvait pas ne pas me mettre l’eau bénite à la bouche. J’ai vécu une situation assez similaire avec un retour inopiné en confession il y a deux ans un peu avant les Pâques. Une église du Mans, inconnue de moi malgré mes années d’étudiant dans la ville. La porte ouverte m’invitait à la visiter. Et me voilà pris au piège des confesseurs et leurs filets de saint Pierre. Moi aussi l’une des premières choses que je vais accepter de demander à me faire pardonner est cette longue absence de retour sur moi-même, boudeur que je suis de ce sacrement ecclésial. Il faut dire que j’ai toujours éprouvé une méfiance envers cette pratique religieuse ressentie comme un viol psychique, méfiance qui s’est prolongée dans un refus radical au plan pratique et une réfutation théorique de la psychanalyse Freudienne. Mais c’est une autre histoire, nous en reparlerons peut être. Compte tenu de mon inconfort psychologique envers la psychanalyse qui a peut être déteint sur ma relation gênée au sacrement de confession tout autant que l’inverse, pourquoi avoir continué à lire ce roman au lieu que de le jeter tout de suite à la corbeille puisque qu’il débute par une arrivée au confessionnal ?

Parce que c’est le dernier roman de Jean Raspail. Voilà une raison suffisante et aussi parce que la confession vue dans son aspect supérieur reste une pratique qui fait défaut dans nos vies d’hommes modernes. Elle pourrait retrouver sa place et sa valeur mais sous trois conditions seulement.

  • La première bonne condition idéale serait que le confesseur soit lui-même un saint. Bien sûr qu’un saint curé d’Ars, un Padre Pio, à portée géographique raisonnable ne m’auraient pas compté aux abonnés absents de confesse. Mais les curés d’aujourd’hui… En réalité à partir de l’âge de 25 ans je me suis confié à des saints mais hindous, voilà pourquoi je n’ai pas tellement cherché dans le catholicisme. Ce dont il s’agissait alors c’est de confidences orales ou écrites plus que de confession.
  • La deuxième condition à mes yeux pour qu’une confession soit vivable, c’est qu’elle soit surtout une catharsis et non un procès de nos « offenseurs », non une accusation plus qu’une confession.
  • La troisième condition c’est qu’elle ne soit pas une inconsolable honte de la faute, l’anti- thèse du « consolament » cathare. Car au contraire, il faut bien que l’âme humaine soit consolée dans l’Esprit faute de tourner en rond dans un éternel ressassement désemparé de la culpabilité… jamais apaisée comme la soif des dieux sanguinaires barbares.

Je crois que ce roman, il faut le lire pour le vérifier, remplit bien ces conditions. Il constitue un véritable enseignement métaphysique théologique et mystique sur le pardon.

 

Une certaine aptitude à envisager le rapprochement possible entre criminalité et sainteté est comme un pré requis pour la lecture de ce roman.

Faute de trouver un saint, ce roman de Raspail amène le conseiller des requins de la finance vers un curé accablé pas le poids, 50 ans plus tôt, d’un crime odieux, imprescriptible pour lequel il a échappé de justesse à la guillotine, par grâce présidentielle. Celle-ci a été obtenue non par le bâtonnier lui-même dont la plaidoirie techniquement bonne avait fait chou blanc en audience, mais par les mots justes de son assistant : notre narrateur. D’ailleurs il faudrait faire une thèse sur le parallèle entre la guillotine et le volet coulissant du confessionnal qui claque. Pourquoi le bâtonnier a échoué à sauver la tête du criminel curé ? La réponse de l’écrivain est claire :

« A son habitude, le bâtonnier H, fut éblouissant, ce qui ne l’empêcha pas de perdre le procès. J’explique cela par le fait qu’il n’était pas du tout croyant, et disposition aggravante dans ce cas particulier qu’il n’avait aucun sens du sacré. » Page 15

Le plus grand crime trouve une équivalence dans la plus grande sainteté, où ils se rejoignent après mutation. La thèse du roman est que le curé a tué parce qu’il était saint, la grâce présidentielle découle de cette compréhension. Cette mutation, notre écrivain va chercher à nous la faire percevoir dans chacune de ses étapes progressives. Lorsque le criminel a signé sa demande de recours en grâce par exemple : « Il dit simplement en signant : Pourquoi pas ? On ne sait jamais. Il y a plusieurs vies en une vie… ». Le changement commence déjà dans cette signature qui est une demande de pardon et elle se traduit par la voix. Cette voix avait été altérée à l’issue du procès : « La voix, sa voix détestable du procès, méticuleuse, insensible, avait déjà changé. Dans cette petite cabine toute noire, je venais d’en retrouver les accents inattendus qui m’avaient surpris et ému l’espace d’un instant, autrefois. »

