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No Society

No Society

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C’est sûr, Christophe Guilluy est un fidèle lecteur du webzine Mauvaise Nouvelle ! Il en partage la fibre contestatrice, la détestation du politiquement correct, la prédilection pour l’être humain plutôt que les idéologies, l’attachement aux valeurs occidentales menacées par le multiculturalisme, le goût immodéré de la liberté. Il en consulte vraisemblablement la bibliothèque de combat riche d’auteurs à la pensée forte, les Michéa, Delsol, Gauchet, Finkielkraut, Zemmour, Orwell… Guilluy est ce géographe lucide qui vaillamment dénonce les fractures de la société française. Ces dernières années, il a connu un succès à la hauteur de son talent et de la pertinence de ses analyses. Ses ouvrages La France périphérique et Le crépuscule de la France d’en haut ont eu un large retentissement. Il récidive avec le livre No Society, sous-titré La fin de la classe moyenne occidentale.

Antimondialiste à la sensibilité de gauche, viscéralement relié à la culture française, Guilluy considère qu’il faut à tout prix opposer un contrepoids ou une force contradictoire à la marche actuelle de notre société. Les classes moyennes (qui pèsent 60 à 70% de la population de notre pays) incarnent pour lui cette nécessaire figure d’opposition au marché libéral tout-puissant et son cortège de destructions : les cultures qui s’effacent, les frontières géographiques et anthropologiques qui s’évaporent, les singularités humaines qui se dissolvent. Ces classes moyennes sont en fait les principales perdantes de la mondialisation, les premières victimes de la standardisation, les oubliées du nouveau monde. Il faut donc prioritairement les réhabiliter afin d’éviter la fragmentation définitive de notre société. Dans ce but, il est urgent d’aider les politiques et toutes les élites « bunkerisées » dans leurs citadelles à bien comprendre les enjeux sociaux, économiques et culturels : « Le soft power invisible du monde d’en bas est l’inattendu de la mondialisation […] La vague populiste qui traverse le monde occidental n’est que la partie visible d’un soft power des classes populaires qui contraindra le monde d’en haut à rejoindre le mouvement réel de la société sinon à disparaître. » Classique opposition maurassienne entre pays réel et pays légal qui n’a pas pris une ride et qui définit aujourd’hui encore deux mondes dissemblables voire irréconciliables ! Courageusement, Guilluy ne commet pas l’erreur de pêcher par omission ; il martèle qu’il est une clé préalable que les gouvernants doivent obligatoirement actionner dans le barillet de la maison France : la maîtrise des flux migratoires sans laquelle nous connaîtrons une hystérisation croissante des rapports sociaux. Voici la démonstration de notre essayiste. Implacable.

Notre auteur explique que la vague populiste ne cesse de croître depuis vingt ans et que le phénomène touche aussi bien la France que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Allemagne ou la Scandinavie. Réponse démonstrative des peuples face au rouleau compresseur de la globalisation matérialisée par deux phénomènes observables dans tous les pays occidentaux : la métropolisation et la gentrification. La métropolisation est le grossissement sans fin d’agglomérations où se concentre l’essentiel des richesses et des emplois ; la gentrification (ou boboïsation) correspond à l’apparition de classes sociales dominantes qui bénéficient de cette concentration de richesses et qui érigent autour d’elles des remparts leur assurant une hégémonie financière, sociale et politique. Ainsi se creuse la fracture entre peuple et élites. Elle se nourrit de l’insécurité économique qui touche les classes périphériques (physiquement reléguées dans le péri-urbain et le rural). Elle se double d’une insécurité culturelle induite par la mondialisation qui porte en elle le monstre informe de l’idéologie diversitaire. Le clivage entre monde d’en haut et monde d’en bas s’impose comme inéluctable et brutal. C’est ce que le journaliste et écrivain britannique David Goodhart appelle la fracture entre les « peuples de quelque part » et les « gens de n’importe où », les « somewhere » contre les « anywhere ». Sédentaires versus nomades. Adeptes du « retour au village » ou de l’enracinement contre partisans du « bougisme » dans la société relative ou liquide. Perdants contre gagnants de la mondialisation. Victimes de la folle et irrépressible mécanique de destruction sociale contre élaborateurs du plus grand plan social de l’Histoire. Pays réel et concret luttant (sans armes égales) contre le royaume sans frontières de l’hyper-marché, l’hyper-mobilité, l’hyper-libéralisme et l’hyper-richesse. Rappelons que dans ces périphéries, nous trouvons les ouvriers, les agriculteurs, les employés, des cols bleus et des petits cols blancs, des travailleurs indépendants, des jeunes, des ruraux, des urbains, des retraités, bref 60 à 70% de la population française nous l’avons dit.

Les dogmes régissent tout

Le florilège d’expressions pour qualifier les « classes populaires » ne manquerait pas d’amuser s’il n’était en réalité la marque d’un mépris absolu et du cynisme d’une époque acquise à la cupidité, à la superficielle réussite sociale, à l’argent, et diamétralement détournée de l’être : les « sans-dents » de Hollande, les « ploucs et ringards » de Macron et ses acolytes, le « basket of deplorables » (les déplorables) d’Hillary Clinton pour caractériser les électeurs de Trump (quelques millions de personnes…), les « abrutis » du Brexit, les racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes, et autres noms d’oiseaux dont se délectent les élites pour disqualifier l’adversaire (le peuple). Attifées du costume de la morale, les classes dominantes usent ad nauseam de cette fausse dialectique destinée à garantir leurs intérêts en diabolisant les petites gens et leur courte vue.

