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Quand les Sophistes proposaient le règne des jargonneurs

Quand les Sophistes proposaient le règne des jargonneurs

Par  

Les racines philosophiques de la société libérale
Épisode 2

La dictature actuelle des groupes oligarchiques[1] est légitimée par de nombreuses justifications « philosophiques » issues des philosophies modernes. On peut parfois déceler des arguments « théologiques ». On a ainsi entendu monsieur Lloyd Blankfeld, PDG de la banque Goldman Sachs, affirmer qu’il n’était finalement qu’un « banquier faisant le travail de Dieu ». Le règne actuel du positivisme, fondement philosophique du libéralisme actuel – existentiel comme économique – doit en effet beaucoup à ce que j’appellerai des idéologies vétérotestamentaires qui proviennent du monde judéo-protestant[2]. Il s’agit, on l’aura compris, de justifier une certaine définition de la nature humaine, gouvernée par ses calculs égoïstes, et une certaine définition des rapports humains, gouvernés par des rapports de force et de prédation.

Le point commun de toutes les philosophies, majoritairement produites par des auteurs dont les formations premières sont clairement identifiables, lesquelles tentent de persuader l’humanité qu’il n’y a pas d’autres issues pour la raison que le scepticisme concernant les définitions essentielles, est qu’elles nient le processus inductif, naturel à l’esprit humain. L’induction, en effet, et nous aurons l’occasion de le voir plus tard, permet de discerner dans le monde extérieur des stabilités universelles plus ou moins nécessaires et des contingences plus ou moins relatives. Le discernement de ces réalités étant le propre de la sagesse. Le fruit de la destruction de ce mode inductif dans les intelligences humaines, opérée avec efficacité par les institutions scolaires, est l’inversion des matières d’argumentations[3] et des modes de procéder[4]. Autrement dit, on cherche à mettre de la nécessité là où elle ne peut exister, mais on relativise au contraire le nécessaire si bien que le secondaire accidentelle est jugé important alors que le primordial essentiel est négligé. A quoi porte-t-on notre attention ? A quoi accorde-t-on son souci ?

Nous constatons cette confusion dans les esprits de nos contemporains. Ce manque de sagesse est renforcé par ce mathématisme qui habitue les jeunes à jongler pendant des années avec des sigles sans référence directe au réel, à ses nuances et à ses degrés de nécessité. Le formalisme intellectuel n’a jamais développé l’intelligence humaine : c’était le constat d’Aristote quand il regardait les tableaux de divisions dichotomiques des Platoniciens, portés à l’apriorisme systématique. C’est l’induction des « choses-mêmes » qui développe notre intelligence : voilà l’authentique aristotélisme.

Nous verrons que ce courant de pensée, engendré par les diverses philosophies non-inductives[5] considérées comme des analyses sérieuses et respectables, favorise la socialisation des fautes morales et finalement au déni de la responsabilité personnelle.

L’induction, magistralement intuitionnée par Socrate et non moins magistralement exposée par Aristote, permet justement de produire un fondement solide au discernement de ce qui est nécessaire et de ce qui est contingent selon des degrés. La dictature actuelle des mathématiques et des sciences mathématisées vient discréditer l’induction philosophique à la suite de quelques auteurs-clés, comme Occam, puis Descartes et Hume. C’est le règne de l’apriorisme déductiviste et de son corollaire l’illusion arrogante d’une emprise sur le réel.

Et c’est la porte ouverte au constructivisme fabulatoire, sorte de storytelling conceptuel. La philosophie moderne post-cartésienne non-inductive est du virtualisme vide de contenu objectif. Est-ce cette philosophie que nous voulons pour les jeunes générations ? Que peut produire cette pensée imaginaire sinon des narcissiques semi-autistes qui finissent par s’approprier tout le réel extérieur qu’ils côtoient selon leur subjectivité mais qui achèvent leur parcours terrestre en obéissant à l’ordre établi dans une soumission avilissante ?

Ce Photoshop idéaliste[6] est encouragé par les structures actuelles. Trouverons-nous quelques résistants pour analyser et combattre le brouillard de mots abstraits coupés de leur réalité originaire ? Aimons-nous réellement nos proches et les futures générations ? Pour continuer à essayer d’y voir clair dans le chaos actuel, il est bon de refaire l’historique de la question. Et après avoir esquissé quelques caractéristiques des philosophes sceptiques qui affirmaient que l’homme ne pouvait rien définir de façon stable (Episode 1), nous proposons d’explorer quelques figures dont certaines furent d’ailleurs les maîtres de ces anciens sceptiques.