Une certaine aptitude à envisager le rapprochement possible entre criminalité et sainteté est comme un pré requis pour la lecture de ce roman. Pouvons-nous parler alors d’un roman confession de Jean Raspail ? Ou bien sûr, comme j’avais dans un précédent article sur MN parlé de l’humilité tantrique de Jean Raspail, pouvons nous considérer plutôt ce roman comme une sorte de testament tantrique de Jean Raspail ? Il faudrait bien sûr s’entendre sur ce que l’on entend par tantrique Ce qui est donné comme tantrisme se réduit souvent à une libération sexuelle. Mais que devient ce sexe dit libéré et pour aller où il se libère ? Aristocratique, un plus authentique tantrisme s’adresserait par conséquent à une élite fort restreinte. Rien à voir avec les orgies et les défoulements collectifs. Ce tantrisme qui inclut la sexualité n’est clairement pas les ashrams de l’inde transformés en baisodromes thérapeutiques et lucratifs au profit de pseudo gurus. Le joli petit roman de mon amie Blanche de Richemont « Harmonie » évoque fort délicatement le sujet. Ce qui serait de l’authentique tantrisme, c’est une libération spirituelle prenant sur la voie de la main gauche l’usage intelligent et sacré de la sexualité comme un des moyens de cette libération alors que sur la voie de la main droite, la sexualité n’intervient pas sauf sublimée, prenant en compte que nombres d’humains, hommes et femmes, peuvent vivre en tout équilibre et paix une vie de célibat, sans anomalie d’aucune sorte, si la société leur laisse vivre ce choix sans les exclure de la normalité fausse et imposée consommatrice de sexe. Mais bien sûr notre curé de Bief a fait une sacrée violente embardée à gauche de la voie tantrique ! Sainte Vierge !

Ce roman de Raspail qui se passe entre confessionnal et milieux religieux catholique ne déborde certes pas d’une sensualité ébouriffante. J’ai parlé de modestie tantrique de Jean Raspail dans mon article de convalescence du covid 19 quand j’étais dans la lecture de son roman « L’Ile bleue ». J’ai vu alors Raspail en anti héros tantrique. Bien guéri aujourd’hui, j’ai continué avec cette lecture du dernier roman de Raspail. Je vois que l’humilité tantrique est aussi dans la modeste ambition, la discrétion de son tantrisme en littérature. Tout le contraire de l’entrée du tantrisme en littérature d’un Jean Parvulesco ou d’un Raymond Abellio. Une fréquentation du dieu Eros anti héroïque, aussi indéfinissable que Dieu dans la théologie apophatique ? Et pourtant une épiphanie fulgurante de la chair amoureusement réclamée. Dans l’âge noir, n’ont cessé de se battre les unes contre l’autre, et l’autre contre les unes, forces de l’esprit contre la chair et l’inverse. L’intensité dramatique de ce combat tragique est montée à son paroxysme dans ce roman.

Revenons donc à ce passage clé du roman :

« Nous fûmes reçus, le président et moi par le président de la République…./…
Maître vous êtes jeune qu’en pensez vous ?…/…
Monsieur le président, cet homme a tué sa maîtresse et son enfant précisément parce qu’il était prêtre. Ne l’aurait il pas été au plus profond de lui-même qu’il se serait contenté lâchement des facilités humaines. De nos jours, une vie de défroqué marié, cela n’a rien d’impossible. L’Eglise même, parfois, l’envisage. Cela s’appelle réduction à l’état laïc. Or c’est précisément parce qu’il était habité par Dieu que le curé de Bief a tué. Je n’ai rien à ajouter. » Page 17

Le pardon est certes l’oubli demandé au Créateur, un oubli de fautes dont il faut d’abord se souvenir soi-même pour qu’elles tombent dans l’oubli universel et cosmique. Si nous voulons obtenir que Dieu oublie, il nous faut d’abord passer par l’exercice de la mémoire. La confession, comme le journal intime, aurait au moins cette vertu de la faire travailler cette mémoire Mais l’oubli divin sera d’autant facilité que nous aurons aussi su oublier de notre côté le bien que nous avons fait à nos frères. Raspail place ici discrètement sans la citer la parole du Christ dans Mathieu 6.3 « Mais toi quand tu fais l’aumône que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite ». Un bien beau rappel de cet enseignement dans « Magnificent Obsession » un film américain de John Stahl de 1935 donne en français une traduction qui m’alerte : "Le Secret magnifique." Ce serait le vrai secret Maçonnique : Le Mystère du bien qui se cache comme la société secrète « Les Compagnons de la Consolation » dans le dernier roman de Balzac « L’envers de l’histoire contemporaine. »

