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Pulsions totalitaires des médias

Pulsions totalitaires des médias

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Après un premier ouvrage à succès intitulé La langue des médias, Ingrid Riocreux publiait en octobre 2018 un second livre, Les marchands de nouvelles, au sous-titre explicite : Essai sur les pulsions totalitaires des médias. Professeur agrégé de lettres modernes, Docteur à la Sorbonne en langue et littérature françaises, spécialiste de rhétorique, stylistique et grammaire, la jeune trentenaire combine une tête bien faite et une vraie lucidité : les mass médias se sont autoproclamés conscience universelle du Bien, en surplomb des politiques, afin d’éduquer le peuple dans le sens de ce qu’il doit penser et comment il doit agir, sur à peu près tous les sujets.

Dans Bel-Ami, Maupassant décrivait le contexte journalistique de son époque, le XIXème siècle, en plein chamboulement industriel : « D’autres évènements récents furent examinés, commentés, tournés sous toutes leurs faces, pesés à leur valeur, avec ce coup d’œil pratique et cette manière de voir spéciale des marchands de nouvelles, des débitants de comédie humaine à la ligne, comme on examine, comme on retourne et comme on pèse, chez les commerçants, les objets qu’on va livrer au public. » Finalement, les choses semblent avoir peu changé. La sphère médiatique est toujours aussi peu encline à mener une autocritique constructive et, dans le même temps, est l’objet d’une défiance grandissante de la part du public qui semble de moins en moins dupe de ses errements. Il y a probablement là un lien logique de cause à effet. L’auteur décrypte la situation justifiant l’apathie des médias face à toute remise en question : « Le monde de la presse, audiovisuelle et électronique en particulier, monde de l’instantané et de la rapidité, de la fluidité amnésique et du harcèlement informatif, de « l’apothéose répétitive de l’instant » (Régis Debray), ne se caractérise-t-il pas par une inertie telle quant à ses méthodes de fonctionnement, que toute volonté de bouleverser des pratiques enracinées dans une parfaite bonne conscience ne peut que s’avérer vaine ? »

Le Média (plutôt de gauche) et TVLibertés (plutôt de droite, si tant est que l’antique clivage ait encore du sens aujourd’hui) font partie de ces médias alternatifs dont les grands médias officiels se méfient au plus haut point. Ils incarneraient des vecteurs de fake news et seraient aux mains d’affreux manipulateurs bien incapables de délivrer la seule, la vraie, la bonne information, apanage des grands médias officiels subventionnés. Et ne parlons pas de la WebTV dont les populistes Michel Onfray et Jean-Luc Melenchon ont parfaitement compris qu’ils tenaient là un canal de communication puissant. Ceci encore, au grand dam de la non moins puissante sphère du médiatiquement correct. Ce qu’Ingrid Riocreux stigmatise n’est pas tant que les quotidiens Valeurs Actuelles, Libération ou Le Figaro puissent revendiquer un ancrage idéologique particulier mais bien la propension de certains supports médiatiques, au premier rang desquels France Info, d’expliquer qu’ils sont absolument neutres dans la diffusion de l’information. Cette hypocrisie évidente doit selon notre auteur interpeler le public. En effet, le mythe de l’objectivité absolue entretenu par ces médias soucieux de « réinformer » (ou rééduquer, c’est au choix) est suspect à force d’être porté en étendard d’une information affichée comme éthique. « L’enfer est pavé de bonnes intentions » et l’on sait de plus combien, au nom d’idéologies du Bien, l’Histoire a pu parfois engendrer des monstruosités.

Notre époque a désormais la manie tenace de conférer le caractère de phobe à toute attitude consistant à ne pas cautionner béatement certaines évolutions sociétales, évolutions le plus souvent dictées par la logique libérale marchande (qu’on pense à l’affreuse GPA). Autre exemple ? Le gender. Le refus de considérer la perte de l’altérité homme/femme comme irréversible (indifférenciation que la frange progressiste la plus avancée escompte absolument) rend Sylviane Agazinski, brillante philosophe et épouse de Lionel Jospin, coupable de « genderphobie », ce qui lui interdit dès lors l’accès à certaines universités en France et un ostracisme médiatique violent. Le discours par étiquettes pratiqué assidûment par nos médias empêche le débat, ou alors l’autorise mais dans l’hystérisation la plus totale. C’est une grande tristesse d’observer ce phénomène post-moderne de disparition pure et simple de la liberté d’expression au sein même de la patrie de Montaigne, Pascal, Voltaire, Rousseau ou Chateaubriand.

Notre professeur en Sorbonne nous gâte lorsqu’elle décortique toutes les manipulations dont nous sommes constamment, et souvent malgré nous, l’objet. Pour demeurer libres et garder intact leur idéal des 20 ans, elle déconseille aux étudiants de rejoindre les IUFM ou les écoles de journalisme, creusets de la pensée unique, machines à broyer l’intelligence. L’empire du bien, pour reprendre le titre d’un des livres du génial Philippe Muray, a généré l’empire du faux, et ce sans le moindre scrupule de la part des promoteurs de cette dévastatrice lame de fond puisqu’il s’agissait pour eux de raconter l’histoire du progrès obligatoire, de bâtir un nouveau monde en rupture avec l’ancien, d’écrire ex-nihilo l’avenir radieux de l’humanité.

Si l’on garde à l’esprit que le libre arbitre constitue une sorte d’ange-gardien, ou encore que fonder son opinion en conscience est l’une des plus belles expressions de l’unicité sacrée de l’être humain, on devrait alors s’alarmer de constater « l’uniformité idéologique et langagière d’un petit milieu qui façonne les individus et détruit leur singularité en même temps qu’il lamine leur intelligence. » Le pas de côté est cependant possible. Cultiver son jardin ou opter pour la marge, même l’espace d’un instant, léger écart qui nous rend à nos potentialités parce que nous quitterions furtivement le flux ininterrompu d’informations matraquant jusqu’à l’épuisement notre pauvre cerveau, est une option tout à fait réaliste. Il semble même que tant que nous sommes en capacité d’accomplir ce geste salutaire, malgré Big Brother, malgré le poids écrasant de la civilisation numérique, c’est la preuve qu’il nous reste encore un peu de liberté. Et suffisamment de force et de volonté pour l’exercer ? C’est là une autre histoire.


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