Notre investigation des racines philosophiques de la société libérale ne pouvait éviter d’aborder les grands noms de la Sophistique.

A. Les Sophistes (Vème – IV ème siècle avant J.-C.)

    1° Généralités et situation historique

Le terme n’est pas à l’origine péjoratif : est sophos celui qui excelle dans un art.  C’est l’homme habile : arts manuels, chant, musique, etc. Mais le titre fut adopté par une certaine classe d’habiles qui excellaient, dit-on, en toutes choses… Nous dirions plutôt aujourd’hui : les arts libéraux.

Ils ont pu se distinguer à cause des carences de l’éducation classique grecque : seule la mémoire travaillait si bien que la réflexion et le jugement critique étaient négligés.  Les Sophistes étaient littéralement des professeurs : les parents leur confient leurs enfants afin qu’ils deviennent « meilleurs », autrement dit à causer avec les hommes libres qui participent aux charges de la Cité. Ces beaux parleurs se vendent chers. Educateurs libéraux, c’étaient, pour les plus connus, des personnages hauts en couleurs : on les admirait, on les entourait, on les payait.  Ils avaient des idées sur toutes les branches du savoir : une certaine culture générale.

    2° Les Sophistes sont des relativistes

Ce qui manquait alors, c’était une règle certaine de la connaissance objective : tâche réalisée par Aristote et sa redécouverte de l’induction après Socrate.

Les hommes en venaient en effet à perdre la confiance dans les capacités humaines de connaître de façon stable. Sans points de repères, on sombre dans le scepticisme. Une adéquate saisie du monde paraissait déjà impossible aux Grecs du temps de Périclès. Les Sophistes entrent en scène dans cette ambiance sceptique : c’est d’ailleurs leur fonds de commerce.

En effet, ils soutenaient tour à tour, avec autant de persuasion, la thèse et l’antithèse !  Mais alors où est la vérité ? Tant qu’ils disputaient sur des questions spéculatives, on les laissait s’occuper de la jeunesse. Mais ils en arrivaient à remettre en cause les notions morales de la Cité. Ces notions morales étaient pour l’heure sans base rationnelle : une tradition historique grecque. Leur art de persuader les amenait à opposer des thèmes : bien et mal, beau et laid, vrai et faux, juste et injuste, science et ignorance, nature et convention, lois non écrites et droit positif.  Parmi les maîtres de rhétoriques : Protagoras, Gorgias, Prodicos.

Le fondement de l’enseignement sophistique : le relativisme. Le fruit de l’enseignement sophistique : le doute, l’éclectisme, l’utilitarisme qui vire en opportunisme.

En effet, ils n’enseignaient pas à être justes, vertueux, véridiques mais à savoir paraître tels pour obtenir les postes convoités : il fallait parvenir. Ils étaient donc capables de faire triompher la cause injuste sous les dehors de la justice.  Brillants techniciens de la parole (on dirait peut-être aujourd’hui : grands communicants), celle-ci était chez eux vidée de son contenu réaliste. Ils professaient n’importe quoi pour de l’argent. Malgré, peut-être, d’excellentes intentions, ils corrompaient la jeunesse. Face à eux va se dresser Socrate : cessez de surfer sur la paille des mots. C’est le grain des choses qui garantira la justice.

    3° Le plus illustre : Protagoras (vers 480 – vers 408)

En tête de son ouvrage sur La Vérité, il écrit cette célèbre phrase qui résume bien sa pensée : « L’homme est la mesure de toutes choses ».

Plus tard, Platon, disciple de Socrate, dans son dialogue intitulé Théétète, explique : « telles m’apparaissent, à moi, les choses en chaque cas, telles elles sont pour moi ; telles elles t’apparaissent à toi, telles elles sont pour toi aussi. (…) N’arrive-t-il pas, parfois, qu’au souffle du même vent l’un de nous frissonne et non l’autre ? Que le frisson chez celui-ci soit léger, et fort chez celui-là … ? »

Protagoras s’inspire d’Héraclite : tout bouge. Toute formulation adéquate et stable de la vérité est donc impossible : ce que je sens est vrai pour moi et ce qu’un autre sent est vrai pour lui. C’est « relatif ». Au service de cette orientation déjà « libérale-libertaire », Protagoras était un tel dialecticien qu’on n’arrivait jamais le contraindre dans une conclusion : jamais à court de mots, il rebondissait constamment dans une direction contradictoire.