Et dans le dernier roman de Raspail ne touchons nous pas aussi au mystère de la sainteté cachée ? Ce bien salvateur pourtant se rappelle au narrateur, au moment de sa confession non par le jeu purement interne de sa mémoire mais par la présence même, devant lui, de celui qu’il a sauvé physiquement d’abord et spirituellement ensuite en lui laissant justement ce temps d’autres vies dans une vie, pour se consacrer à son ministère de grand confesseur.

« Le curé de Bief fut gracié. En ce temps là cela signifiait la détention à perpétuité. Sans doute me devait il la vie. Ce que j’oubliais bien vite»

Le pardon de l’Eglise quant à lui s’obtient au prix des peines légères pour les fautes graves commises. Cette économie reste un mystère voir une cause de doute. Que sont quelques « Ave Maria » et « Notre père » récités sur un banc d’église pour passer à zéro en solde de tout compte, du seul fait que Jésus lui-même sur la croix a tout soldé et que l’Eglise Le représente ? Mais, autre problème, le narrateur est aussi lucide sur cette absolution ramenée à une réconciliation au fil du temps dans le monde égalitaire de l’Eglise moderne.

« Ah, il ne s’agissait plus que de se réconcilier. Comme si Dieu et moi avions partagé les mêmes torts. »

Tout le récit du début de ce roman, pour arriver dans le confessionnal me fait penser à ma propre expérience récente. C’est une franche entrée en matière et pourtant une lente entrée qui tergiverse en confession. Notre pénitent piégé avait vu quarante voitures sur le parking de ce petit village à quarante kilomètres de Périgueux. La symbolique de la quarantaine. Puis il allait de surprise en surprise. Exactement comme pour moi, il a la surprise de voir la porte de l’église ouverte à cette heure-là. Il rentre et les ouailles rencontrées l’étonnent.

« Au lieu d’être sec comme une source tarie, ce qui est fréquent, le massif bénitier de pierre offrait une eau claire d’une merveilleuse fraîcheur. »

Cette eau vive est une surprise, l’humidité, l’ouverture que l’on me pardonne à mon tour cette comparaison audacieuse, a les mêmes attraits que la tentation charnelle pour un mâle qui n’aurait sinon principalement qu’à confesser des péchés de chair, tout au moins à lui faire la part belle. Etonnement encore : Non seulement l’église n’est pas déserte mais il découvre avec l’affichage à l’entrée que père Jacques assure 28 heures de confession par semaine. C’est comme un cycle menstruel féminin et lunaire. La vingtaine d’agenouillés orants pénitents sont des jeunes filles ou étudiants, quelques hommes d’âge mûr, mais ne comporte aucune de ces bigotes abusives. On n’y avance pas à petits pas dans cette église comme les bigotes de la chanson de Brel, mais un bruit retentissant de talons de femmes qui claquent sur le pavé, vient en rompre le silence.

« Une femme marchait dans ma direction, grande élancée, plutôt jolie, une cinquantaine élégante, qui surprenait dans ce chef lieu de canton. Absorbée dans ses pensées, un léger sourire aux lèvres, elle me croise sans me voir et se choisir un prie Dieu sur lequel elle plonge avec beaucoup de grâce et de piété. »

Voilà une invitation à la contrition bien avenante. Pour le vieil homme Jean Raspail, nous supposons que la femme de cinquante ans garde toute sa puissance d’inspiration et sa fraîcheur érotique. Julie d’Aiglemont la femme de trente ans du roman de Balzac nous revient ainsi, vingt ans après, avec de la matière existentielle autant pour le curé confesseur que pour le romancier, surtout si elle est croyante. Le fameux retour des personnages de la comédie humaine pourquoi ne pourrait franchir les frontières des auteurs ? L’imagination ne les connaît pas.

« La douleur n’est viable que dans les âmes préparées par la religion. » Balzac. La femme de trente ans. Aller mourir dans un amour ou en écoutant claquer le volet du bois du confessionnal, c’est toujours mourir, par contre le pécheur repentant pourrait bien vite se repentir moins de ses fautes que d’avoir promis de ne plus pécher !

