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Mythes et mythification de l’auteur Indé

Mythes et mythification de l’auteur Indé

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Auteur auto publié et auteur auto édité

Plus chic, plus flou aussi, « auteur indépendant » (Indé) a remplacé « auteur auto édité » signifiant, malgré tout, peu ou prou de différence. De fait, autoédité avait l’avantage d’être plus clair au premier abord : un auteur qui s’édite lui-même. Dans la pratique, le terme reste pernicieux, car peu d’auteurs font un véritable travail d’édition sur leurs textes cela étant de facto impossible. On devrait plutôt parler d’auteur auto publié, ce qui aurait le mérite d’être clair – du moins pour les initiés.

La confusion entre « publié » et « édité » vient, de toute évidence, de celle entre « publication » et « édition ». Publication équivaut à l’action de rendre publique une information. Ainsi, la publication des bans de mariage, rendre publique l’intention de untel et unetelle de prononcer des vœux de fidélité et autres l’un envers l’autre et vice versa ; publier une loi ; publier les exercices d’une entreprise… Publication est maintenant dans le langage courant non seulement l’action de publier, mais de même un substantif décrivant ce qui a été publié. Ainsi, un article scientifique ou un article de loi, une revue ou un livre sont des publications.

En revanche, l’édition est l’acte d’éditer le texte d’un auteur en en faisant la critique. Cette définition a été de plus en plus occultée au profit d’une signification égale à « reproduction », « publication » et « diffusion ». En ce sens, on peut aisément parler d’auteur autoédité, mais si on considère « éditeur » correspondant à « faire la critique de l’œuvre », il ne peut conséquemment pas y avoir substitution à « autopublié ».

La confusion est toutefois bel et bien ancrée dans l’esprit des lecteurs et celui des auteurs eux-mêmes. « Auteur indépendant » aurait pu avantageusement prendre la place de « auteur autoédité » et « auteur autopublié » s’il n’avait lui aussi recouvert tout un possible d’interprétations.

Qu’est-ce qu’un auteur Indé ? Voici la grande question.

De ce qui précède, un auteur Indé serait un auteur qui s’auto publie à la différence d’un auteur Tradi publié par une maison d’édition traditionnelle où un éditeur a lu, critiqué, corrigé son texte. Ces dernières occurrences : dans le meilleur des cas. Dans notre propos, nous occultons à dessein les auteurs publiés à compte d’auteur par des maisons peu scrupuleuses qui sans faire aucun travail d’édition ou de diffusion sur les textes et ne sont rien moins que des aides à la publication, facturent leurs services à des tarifs habituellement prohibitifs.

La publication d’un roman (ou si l’on préfère son édition), effectuée par une maison d’édition traditionnelle engendre un travail considérable. Que l’on songe à la correction du texte, à la mise en page, à la fabrication d’une couverture (raison pour laquelle de nombreuses maisons gardent un seul et unique modèle de typographie et la même iconographie pour toutes leurs maquettes de romans (Gallimard, Seuil, Grasset, Minuit, et cetera.), au calcul du prix de vente, au marketing et à la diffusion. Tâches dont l’auteur indépendant doit prendre l’entière responsabilité et effectuer en plus de l’écriture.

Mais, pourquoi un auteur va-t-il se charger lui-même de la publication de son texte – ce qui représente une somme herculéenne de travail – si des maisons d’édition peuvent le faire ? direz-vous.

Nous voici au cœur de la question.