Mais si Protagoras est relativiste en philosophie spéculative, il reste conservateur en éthique et politique. C’est là une position classique chez les positivistes (Cf. : Auguste Comte[7]). Prudent pragmatique, Protagoras respecte donc les traditions de sa Cité.

    4° Le plus habile : Gorgias (né vers 480)

Son style est si fameux[8] que les Grecs en général forgeront un verbe, « gorgianiser » pour désigner sa rhétorique. Parmi ses disciples : Critias, Alcibiade, Thucydide, Aristippe de Cyrène, et surtout Isocrate qui fondera une école concurrente de l’Académie de Platon.

Célibataire, il meurt plus que centenaire : le secret de sa longévité aurait été, selon ce qu’en rapporte Démétrius de Bysance, « de n’avoir jamais rien fait en vue de faire plaisir à un autre ».

Platon met en scène le sophiste dans son dialogue intitulé Gorgias[9]. Fait unique parmi les sophistes, deux œuvres in extenso de Gorgias nous sont parvenues : L’Eloge d’Hélène[10] (éloge paradoxal de l’adultère en s’efforçant de prouver l’innocence d’Hélène) et le Plaidoyer pour Palamède[11] (tentative de prouver l’impossibilité de condamner Palamède, général traître à son pays).

a) Le scepticisme de Gorgias

Gorgias est sceptique, et donc subjectiviste, et donc relativiste. Aristote a répondu à cette difficulté dans son De Anima (III, 8, 431b 21).

Nous sommes condamnés à l’opinion incertaine. Et donc le discours est maître : c’est lui qui contrôle les apparences en désignant certaines réalités humaines par choix volontaire et qui indique ainsi les aspects du réel qui doivent faire surface. C’est le pouvoir démiurgique de la parole chanté par Gorgias.

« Le langage est un grand potentat, qui avec un corps minuscule et imperceptible accomplit les œuvres les plus divines. Car il a pouvoir de calmer la peur, d’ôter le chagrin, de produire la joie, d’accroître la pitié » (Eloge d’Hélène, § 8).

Exemple : Hélène coupable ou non-coupable ? Le discours de Gorgias la disculpe de toute responsabilité par la persuasion.

Le langage médecin ne laisse apparaître que le bon côté des choses et refoule le mauvais. Gorgias utilise en maître le raisonnement logique que Platon et Aristote dénonceront comme sophistique car il n’exprime pas la réalité. Ce discours gorgianesque fait partie de la poésie et de l’art : un maître d’illusion. La cohérence mentale issue du choix  est nommée par Gorgias justice ou sagesse. Et ce choix subjectif est légitimé car l’esprit y trouve du repos entre les positions contradictoires.

Selon Gorgias, l’art du sophiste est donc une « illusion justifiée » car partagée par un grand nombre d’auditeurs. Le discours rationnel prétend mettre les choses en mots. C’est impossible pour Gorgias. La poésie, dont fait partie l’art rhétorique, transmet non plus les raisons des choses, mais l’émotion que produisent ces choses :

« Ceux qui l’écoutent reçoivent en eux le frisson de la peur, la pitié des larmes et le regret qui morfond. Face aux prospérités et aux revers de causes et de personnes qui lui sont étrangères, l’âme éprouve une passion bien à elle, grâce aux discours » (Hélène, § 9).

Pour Gorgias, donc, le langage ne transmet pas une connaissance adéquate des choses, mais il véhicule très bien nos émotions. Et ce qui assure finalement la communication entre les hommes, c’est seulement l’émotion partagée. Le langage n’a pas à désigner le réel objectif à travers des concepts abstraits, mais doit toucher l’  « âme sensitive ». L’illusion justifiée est le fruit du langage poétique émotionnel qui agit sur l’auditeur de façon à le suggestionner par la musique des mots.

b) La manipulation par les mots :

Gorgias définit l’âme comme passivité : il suffit de connaître les méandres de cette âme humaine pour mieux l’influencer. Le nom de cette séduction par la parole est un des thèmes majeurs de la sophistique : la persuasion (peithô).

« La persuasion, quand elle est jointe aux discours, modèle à sa guise l’âme aussi » (Hélène, § 13).

