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Occam l’initiateur ep.5

Occam l’initiateur ep.5

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VIII. Les présupposés de la logique d’Occam

1° Occam reconnaît l’existence du monde extérieur : il semble en cela pleinement réaliste.

2° Le concept est encore chez Occam produit en nous par l’action directe des objets extérieurs (Expo. Aurea, Proemium ; D° In Liber Perihermeneias ; Prologue Commentaire des Sentences, qu. I Z ; Questiones Super Libros Physicorum).

Ici, Occam débat sur les étapes intérieures qui aboutissent aux concepts en nous. Il rejette alors diverses théories épistémologiques avancées avant lui : la théorie augustinienne de l’illumination divine ou encore thèse aristotélicienne de l’intellect agent qui extrait l’universel intelligible ou d’autres théories distinctes. Occam affirme lui la conformité directe et immédiate du concept et de la chose signifiée. Il faudra voir en quoi sa position diffère d’Aristote.

3° Cette connaissance immédiate est dite naturelle : c’est-à-dire pas volontaire chez Occam. C’est qui qui explique que les hommes se comprennent tous : les concepts naturels sont les mêmes chez tous les hommes de cette terre (In Sent. I, distinct. II, qu. 8, Q).

A. Le produit de la première opération :

Occam a tout à fait intégré ce point de la logique d’Aristote que la nature d’une conclusion dépend de la nature de ses prémisses. Il va donc s’attaquer au fondement de la connaissance. Il va refuser toute modalité d’existence aux universaux en dehors de nous.

Pour Occam, l’universel ne peut exister en dehors de l’intelligence humaine car toutes les réalités sont singulières. Alors qu’Aristote décrit le processus qui passe d’une série de sensations singulières à un universel en nous : c’est l’induction, nommée plus tard par les commentateurs Latins abstraction.

Mais alors qu’Aristote prouve l’existence des formes universelles dans les êtres matériels singuliers par sa démonstration de la matière première, Occam pense qu’on a déduit la métaphysique de la grammaire logicienne… Ce qui en fait un idéalisme avant la lettre.

Et en effet chez Occam coexistent un empirisme assumé et un certain platonisme… car il veut soutenir que notre connaissance ne touche que l’existant singulier, mais en même temps maintenir certaines vérités universelles ! C’est tout à fait logique de sa part : il ne voit pas, comme les auteurs anglo-saxons après lui et tous les empiristes de tous les pays, le mode de naissance des concepts universels en nous.

Mais ce que nous attendons maintenant d’Occam, c’est de nous dire d’où viennent ces universaux qu’il dit être « naturels ».

Car les commentateurs d’Occam ont constaté qu’il ne donnait aucune explication à l’accord des esprits dans des concepts universels nés à partir d’expériences différentes1

On voit donc qu’Occam rédige des distinctions subtiles qui semblent souvent rejoindre le réalisme aristotélicien. Mais nous pensons trouver la grande césure entre cette logique occamiste et la logique aristotélicienne dans la fermeture des portes une fois que l’intuition d’Occam a fourni les concepts à l’esprit. Si bien qu’une fois ces derniers formés, les opérations de combinaison et d’enchaînements s’entresuivent en vase clos : le recours au réel extérieur ne se fait plus. Or, c’était là la critique majeure d’Aristote envers les platoniciens dont les tableaux dichotomiques se développaient selon des divisions certes cohérentes sur le papier, mais inexistantes dans la réalité. L’écueil des intellectuels, c’est l’apriorisme.

Certains commentateurs2 ont bien noté que cette logique était stérile car elle ne pouvait permettre à  l’intelligence humaine d’être fécondée par le réel : « elle ne rend que ce qu’elle a reçu ».

Nous ne sommes pas loin d’y voir un simple jeu algébrique de contradictions. Nous sommes bien ici dans la « grossière ignorance des Analytiques3 » (Métaphysique, 1005 b 3 et 1008a 8).

B. Le produit de la seconde opération : jugement et proposition

A partir de ces prémisses nous l’aurons compris non-inductives mais uniquement empiristes, Occam déduit une mathématique des concepts.

Car les premiers concepts des enchaînements déductifs sont les points de départ des constructions formelles qui se s’édifient à coup de propositions. Il faut ici noter un problème chez Occam : a-t-il bien compris que la science était dans la conclusion des syllogismes, et non dans l’enchaînement logique des propositions entre elles, comme l’affirmera Descartes plus tard ?

