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Poètes dans le monde ?

Poètes dans le monde ?

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Propos recueillis par Maximilien Friche

La poésie n'a jamais été aussi absente de notre monde qu'aujourd'hui, sinon peut être à l'époque où le monde se noyait dans ses propres lumières révolutionnaires. Le statut de consommateur conscientisé universel tend à évacuer toute nécessité de rechercher le vrai ou le beau. Et pourtant la poésie n'est pas morte. Et pourtant des hommes et des femmes ressentent la nécessité d'écrire des poèmes. Mauvaise Nouvelle a rencontré Gwen Garnier-Duguy, poète et fondateur avec Matthieu Baumier de la revue en ligne : Recours au poème, sur la poésie et les mondes poétiques. est également l'auteur du roman Nox, roman de rupture qui modifie tous les paradigmes de la littérature en mêlant mythologie, ultra modernité, poésie, et peinture dans une aventure visionnaire et spirituelle.

MN : Pourquoi ressentez-vous la nécessité d’écrire des poèmes aujourd’hui et maintenant dans notre monde postmoderne ? Qu’est-ce qui vous y pousse ?

GGD : Nous traversons continument une époque de crise depuis que nous sommes dans le cadre d'une économie industrielle capitaliste. Étymologiquement parlant, la crise renvoie à la phase décisive d'une maladie et au jugement qui en découle. Notre crise à nous n'est pas la même que celle qu'affrontaient par exemple les gens des Lumières. Nous affrontons une crise à travers laquelle la modernité entend priver l'être humain de religion. Le pouvoir, comme toujours, est aux mains de la bourgeoisie, et celle-ci est incarnée par les tenants d'une technologie qui entend priver l'homme de son corps, c'est à dire d'un accès à la Nature (Cf propos de Roberto Mangù dans "Le nu de Gauguin à Bonnard, Eve, icône de la modernité ?", Silvana Editoriale). Les écrans envahissent nos existences, avec le temps accéléré qui s'impose à nos rythmes de vie de façon exponentielle, et l'humain dans son entier est ainsi privé, par sa vie épileptique et condamnée au nihilisme matérialiste et sans issue, d'un dessein de paix. Notre société nihiliste a inventé l'enfer, puisqu'elle prive l'humanité occidentale actuelle de pouvoir organiser sa vie en fonction d'une finalité paradisiaque. Cela est tout à fait nouveau, avec l'apparition de la technologie, qui nous demande d'abandonner notre rapport au corps, donc à la Nature, que nous désaimons tant que nous la maltraitons comme jamais. C'est pour cela qu'on ne peut pas parler de postmodernité. Nous sommes bien dans l'apothéose de la modernité et du progressisme vu comme telos de lui-même, comme principe sans autre finalité que la jouissance immédiate, qui est le contraire de la joie.

Cette conscience me pousse à écrire des poèmes, car c'est par le corps de la langue que je puis, à titre individuel, garder un lien constructif avec mon propre esprit et mon propre corps, puis avec le cosmos humain qui a une histoire dont je suis héritier et qui comprend, par définition, le macrocosme, c'est à dire ce qui me dépasse mais auquel je puis avoir accès par bribes.

Le poème est une chose naturelle, donnée à notre naissance avec notre première respiration. Il est donc naturel de soigner la crise par la chose la plus naturelle nous constituant être humain. C'est d'ailleurs une pratique communément partagée : tant d'êtres humains écrivent naturellement de la poésie, et cela pour garder contact avec leur propre vie, mais aussi avec la vie, contre la société du Simulacre et de mort qui pénètre nos psychés.

C'est aussi cette conscience qui nous a fait fonder, Matthieu Baumier et moi-même, le magazine international et hebdomadaire Recours au Poème, d'une part pour rassembler la poésie éparse dans le monde, d'autre part pour réunir la "poésie des profondeurs" telle que la qualifie Paul Vermeulen, une façon de dire la Parole perdue. Nous pensons, et Paul avec nous, que la partie est loin d’être perdue justement : le monde violent dans lequel nous sommes plongés n’est rien de plus qu’une ruse de l’illusion, ce que Paul Vermeulen et Matthieu Baumier nomment l’anti poésie. Nous pouvons penser avoir perdu mais ce n’est là aussi qu’une ruse. La poésie et son écriture ouvrent grandes les portes du dévoilement du réel au-delà de la réalité. Pour plagier Jean de La Croix, nous avons rencontré le Poème et nous y avons cru. Ce que nous vivons concrètement dans nos chairs et dans nos âmes, c’est ceci : le Poème et le lien que nous revivifions éternellement avec lui nous sauvera de l’illusion qui veut nous faire croire que l’image qu’elle impose sous nos yeux serait le réel. Nous ne tombons pas dans cette sorte de piège pour humains aveuglés par le miroitement des désirs. La question est simple : c’est celle de la liberté intérieure de l’humain. Le regard porté vers le Poème rend libre.

MN : Pour vous, quel est le rôle d’un poème, sa fonction, son utilité ? Quel est son lien avec le monde hic et nunc ? Quel est le rôle d’un poète, sa fonction ?

GGD : Le rôle d'un poète, aujourd'hui, est de construire et de proposer une parole qui conjure le nihilisme organisé régnant sous nos latitudes modernes. Le monde scientifique et technologique entend tout savoir et tout réaliser de ce qu'il est censé pouvoir accomplir. Or, il m'apparaît que nous ne devons pas tout savoir, car nous ne faisons finalement rien de très porteurs de nos connaissances au niveau global, pour utiliser ce mot planétaire. À ce savoir s'oppose l'espérance, et cette espérance a à voir avec la charité. Que ferions-nous de toutes les connaissances du monde s'il nous manque la charité ? Ces mots, de Saint Paul, sont tout à fait justes au regard de notre expérience contemporaine. La charité nous importe, envers soi-même d'abord, puis envers notre prochain, qui est le monde saturé de souffrance. Cette espérance, elle vit à l'intérieur de chaque être humain. Elle nécessite d'être réveillée, éveillée, afin d'être agissante. Ainsi, agir, c'est aimer. Voilà pour moi les enjeux de la poésie aujourd'hui. On peut toujours dire des mots… et alors ? Le bavardage contemporain… Seuls les actes comptent. La poésie est un acte, révolutionnaire en ceci qu’elle ouvre sur la Force, la Sagesse et la Beauté profondes du Poème.

MN : Que pensez-vous de la distinction de la forme et du fond d’un côté, très répandue dans les pratiques artistiques et les propos des commentateurs et, d’un autre côté de l’option prise par un grand nombre d’artistes de ne faire que de l’art conceptuel, accessible par l’intelligence mais plus par la contemplation et la beauté ?

GGD : Je ne puis répondre à cette question, n'étant pas un artiste. Être poète n'est pas être un artiste et il faudrait vivre en tant que peintre, par exemple, pour pouvoir répondre à votre question. Cependant, je pense que même lorsqu'on représente quelque chose en figuratif, c'est tout de même tout le temps de l'art conceptuel, car les artistes manient des idées. Je m'arrête là, n'ayant aucune autorité en la matière. La poésie n’est pas un art, ou alors elle est un art royal tant elle provient du fond des âges, du chant premier de la vie, chant dont elle est l’écho. C’est pourquoi la mort aujourd’hui à l’œuvre tente de l’éradiquer. De ce point de vue, les poètes authentiques et profonds sont des chevaliers du chant. Il convient que ce chant frappe à la porte de nos vies, immédiatement.

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