Persuader : créer une sorte de climat affectif propre à entraîner l’adhésion intérieure. Le poids des arguments ne vient pas ici de leur rationalité objective mais de ce climat qui favorise la réception psychique chez l’auditeur.

« Gorgias disait qu’il fallait détruire la gravité des adversaires par l’ironie et leur ironie par la gravité » (Frag. B, 12).

Gorgias s’appuyait ainsi sur la parole rythmée, quasi-poétique. Mais l’habile sophiste va plus loin : son vocabulaire laisse penser qu’il rapprochait son art de la magie (pratiques occultes déjà usitées par Empédocle). La persuasion du discours est semblable à un envoûtement et ses phrases ressemblent aux formules incantatoires des rites magiques antiques. Si bien que le sophiste est sorcier : il contrôle le mot juste. Gorgias précise cette relation :

« En effet, les incantations sacrées qui utilisent des paroles attirent le plaisir, retirent le chagrin. Car, mêlée à l’opinion de l’âme, la puissance de l’incantation l’a fascinée, persuadée, métamorphosée par ensorcellement » (Hélène, § 10).

La rhétorique opère donc avec des mots comme avec des drogues magiques. De là cette comparaison avec la médecine : le sophiste serait en effet le médecin des âmes. Le sophiste trompe, oui, mais sa duperie est justifiée car, devant la réalité contradictoire, la poésie de l’illusion (rhétorique) soustrait l’homme déchiré en choisissant volontairement un contraire dans un parti-pris unilatéral au bon moment (thème du kaïros : le moment opportun). Gorgias est ainsi le penseur d’une sagesse temporelle essentiellement pratique, utilitaire : il est apte à former les hommes politiques, les futurs gouvernants[12]. Quand on cherche une définition générale essentielle, valable pour tous, en tous lieux et en tous temps, on gomme les nuances du concret et on se rend incapable de l’utiliser dans la pratique.

Selon les sophistes, il vaut mieux définir la vertu selon le kaïros : l’utilité du moment.  Car autre est la vertu de l’homme en temps de guerre, autre en temps de paix, etc. Aristote sera ici plus proche de Gorgias que des platoniciens. Mais le réalisme d’Aristote n’est pas chez lui opportunisme :

« En effet, ceux qui parlent en général se font à eux-mêmes illusion quand ils disent que la vertu est la bonne disposition de l’âme ou l’action correcte ou quelque chose de ce genre ; en effet, ceux qui énumèrent les vertus, comme Gorgias, en parlent beaucoup mieux que ceux qui les définissent ainsi ». (Aristote, Frag. B, 18 et Politique, I, 13, 1260a 27).

Aristote a été dix ans professeur de rhétorique à l’Académie de Platon : il a enseigné toutes les nuances bien réelles des sophistes, nuances qu’il accueille sans difficulté dans son souci de réalisme constant. Mais Aristote ne va évidemment pas jusqu’à nier toute ontologie (métaphysique) : il reconnaît les difficultés réelles soulevées par les sceptiques. L’essentialisme de Platon (idéalisme : les Idées-essences séparées du monde sensible) reniait trop les ambivalences du réel, fonds de commerce des sophistes. Aristote revient au réel concret, non pour y rester borné comme les empiristes de tous les temps, mais pour indiquer une porte de sortie vers l’universel : l’induction.

Conclusion : Gorgias a moins innové que Protagoras dans le domaine de l’argumentation. Il s’est surtout contenter d’insister sur les « vraisemblances ». Par contre, il a développé les effets de style, les antithèses, les jeux sur les sonorités, l’emploi des mots poétiques.

Les Sophistes ont joué un rôle littéraire indiscutable. La rhétorique (art de persuader) leur doit beaucoup. Les Sophistes ont certes participé à l’élaboration du discours philosophiques mais ils sont bien des positivistes avant la lettre. La vérité n’est pas leur problème. Ce qui compte pour eux, c’est l’impression laissée par le discours. Avec audace, mais souvent avec insolence et sans vergogne, il envisage de justifier l’injustifiable.

B. Socrate (-470, -399 av. J.-C.)

    1° En opposition aux Sophistes

Toute sa vie, Socrate attaqua les Sophistes. Alors que l’orgueil sophistique alambique son discours, l’humilité socratique use du langage de la vérité qui est simple. Son arme, que les Sophistes ignorent : la passion du vrai, la passion du bien. La philosophie était surtout pour eux un métier : ils passaient ainsi indifféremment d’une thèse à l’autre avec impertinence. Face à ces prestidigitateurs, Socrate recherche la thèse vraie. Ironie de l’histoire, il est condamné pour impiété : on le confond avec les Sophistes !