Mais il a bien vu que ces enchaînements sont dépendants de la vérité des premières propositions. Ne soyons pas étonnés de voir Occam séparer de façon contradictoire l’intuition sensible du monde intelligible : c’est la base de l’empirisme. Chez eux, le jugement, deuxième opération de l’esprit, est le fruit de la volonté… Même si chez Occam, les choses sont d’une finesse dialectique élaborée.

Etrange conception qui veut que ce ne soit pas le réel qui nous oblige à lier les concepts entre eux… Nous avons donc là ce qu’on appelle en jargon universitaire une « théorie volontariste du jugement ».

Avant Descartes, Occam prend pour règle du vrai l’évidence temporellement immédiate, selon le mode mathématique. Mais il est vain de focaliser l’interprétation de ces questions en termes d’activité ou de passivité de la raison. L’essentiel est ailleurs si l’on veut être fidèle à l’intention d’Aristote. En effet, c’est la progressivité de notre savoir qui est en jeu ici. N’oublions pas que les jeunes font d’excellents mathématiciens, mais d’imprudents acteurs, de piètres sages…

Au risque de paraître arrogant et prétentieux, nous pensons qu’Occam est passé à côté de la définition de la connaissance humaine. Il oppose ainsi, selon ces fameuses oppositions contradictoires qui ne nous indiquent jamais les moyen-termes qui permettent de résoudre, libre-arbitre et naturalisme, ouvrant la voie aux dichotomies modernes développées à plaisir par les auteurs non-inductfs que l’on nous sommes d’adorer comme des « philosophes ».

Occam ne nie pas la fiabilité de l’expérience sensible, et ses disciples empiristes le suivront dans cette voie, mais il sépare l’évidence intellectuelle de cette expérience première en affirmant que lorsque mon esprit affirme que « le tout est plus grand que la partie4 », il le fait sans voir besoin de se fier à cette expérience sensible : nous retrouvons là les affirmations que les scolastiques nommaient per se notae

L’empirisme d’Occam est subtil : il garde le terme d’universel mais lui donne une nouvelle définition. Car chez les scolastiques ici héritiers d’Aristote, l’universel exprime une partie intégrante de leur substance. Occam va initier une nouvelle définition qui aura une postérité multiséculaire : l’universel est uns synthèse d’expériences singulières semblables. Où est la différence ? Chez Occam, l’universel et une création de l’esprit, et non plus une propriété de l’individu extérieur.

Chez Occam, l’induction aboutit à des suppositions relatives et non à la science universelle et nécessaire : position contradictoire avec la logique aristotélicienne.

Alors que chez Aristote, c’est l’observation qui permet de conclure à la stabilité de la nature selon des espèces, Occam affirme que tout cela est basé sur une croyance. C’est une sorte de foi qui done conduit à inférer du général au particulier (In Sent. Prol. Dist. I, qu. I, H).

Occam fonde sa science sur des principes per se notae issus de l’évidence rationnelle apriori, et non des inductions répétées. C’est toujours le passage du sensible singulier à l’intelligible universel qui pose problème avec ce genre d’intellectuel.

Occam refuse l’idée que nous raisonnions sur les choses : selon, nous raisonnons sur des concepts basés sur les prémisses a priori.

On voit ainsi Occam rejeter le relativisme empiriste (Summulae in libros physicorum et Sum. Tot. Log

Ce qui est trompeur avec des universitaires comme Occam, c’est qu’il utilise tout le jargon scolastique en grande partie tributaire du vocabulaire d’Aristote, mais il redéfinit les mots suivant ses présupposés. Il aboutit à une algèbre logique typique de ceux qui néglige le rapport au réel qui était on l’a vu plus haut le souci constant du réaliste Aristote.

Occam au contraire veut développer une science « pure » : aussi éloignée que possible de l’expérience sensible… C’est bien deux mondes qui s’opposent : la pierre d’achoppement est bien la portée du processus inductif, lequel aboutit chez Aristote à la science. Il n’y a aucun doute à ce sujet.

C. Le produit de la troisième opération : démonstration et syllogisme

Chez Occam, comme Descartes quelques trois cents plus tard, la science est uniquement dans la déduction elle-même alors que chez Aristote elle est dans la conclusion de la déduction syllogistique.