Une autre surprise doit être évoquée. Le confessionnal, lui-même en tant que meuble : « C’était un vieux confessionnal, un vrai, rescapé du vandalisme clérical des années soixante et soixante dix. » A ce point de ma lecture, c’est l’aubaine, je découvre une excellente excuse de casuistique jésuite à ma bouderie du sacré sacrement. Pas de vraie confession sans vrai confessionnal. Ce n’est pas ma faute, c’est lui ! Ouf ! Le repentant en attente d’absolution agenouillé dans le cabinet noir, avait commencé par évoquer ses peccadilles d’enfance, ce qui a avait forcément mis la puce à l’oreille du Père Jacques sur l’arriéré des absences de recours en grâce karmiques. La belle de cinquante piges avançait à grands pas dans l’église, mais le pardon lui, on s’en approche à petits pas et avec bien des doutes sur le marchandage en cours.

« Ce qui retenait un homme de mon âge, alors que réapparaissait timidement la foi perdue aux alentours de la trentaine- situation classique et aussi banale que la mort qu’il me fallait bien à présent envisager-, c’est que cela semblait vraiment un jeu d’enfant, un petit pas qui ne coûtait rien et hop ! le seuil du pardon était franchi aussi facilement qu’un ruisseau d’eau claire dans une verte prairie, alors que l’on eût du s’attendre, accablé et couvert de cendre, à affronter un puant et gluant fleuve de boue. Parce que j’aurais vécu à peu près convenablement au rythme d’une infinité de manquements, d’imperfections et de fautes, parfois de crimes, qui n’en sont pas, qui n’en sont plus aux yeux de la loi civile mais qui au regard de Dieu n’ont rien perdu de leur gravité ( et pourquoi en serait il autrement ?) ainsi aurait-on le droit au pardon comme à la sécurité sociale, tout guilleret, quarante années effacées comme si elles n’avaient pas existé, pas compté, et cela d’autant plus aisément que l’on est parvenu à un âge où les tentations se sont émoussées, et où l’on a oublié, en sombrant dans la sagesse, à quel point elles furent dévastatrices ? … Trop facile vraiment. » Page 10

 

L’écrivain peut-il être exorciste ?

On doit encore redonner au sujet toute sa gravité, il ne s’agit pas de la seule faiblesse de la chair interdite à un prêtre, mais d’un crime atroce. Tout vice chez un homme ordinaire est décuplé en gravité quand il s’agit d’un prêtre, aussi ce roman qui achève l’œuvre de Jean Raspail, si j’ai posé la question du bien caché qu’il instruit, est-il en charge d’une pénétration métaphysique par le roman des puissances maléfiques ? C’est hisser l’écrivain au rang du démiurge ?

Loin d’être une confession ce roman serait alors une entreprise artistique aux prétentions démentielles, voire luciférienne ? Mauriac, Bernanos ou Julien Green sont trois écrivains Catholiques qui ont tenu à marquer la distance entre leur univers romanesque et celui d’autres romanciers catholiques et qui de plus ont refusé l’étiquette d’écrivain catholique. Voir la communication de Marie-François Canerot parue dans la revue de l’AIEF en 1993 Quand la foi devient roman. « En termes spécifiques, chacun revendique d’être un catholique qui écrit des romans. » écrit-elle. Il est d’autant plus tentant de faire le rapprochement avec Jean Raspail que l’écrivain évoque lui-même le sujet plus spécifiquement lorsqu’il s’agit d’un roman sur la prêtrise. Car comment ne pas penser au roman de Bernanos et son Journal d’un curé de campagne ? Aussi la question ne peut pas ne pas se poser de chercher à savoir si Raspail n’a pas cherché à répondre dans cet ultime roman à la question : Dans quelle mesure il a ou n’a pas été un écrivain catholique, lui qui n’est pas si éloigné d’un certain paganisme ? Cette question peut tout aussi bien déboucher sur une autre interrogation. Est-ce que dans ce roman, Raspail ne cherche pas à s’excuser de n’avoir pas été assez un écrivain catholique tout en ayant l’outrance de traiter du mal chez le prêtre sans être prêtre, et du mal dans l’homme sans être assez saint pour cela ?