Avant d’être citoyen, nous sommes hommes : le soin de l’humaine nature passe avant le soin de la cité. Les poètes invitaient à plier sous la destinée humaine. Les législateurs,  à suivre aveuglément les usages des pères.  Les Sophistes disaient : on peut réussir sa vie dans la Cité ici et maintenant et nous vous en donnons les moyens d’accéder aux postes à responsabilité.

    2° Face au relativisme, il propose la quête des définitions

Ces recettes efficaces inquiètent Socrate qui interroge ceux qui cherchent à recevoir ces techniques de communication : une fois en poste, qu’est-ce que vous faites ? Face au relativisme des influents Sophistes, Socrate propose une méthode qui conduit à des conclusions certaines : c’est l’induction. En analysant des cas particuliers, l’intelligence humaine peut établir des définitions générales : la vertu en soi, le juste en soi, etc. : les concepts adéquats que Platon nommera Idées.  On peut affirmer que cette voie de découverte est bien de Socrate lui-même. Platon la reprendra en partie. Aristote intégralement en analysant la première opération de l’intelligence humaine. Platon placera ces Idées dans un monde séparé (idéalisme), Aristote dans les choses mêmes (réalisme). A vrai dire, Socrate n’a pas de doctrine (il n’a rien écrit) mais il a laissé une méthode (l’induction) : c’est son legs le plus important.  Grâce à cette méthode, il invalide l’approche des Sophistes : on ne peut pas, moralement, se placer par-delà le vrai et le faux, par-delà le bien et le mal. L’ironie socratique (« je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien ») est double : défiance envers un raisonnement trop rapide, mais aussi confiance ultime dans les capacités de la raison humaine.

    3° Les définitions visent l’universel

Aristote (nait 15 ans après la mort de Socrate) indique en quelques mots ce qu’il doit à Socrate : « Il faut rendre justice à Socrate. On lui doit le discours inductif et la définition qui exprime l’universel ».

Induction, définition, universel : c’est là un même problème. C’est LE problème de toute l’histoire de la philosophie[13].

Qu’est-ce donc que le courage ? Socrate prend des exemples : il collectionne les exemples concrets constatables par tous. Or, Socrate prend son temps : il bannit la précipitation, la clarté et la distinction immédiate. Sa lenteur devait faire sourire les Sophistes dont la rapidité dialectique cachait les liens incorrects. Car la pâte humaine passe naturellement, progressivement - dirons-nous lourdement ? - du confus au distinct. C’est la longue quête des dialogues platoniciens. De ces exemples, notre intelligence va abstraire le concept général de courage. Cette définition doit s’appliquer à la plupart des cas [14], seulement à ces cas et toujours à ces cas.

Socrate a exploré le mode de procéder de la première opération de l’esprit qui aboutit aux définitions Celles-ci vont engendrer des énoncés (deuxième opération) qui en s’enchaînant vont donner des syllogismes (argumentations, raisonnements). De la considération de multiples actes courageux je peux définir le courage en général. Les principales vertus humanisantes sont ainsi abordées. Je suis persuadé que Socrate n’accompagnait pas ses analyses « définitionnelles » de sourires arrogants mais du souci de convaincre en reliant des concepts adéquats.

Remplis d’eux-mêmes,  les Sophistes  sont mus par le souci de ne pas perdre la face et refusent cette visée universelle et définissent les choses en fonction de l’utilité du moment. Socrate recherche des définitions universelles : toujours et partout[15]. Un jugement vrai est donc possible : c’est la fin du relativisme. Le but de la vie n’est pas la réussite sociale et ses privilèges : il s’agit de travailler le réel pour en abstraire des directions bonnes à incarner dans nos vies.

II. Aristote, disciple de Socrate, propose les Réfutations Sophistiques

On rappelle souvent qu’Aristote a été disciple de Platon. Mais sans doute est-il surtout un disciple du maître de Platon. A l’âge de la maturité, Aristote rédige[16] l’Organon (outil) : un ensemble de traités de logique. Parmi ces exposés, on remarque les Réfutations Sophistiques.