Occam s’est régalé à énoncer toutes les formes syllogistiques possibles en dénonçant les paralogismes. Quand on connaît la psychologie du personnage, on comprendra son amour de la logique formelle. Mais Occam tombe dans le piège classique de ceux qui ont cette disposition5 intellectuelle aux mathématiques déjà analysée par Aristote en Métaphysique (α, 3) : ses habitus spéculatifs le portent à transposer la formalité algébrique en éthique, en politique, dans le droit, etc… ce sont toutes les matières pratiques qui se trouvent ainsi soumises au mode mathématique. Or, nous rappelait Aristote : « On ne doit pas notamment exiger en tout la rigueur mathématique…. » (995 a15).

La source de nos syllogismes est le processus inductif qui réclame de l’expérience et du temps. Occam, l’intellectuel universitaire, recherche la rapidité là où elle n’est pas possible humainement : il manque en cela de sagesse. Les commentateurs sérieux l’auront remarqué chez lui : là où l’on devrait lire des considérations prudentes face aux nuances du réel, Occam enchaîne allègrement ses déductions syllogistiques a priori. Face à un dilemme, au lieu de reconsidérer la réalité des choses6, on le voit construire des raisonnements abstraits7. Occam est un formaliste spéculatif : il a annonce toute la philosophie moderne et contemporaine, non-inductive, dont les mots de paille fondent l’idéologie libérale-libertaire.

Le savant authentique, terme qui implique qu’il soit cultivé au sens aristotélicien du terme, sens qui intègre l’érudition mais ne s’y réduit pas8, doit respecter ses points de départ s’il veut qu’on prenne au sérieux ses chaînes de déduction, même si celles-ci sont formellement correctes. Si ses principes sont hypothétiques, ses conclusions le seront aussi inévitablement.

On ne le répétera jamais assez dans ces brefs articles qui tentent de présenter les racines philosophiques de la dictature libérale-libertaire occidentale : la rationalité, c’est d’abord l’induction. La connaissance sensible : on est intelligent avec ses yeux et ses oreilles. Les innombrables chaînes de déductions juxtaposées, dont la subtilité confine sans doute au brio dialectique, ne valent que ce que valent leurs points de départ. C’est l’enseignement de base des Analytiques d’Aristote. « Il faut en effet connaître les Analytiques avant d’aborder aucune science9 ».

Occam est de ceux qui prétendent éblouir leur lecteur par des sommes dialectiques pétries de distinctions subtiles mais qui oublient que l’arbitre ultime de la raison reste le réel. Comme Occam ne veut pas accepter ce pont entre le sensible et l’intelligible par le processus inductif, il conclut que nous ne devons demandez à nos raisonnement que ce qu’ils peuvent nous donner : l’analyse algébrique de nos propres concepts. C’est la thèse sous-jacente à toute la philosophie moderne et contemporaine jusqu’à la philosophie analytique actuelle.

On aura compris que nous sommes dans l’antithèse d’Aristote (et de son disciple en philosophie Thomas d’Aquin) : « C’est en travaillant en vase clos sur lui-même que l’esprit acquiert le maximum de certitude » résume De Lagarde10.

IX. Qu’est-ce que le nominalisme ?

La thèse défendue par Occam a reçu dans l’histoire des idées le nom de nominalisme11. La mentalité positiviste et la mentalité nominaliste vont de pair : l’attention est rivée sur l’existant singulier en refusant toute universalité.

Et comme c’est la philosophie qui fonde la théologie, cette dernière perd son universalité rationnelle pour devenir une affaire privée.

X. Le nominalisme est un refus de l’intelligence du réel

À suivre…


1 De Lagarde, Op cité, p. 65.

2 Comme J. Maréchal, op. cité, p. 184.

3 Dont la clé de voûte est l’induction.

4 Comme de très nombreux commentateurs, Occam réduit les points de départ de nos syllogismes aux premiers principes évidents nommés par les scolastiques dignitates. : voir plus haut l’épisode 4 avec Thomas d’Aquin qui s’oppose radicalement à Occam.

5 « Certains n’admettent qu’un langage mathématique…. » : une des cinq « consuetudines humanas »validées par Thomas d’Aquin dans son commentaire.

6 Mais en cela Occam aurait été disciple d’Aristote, et non de lui-même…

7 Non pas dans le sens de produit de l’induction, mais au contraire coupé du réel.

8 Cf : Episode 3 : Aristote, l’ennemi des libéraux libertaires

9 Métaphysique, 1005 b

10 Opus. Cité, p. 99.

11 Ce sera une des grandes négations de Descartes : « l’homme ne connait rien de la nature, de la connaissance de Dieu alors aussi la cause finale de la nature ne tient pas ». Principes de la philosophie, & 64,P 160.


Occam l’initiateur ep.6
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Occam l’initiateur ep.4
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