En effet, parmi les auteurs Indés, on trouve des auteurs refusés par les maisons d’édition traditionnelles – c’est-à-dire des auteurs qui ont envoyé leurs textes (romans, poésie, guides, essais) à des maisons d’édition ayant pignon sur rue et se sont vus doter d’une fin de non-recevoir pour différentes raisons. En clair : un refus (mais pas que). Ce refus est loin d’être le signe de la nullité du texte. En effet, un bon nombre d’auteurs s’est vu renvoyer leur texte qui est devenu par la suite un best-seller. Pour n’en citer que quelques-uns : John Littell s’est vu refusé son manuscrit Les Bienveillantes par une dizaine d’éditeurs avant d’être accepté par Gallimard et de remporté avec son livre le prix Goncourt. Idem pour Le Testament français d’Andreï Makine, finalement publié au Mercure de France et raflant le Goncourt, le Goncourt des lycéens et le prix Femina. Pas mal pour un manuscrit mis au rebut par une dizaine d’éditeurs.

Bien entendu, tous les manuscrits refusés ne sont pas promus à une aussi belle carrière, mais cela démontre qu’étrillé par les uns peut très bien être adoré par d’autres. Ce qui laisse tout de même entendre que dans le tas des refusés certains textes mériteraient d’être portés à l’attention du public. Mais l’autopublication suffirait-elle à les faire connaître ? Après la publication, il faudrait en faire la promotion. Nous y reviendrons.

Parmi les auteurs auto publiés, on peut aussi rencontrer les auteurs qui voient l’autoédition comme un tremplin vers l’édition traditionnelle. C’est l’auteur qui, sûr de son produit (eh oui, le livre est un produit), le lance lui-même et espère ainsi attirer l’attention d’un éditeur traditionnel. Il y a aussi l’auteur qui fait de l’auto publication, car c’est pour lui le seul moyen d’être libre. « Personne ne touche à mon texte. Je veux publier tout ce que je veux et comme je l’entends, » déclame-t-il à l’envi. Sans oublier l’auteur prolifique qui, bon an mal an, sort un roman tous les deux mois et qui n’écrivant pas des intrigues à l’eau de rose est un mauvais cheval pour l’écurie Harlequin. D’autre part, aucun autre éditeur n’accepterait de publier une production si conséquente. Là aussi l’auto publication peut s’avérer la panacée. De fait, la plupart du temps l’auteur Indé réunit un mélange de toutes ces éventualités. Par suite, l’auteur Indé est en proie à une dissonance cognitive profonde, répercutée sur toute la communauté.

Tiraillé entre l’aspiration à la reconnaissance (représentée par un contrat en bonne et due forme avec une – de préférence grande – maison d’édition traditionnelle) et celle de l’indépendance relative de son statut, l’auteur Indé oscille entre plusieurs concepts et alternatives. Néanmoins, l’un d’eux émerge constamment : le manque de reconnaissance à n’être qu’un auteur Indé – l’auto publication ayant mauvaise réputation auprès des lecteurs. Même si le terme Indé est plus chic qu’autopublié, il dissimule un mal-être que l’on peut aisément observer en parcourant les groupes Facebook où les Indés se rencontrent et échangent leurs idées avec pour leitmotiv « Comment se faire connaître ? », « Comment être reconnu comme un auteur à part entière ? », et cetera. Cette réputation défectueuse, l’auteur Indé la doit, pour une grande part, à la presse sans toujours la mériter.

La vision séparatiste de la presse

Au fil du temps, la presse n’a eu de cesse de véhiculer une vision binaire de l’auteur : d’un côté les Indés ; de l’autre les Tradis. Dans ces deux catégories, la première subit un ostracisme doxal exubérant et perpétuel. Les salles de rédaction auraient-elles pour mot d’ordre de décrier les Indés, dont les livres seraient bourrés de fautes : erreurs grammaticales, orthographiques et syntaxiques avec une terminologie simpliste et un vocabulaire restreint ? Cela y ressemble si l’on prend en considération grand nombre des articles sur le sujet.