« Que certains raisonnements soient des raisonnements véritables, tandis que d’autres paraissent l’être tout en ne l’étant pas, c’est là une chose manifeste. [. . .] C’est de la même façon que raisonnement et réfutation sont tantôt véritables, et tantôt ne le sont pas, bien que l’inexpérience les fasse paraître tels : car les gens inexpérimentés n’en ont, pour ainsi dire, qu’une vue éloignée. » Réfutations Sophistiques, 164 a 23.

L’expérience d’Aristote lui a enseigné qu’il existait deux types de sophismes : ceux qui proviennent du discours lui-même (sophismes nommés par les Latins in dictione) et ceux qui ont une autre cause (sophismes extra dictionem). Nous proposons ici une brève synthèse de ces sophismes, sachant qu’il existe d’autres classifications pertinentes. Les exemples sont plus ou moins évocateurs mais il faut savoir abstraire la vérité de ces manigances au-delà des exemples circonstanciés.

1° Les sophismes verbaux (du discours parlé)

Ils opèrent selon six stratagèmes :

-         l’homonymie ou équivocité : certains sons de voix indiquent plusieurs choses différentes comme maire, mère, mer mais ils peuvent parfois s’écrire de la même manière et on peut ainsi jouer sur cette ambiguïté.

Exemple : Le chasseur traque du gibier. Or, le chasseur est une constellation. Donc une constellation traque du gibier.

-         l’amphibologie : ambiguïté dans la structure de la phrase qui engendre une compréhension équivoque ou double comme « louer une maison ». Très courant dans certaines langues comme le latin.

-         la composition : unir à tort certains mots. Suffrage universel et démocratie ou encore votant et citoyen.

-         La division : séparer à tort certains mots. Daesh et impérialisme occidental[17].

-         L’accentuation dans le ton : virtuosité de la majorité des journalistes actuels qui consiste à énoncer une phrase selon un ton suggestif. Citer un passage d’un texte hors de contexte est un exemple classique qui engendre une fausse interprétation.

-         La forme de l’expression : « grand homme » désigne à la fois un homme respectable et un homme de haute taille.

2° Les sophismes mentaux (purement intérieurs) :

Ils opèrent selon 7 stratagèmes :

-         Selon le motif de l’accident : prédiquer une chose selon le mode substantiel alors que nous sommes dans l’accidentel. Poutine le russe est autre que Obama l’américain Or, Obama est notre allié. Donc Poutine est autre chose que notre allié.

-         Selon le passage du relatif à l’absolu : tel être n’est pas respectable, puisqu’il ne fait pas partie de la communauté des gens de bien selon les critères du moment.

-         Selon l’ignorance de la réfutation : quand on ne connaît pas l’argument à manifester.

-         Selon la supposition de ce qui est à prouver (pétition de principe : Aristote en distingue cinq dans les Topiques 8, 13).

-         Selon l’affirmation  d’une causalité qui n’existe pas (sophisme de la conséquence) : Les spectacles de Dieudonné sont énoncés antisémites par les médias. Or, vous êtes allés à un de ces spectacles. Donc vous êtes antisémites.

-         Selon la réunion de deux questions en une seule : Vous êtes patriote ? Oui. Donc vous êtes raciste.

Nous aurons plus loin l’occasion de préciser les arcanes du réalisme aristotélicien. Ce que l’on retiendra d’Aristote, l’ancien professeur de rhétorique de l’Académie, c’est que le discours humain peut se développer en inadéquation avec le réel, et cela, semble-t-il, volontairement puisque totalement assumé, et que les choses humaines ne s’incarnent pas nécessairement selon leurs finalités intrinsèques. Le philosophe constate ainsi des situations humaines, bien établies, et pourtant en contradiction avec le dessein de la nature, avec ce qui devrait être. Les Sophistes renonçaient à cette précision objective pour étaler un jargon approximatif mais subtil. L’hypertrophie formelle cache souvent l’indigence du fond et finalement les arguments sophistiques doivent plus à l’intimidation qu’à la vérité objective.

    Conclusion :

Nous naviguons continuellement dans ces subtilités de langage. Le complexe politico-médiatique excelle dans cet art de la tromperie qui proclame le caractère juste et naturel de la domination des puissants. Avec l’évocation de ces quelques outils de discernement, nous ne prétendons pas donner tous les moyens pour débusquer les embrouilleurs de l’agilité dialectique mais c’est bien dans ce sens qu’il faut travailler pour faire un travail de vérité. Il faut reconnaître que nous avons affaire à des virtuoses de la fabrique du prestige et de l’impeccabilité formelle qui évitent les vrais liens et qui en induisent de faux. La cacophonie des valeurs qui en résulte réclame d’authentiques chercheurs de vérité, autrefois appelés philosophes[18].