Nous vivons à une époque où les dogmes régissent tout, et parmi ceux-ci il s’en trouve de bien toxiques pour l’être humain. Celui, par exemple, de la « croissance infinie » se situe hors catégorie tant il se pose en alpha et oméga de nos sociétés. Le paradigme de la croissance exige des acteurs sociaux et économiques une docilité totale. Il n’hésite pas à travestir la réalité, les résultats se devant d’afficher de bons scores, toujours et en tous lieux, comme preuve que le marché est bien la « providence artificielle » dont le monde a besoin. L’Europe a ainsi décidé d’inclure dans le calcul du PIB de ses états membres les chiffres de l’économie de la drogue et de la prostitution ; outre atlantique, le taux de chômage aux Etats-Unis tant vanté pour son niveau bas à 5%, démontrant si besoin était la supériorité du modèle libéral anglo-saxon, s’établit plutôt à 20% de la population active américaine « si l’on intègre le sous-emploi, les chômeurs découragés (qui ne cherchent plus d’emploi et qui vivent comme ils peuvent), les personnes qui n’ont jamais cherché d’emploi, soit environ 90 millions de personnes âgées de 15 à 64 ans », taux comparable à celui de la France et à ceux des pays du Sud de l’Europe. 20% !!! En France, les jeunes de 15 à 35 ans sans emploi, sans formation et sans enseignement sont au nombre de 2,8 millions pour un total de 17 millions. Que celui qui veut prouver la supériorité de la mondialisation se lève le premier ! Bien sûr, paré de son universalisme, ce fort en thèmes qui osera s’exposer le doigt en l’air expliquera à ses camarades de classe que la globalisation a permis de sortir de la misère des millions de Chinois et d’Indiens. Casse occidentale d’un côté mais gains pour d’anciens damnés de la terre de l’autre. Cette vision ne dit bien sûr pas comment on relèvera la classe moyenne occidentale moribonde, ni comment on redonnera la prééminence à l’humain plutôt qu’à la course démentielle au progrès technique, au transhumanisme, à l’Intelligence Artificielle dépravée (l’Unesco, sous la houlette d’Audrey Azoulay sa directrice générale, veut établir un cadre normatif international favorisant une « éthique de l’IA » -à suivre !?-). En France, l’exemple archétypal des agriculteurs est désespérant tant il comptabilise de malheurs sous forme de suicides, de dépôts de bilans, de fractures professionnelles et familiales : en 1950, il y avait encore 2 millions d’exploitations agricoles, il en reste en 2016 450 000. Que celui qui croit démontrer les bienfaits du libéralisme, du sans-frontiérisme, de la concurrence à outrance se manifeste à son tour ! Tous ces chiffres sont la preuve sine qua non que le Système mis en place par les élites est bel et bien une catastrophe pour nos sociétés et ne bénéficie qu’à une infime minorité de puissants. « There is no society. », affirmait Margaret Thatcher en 1987. Elle ne croyait pas si bien dire tant la suite lui donnerait raison.

Notre pays est devenu une « société américaine comme les autres »

Alors, que faire pour notre pays devenu une « société américaine comme les autres », communautarisée, travaillée en son sein par de fortes tensions ethno-raciales dues à l’essentialisation racialiste voulue par le Camp du bien ? Sur ce point, Guilluy rappelle utilement que le Think Tank « Terra Nova », fameux laboratoire des idées progressistes, cautionne depuis longtemps un essentialisme favorable aux « minorités ». Il s’agit même du nouveau fonds de commerce de l’oligarchie mondialisée (de droite et de gauche), en France, à l’ONU et partout ailleurs… Dans les années 80, « Terra Nova » prônait, « en même temps », l’abandon du « petit blanc » irrécupérable parce qu’esclave de ses passions tristes et incapable de se délier des valeurs obsolètes de la famille, de l’enracinement et de la religion. Pierre Boutang parlait en son temps de « théâtrocratie » pour décrire le fonctionnement de nos sociétés modernes ; Guilluy souscrirait à cette qualification.

Si l’on pose comme principe que les politiques, médias, universitaires ont de moins en moins de légitimité, et que cette perte d’influence ira s’amplifiant, où trouver alors le salut ? Certainement pas dans la tentative désespérée des élites « pariant sur la révolution de l’intelligence artificielle et le transhumanisme pour initier la rupture finale ; dans ce nouveau monde, les classes dominantes pourraient achever le processus de sécession initié dans les années 80 en renforçant leur domination, notamment par le contrôle de l’intelligence. » La boucle serait alors bouclée. Il en serait terminé de l’espoir d’un retour à un monde plus humain. Quand donc pourra-t-on entrevoir le ciel bleu de la raison revenue et de la liberté également revenue? Probablement, à la suite d’un violent choc. Celui infligé par les « gilets jaunes » constitue une première forte secousse. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à voir, après l’ostracisation et la menace initiales, comment le pouvoir politique cherche désormais l’apaisement, non sans malice d’ailleurs, en organisant de grand débats horizontaux, sortes de meetings de management se muant en catharsis collective. Prenons quand même le pari que rien ne sera plus comme avant. La cassure entre France d’en haut et France d’en bas est bel et bien consommée, et les élites se trouvent dorénavant dans l’obligation de compter avec le peuple qui sait au fond de lui s’il est aimé, ridiculisé ou haï, qui sait bien si on le protège ou si on l’expose, qui sait si on tient compte de ses racines, coutumes et valeurs, ou si on l’en spolie. Le peuple incarne ainsi, en dernier ressort, un garde-fou et peut-être, une ultime digue de défense contre les torrents de la déconstruction.


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