Un véritable mythe poursuit le lecteur Indé : il est négligent, publie tout et n’importe quoi et surtout n’importe comment. Ses romans sont des resucés d’auteurs connus ; les couvertures de ses livres se reconnaissent à leur médiocrité délirante… Toutefois, c’est mal faire la part des choses et occulter, entre autres, les auteurs Tradis qui las de travailler avec une maison d’édition – celle-ci ou bien faisait traîner en longueur la parution de leurs ouvrages ou bien ne leur remettait pas en temps les arrêts des comptes, voire ne les leur communiquait pas du tout –, ces auteurs donc qui se sont tournés vers l’autoédition pour gérer de première main l’administration et la publication de leurs œuvres et sont passés du camp des purs Tradis à celui des Indés pour de nouveaux ouvrages tout en gardant leurs précédents livres chez des éditeurs traditionnels. Ce sont les « auteurs métis ». La qualité de leurs écrits est restée la même que par le passé, c’est-à-dire celle d’auteurs acceptés par les maisons d’édition traditionnelles. Néanmoins, ils font maintenant partie du groupe des auteurs Indés.

Preuve qu’il existe aussi incontestablement un grand nombre d’auteurs Indés qui sont d’excellentes plumes et pourraient procurer aux lecteurs un immense plaisir de lecture s’ils étaient connus des lecteurs potentiels ce qui nécessiterait une opération marketing. L’auteur Indé publie sur des plateformes comme Amazon, Kobo, iBook avec la part du lion du marché, récupérée par la première. Pour faire connaître ses écrits, il peut faire du marketing sur les réseaux sociaux, dans les groupes de lecteurs, par exemple, et espérer générer assez de vente pour entrer dans le magique Top 100 d’Amazon. Ainsi son livre sera-t-il lu et peut-être aura-t-il la chance de récolter quelques commentaires positifs, ce qui entraînera d’autres clients/lecteurs à acheter son livre, éventuellement le lire et dans le meilleur des cas l’apprécier. Ainsi pourra-t-il se constituer un groupe de fidèles lecteurs. Le groupe inconditionnel de fans qui suivent leur auteur quoiqu’il écrive et publie étant l’un des mythes dont se berce volontiers l’auteur Indé. Un des autres grands mythes est de croire qu’une maison d’édition traditionnelle ferait un marketing monstre pour un auteur inconnu à son premier roman. Cela s’est vu, se voit et se verra, mais ce n’est pas la règle et reste d’une rareté extrême pour ne pas dire négligeable dans le cadre qui nous occupe.

Mythification et mythes

Par ailleurs, la mythification dans la communauté des Indés est savamment entretenue par quelques histoires à succès répétées ad aeternam : l’auteur de 50 nuances de Grey n’a-t-elle pas commencé par s’autopublier ? Telle auteur n’a-t-elle pas été remarquée par tel éditeur après avoir vendu plusieurs milliers de livres sur Amazon ? Proust, Cocteau et tant d’autres n’ont-ils pas débuté par l’autopublication ? Autant de mythes en passe de devenir – s’ils ne le sont déjà – les légendes de référence de l’autoédition et des Indés.

Subséquemment, tensions, dilemmes insolubles et conflits intérieurs sont le lot quotidien de l’auteur Indé – moins indépendant que l’on pourrait le croire et qu’il ne veut le dire –, prisonnier d’un rêve vivace et si coriace à rejoindre. Même celui qui préfère garder sa prétendue indépendance songe en secret à être contacté par un « grand éditeur » pour avoir le plaisir de décliner la proposition. Quel panache de pouvoir dire : « J’ai refusé l’offre de Gallimard ou de Laffont » (la deuxième maison prônant plus l’effet de buzz que la première). Cette position étant si convoitée que certains auteurs Indés n’hésitent pas à fantasmer haut et fort, et parfois à tort et à travers, s’être vu proposer par une « grande maison d’édition » (jamais par une petite maison honnête !) un contrat mirifique et l’avoir rejeté.

Néanmoins, sans cette dissonance cognitive, la communauté des Indés ne pourrait continuer à s’épanouir. Comme pour toute communauté, il s’agit là d’un atout essentiel à sa survivance, les croyances contradictoires étant aussi vitales à son bien-être que les valeurs incompatibles qui l’agitent. 


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