Mais nous avons une arme de lucidité massive : la quête des définitions réelles dans l’étude et la formation. La grande force de la sophistique, c’est l’ignorance des définitions de la part de l’auditoire. Qui peut donner une juste définition de la politique ? de la création monétaire ? Combien de mots entendons-nous dont nous ne connaissons pas les définitions précises ?

A la suite de Socrate, nous nous situons ici dans l’ordre de la raison et non de l’émotion[19]. Nous assainissons donc le débat démocratique en dénonçant les sophistes professionnels qui embrouillent volontairement certaines définitions pour éviter certains syllogismes d’amener à certaines conclusions.

Singer l’humanité, à force d’évocations émotionnelles, afin d’influencer le jugement,  est un crime très grave. C’est un crime contre la raison : contre l’humaine nature. C’est à sa façon aussi un crime contre l’humanité. Quand on ne s’adresse pas à la raison de l’autre, on ne le considère pas dans cette humanité.

« Veux-tu savoir quel type d’homme je suis ? Eh bien, je suis quelqu'un qui est content d'être réfuté, quand ce que je dis est faux, quelqu'un qui a aussi plaisir à réfuter quand ce qu'on me dit n'est pas vrai, mais auquel il ne plaît pas moins d'être réfuté que de réfuter. En fait, j'estime qu'il y a plus grand avantage à être réfuté que de réfuter, dans la mesure où se débarrasser du pire des maux fait plus de bien qu'en délivrer autrui. Parce qu'à mon sens, aucun mal n'est plus grave pour l'homme que de se faire une fausse idée des questions dont nous parlons en ce moment. » (Socrate répondant à Gorgias dans le Gorgias de Platon, 457 d).

L’extension contemporaine de la logique marchande et matérialiste à tous les domaines de la vie[20] est la conséquence ultime de ce relativisme « libéral-libertaire » initié par ces sophistes et leurs disciples sceptiques. Puisque rien n’est vrai, tout se vaut et c’est celui qui s’impose par l’habileté de son discours qui triomphe par-delà le vrai et le faux, par- delà le bien et le mal. Nous sommes devant des gens qui encouragent la démoralisation dans tous les sens du terme et donc la déresponsabilisation. L’homme de bien ne peut rester insensible à ce développement mortifère.

Nous avons commencé cet Episode 2 en évoquant les autorités établies qui rusent pour s’imposer aux citoyens dans la société libérale actuelle (FMI, Banque Mondiale, etc.). On ne peut pas raisonner correctement sur la vie humaine actuelle sans définir objectivement ces groupes. En opposition aux philosophies anglo-saxonnes qui réactualisent les thèses sceptiques et sophistiques en répétant depuis des siècles un « réalisme » réducteur fondé sur le calcul intéressé (et qui légitiment systématiquement les intérêts des puissants via leurs institutions), le réalisme authentique doit pouvoir définir ces chefs d’orchestres de l’actuelle société libérale. Résister à l’uniformisation des jugements et des comportements, c’est avant tout rappeler les fondements spéculatifs et théoriques de la légitimité d’une éthique universelle qui concerne tous les hommes de ce monde.

La philosophie authentique est la recherche des orientations[21] de la loi naturelle[22] inscrites dans la réalité extérieure à moi. Cette loi naturelle indique une morale commune, nous dirions une décence commune[23],  qui nous dicte ce qui convient et ce qui ne convient pas[24]. Cette philosophie de l’être objectif combat en première ligne et peut contribuer à bouleverser les critères de jugement. Autrement dit, la réflexion qui en résulte peut amener le clairvoyant à ne pas s’engager dans des directions jugées mauvaises (pour lui-même, sa famille et son groupe, son bien commun), à ne pas s’insérer dans certaines structures, bref à dire : non ! Or, les réseaux de formation philosophique en Occident sont presque exclusivement des formations au relativisme et donc au libéralisme (spéculatif et pratique), jusque dans l’enseignement catholique[25].