Le roman qui débute avec cette confession situe le récit en 2001. La date est marquée en haut de page. Quinze pages plus loin… changement de lieu, de personnages et de temps.  Nous sommes en 1960. A ce moment du récit, l’Abbé Jacques Charlebègue est l’objet des attentions du nouvel évêque de Nivoise, Monseigneur Anselmos. Le roman de Raspail prend pour base documentaire une affaire criminelle authentique qui s’est déroulée en 1950 à Uruffe. Le jeune curé tua sa maîtresse et la dépeça pour tuer aussi l’enfant de ses oeuvres qu’elle portait. Dans le roman de Raspail. Le curé Desnoyer est devenu Jacques Charlebègue et le crime est perpétré à Bief. Le monstre est donc « le curé de Bief ».

Mais la temporalité de la narration du roman elle-même doit attirer notre attention très particulièrement sur la rédaction et les publications du roman lui-même. Cette temporalité fait penser à la confession en cela qu’elle aussi… tergiverse. Le roman est commencé en 1966 sous le titre La croix de Bief. Il est repris en 2003 sous le titre Dieu cellule 25 et édité sans être achevé en 2019. Raspail a alors 94 ans. La confession a été longue à accoucher. Mais il faut noter une chose dans l’observation de ces dates. Le projet du roman commence en 1966 soit moins de 20 ans après le drame. Ni à l’époque du drame, ni à celle du début de la rédaction du roman, l’Eglise ne traversait une crise aussi grave concernant les abus sexuels du clergé sur les fidèles. N’avez-vous pas remarqué comment Raspail voit loin devant ? Raspail meurt et la racaille déboulonne les statues en France comme pour donner raison à son roman Le Camp des Saints. Raspail meurt et un an après l’édition inachevée de son roman qui se termine sur une fin ouverte, la criminalité sexuelle du clergé catholique embourbe toute l’église et la paralyse…

L’image de charité et de bienveillance de Monseigneur Anselmos qui sauva le prisonnier cellule 25 et lui permettra d’accéder à sa réhabilitation sacerdotale est peut être ce personnage qui ne pouvait apparaître dans l’œuvre du romancier avant qu’il ne se soit rapproché lui-même du modèle de la sainteté chrétienne. Rien n’aura pu faire disparaître le costume de crypto-fasciste que Jean Raspail s’est fait tailler après la publication du roman avec lequel il est entré par effraction dans le monde littéraire français Le Camp des Saints en 1973.

Si Raspail peut être identifié à cet évêque et s’il s’identifie lui-même à Monseigneur Anselme c’est assurément et définitivement une image de bonté qui est présentée : « Monseigneur, dit le chanoine Jacquelin, je le sais maintenant, vous êtes un homme bon. La vraie bonté se rencontre rarement dans l’Eglise, comme dans toutes les collectivités humaines. » Page 39

L’évêque qui reçut l’éloge du chanoine que l’on vient de lire, est confronté plus durement à son vicaire général dans une scène de discussion sur le détenu de la cellule 25. Ce dialogue nous renseigne sur la manière dont Raspail se situe par rapport à Bernanos, et comment Bernanos peut être positionné vis-à-vis de la prêtrise sainte. Ainsi tombe, je crois, l’accusation d’entreprise luciférienne surtout si on considère le fait que nous avons affaire à un roman inachevé qui ne prétend pas conclure dans sur le combat eschatologique. On se rappelle alors les reculs mortifiés de Mauriac vis-à-vis de certains de ses écrits. Tout le monde n’est pas Bernanos et Bernanos lui-même n’a-t-il pas outrepassé la mission de l’écrivain en voulant s’attaquer au mal ? L’écrivain peut-il être exorciste ?

« Il tira du carton un livre broché, jaunis, avachi, se rassis, ajusta ses lunettes…/…Oui c’est là, Journal d’un curé de campagne. Il lisait à la façon d’un instituteur qui articule une dictée "Le mauvais prêtre est un monstre. La monstruosité échappe à toute commune mesure. Qui peut savoir les desseins de Dieu sur un monstre ? A quoi sert-il ? Quelle est la signification surnaturelle d’une si étonnante disgrâce ?"
- Bernanos l’avait peut être trouvée à sa façon dit le vicaire général. Il fouillait trop dans le fond des âmes. Il avait l’air d’aimer cela. Quand j’étais jeune prêtre je détestais ses livres. Je me méfiais des laïcs qui écrivent sur les prêtres. Ils ne savent pas. Ils ne sauront jamais. Si le curé de Bief n’est pas fou, s’il est véritablement un monstre… » Page 40

 


Les sœurs de l’Espérance – Dantec
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