Echapper à ce virtualisme virtuose mensonger qui entretient finalement une sorte d’oppresseur intériorisé, et qui s’appuie la plupart du temps sur l’argument d’autorité[26], réclame de la lucidité et du courage. J’invite ceux qui ont cette clairvoyance dans la fidélité, et soyons fous, un peu de panache[27], à rejoindre la résistance philosophique[28] pour combattre la gangrène libérale qui va inévitablement altérer la qualité de vie de nos enfants et les contraindre à des soumissions avilissantes[29]. Face à cette logique de déshumanisation de soi et des autres, n’est-il pas temps de rappeler que c’est la vérité qui rend libre[30] ?

NOTES

[1] Qui s’impose aux politiques élus par des organismes supra-nationaux comme le FMI, la Banque Mondiale, le Club de Londres, le Club de Paris et leurs affiliés.

[2] Pour une analyse des relations de cause à effet dans ce domaine, on lira Werner Sombart et Max Weber.

[3] Les matières nécessaires deviennent relatives et les matières contingentes sont présentées comme nécessaires.

[4] Les méthodes spéculatives qui conduisent à la véritable science, comme l’induction, sont dites relatives tandis que les méthodes pratiques (dans l’agir comme dans le faire) sont dites nécessaires. On assiste ainsi à une certaine absolutisation ou même sacralisation de certaines décisions humaines positives et donc relatives et annulables : voyez par exemple la religion de l’euro dans la zone euro pour satisfaire aux intérêts américains malgré le désastre réel de la qualité de vie des peuples européens. Ou les pédagogistes de l’Education Nationale qui refusent de voir les effets dramatiques de leurs programmes. L’induction nous invite au contraire à céder devant le réel : c’est l’objet qui commande mais il doit être mesuré par les critères de la morale commune. Cela réclame une certaine capacité à la remise en cause. Or,  se remettre en cause, c’est sacrifier son narcissisme pour accepter de progresser. Les personnes incapables de se remettre en cause sont inaptes au Bien Commun et ne sont pas dignes de postes à responsabilité.

[5] De l’empirisme anglo-saxon à l’idéalisme plutôt allemand.

[6] Engendré comme une seconde nature (habitus pour les puristes) chez nos adolescents par le programme étatique de philosophie en terminale, dans les programmes universitaires, dans nos « Grandes Ecoles »… Le critère intellectuel ici est la rapidité des déductions (nommée chez les Anciens solertia) mais sans affirmer la vérité des principes de départ, affirmation estimée impossible à la suite de la critique de l’induction par Occam, Descartes, Hume, etc. Nous sommes en face d’une certaine néo-scolastique qui s’appuie sur l’autorité des auteurs jugés sérieux et respectables en fonction de critériums nominalistes.

[7] Kant appelait à « penser par soi-même » pour accéder à l’état adulte. Ce refus de tout tutorat est évidemment le fruit d’une philosophie non-inductive et opposée à la sagesse. Cette raison kantienne tente ainsi de séduire les jeunes esprits en les invitant à « penser de leur propre chef «  comme si la vérité sortait de notre propre fonds. Cet « individualisme spéculatif », lequel va fonder l’individualisme pratique, produit paradoxalement la soumission à l’ordre établi. C’est la logique du positivisme que nous retrouverons chez Comte. On voit en effet Kant manifester une réelle dévotion à son employeur, Frédéric de Prusse. Certains ont pu dire que la pensée positiviste était une « pensée de laquais ». Nous dirions plus clairement qu’elle est le programme idéologique de la mise en esclave des peuples.

[8] Renommée immense dans l’antiquité grecque, une statue en or de Gorgias se trouvait à Olympie ou Delphes (selon les sources).

[9] On évitera la traduction de Monique Canto-Sperber qui loue subtilement les sophistes et tacle Aristote l’air de rien. Il est vrai qu’elle a fait le lien avec le libéralisme : http://www.les-ernest.fr/precis-de-liberalisme/

[10] Mariée à Ménélas, roi de Sparte, avant d'être enlevée par Pâris, prince troyen. Cet événement déclenchant la guerre de Troie qui oppose Grecs et Troyens.

[11] Palamède est l'un des princes grecs qui prirent part à la guerre de Troie. Ulysse dénonce la perfidie de Palamède car celui-ci avait laissé l'armée manquer de vivres, bien qu'il fût allé en Thrace, sous prétexte d'en acheter.

[12] Qui finiront par devenir exclusivement des techno-gestionnaires au service des puissants quelques siècles plus tard.

[13] On peut utiliser les règles de grammaire en apprenant par cœur ses fonctionnalités et en les déduisant face à des phrases données. Mais je peux aussi découvrir par induction, et donc par abstraction, ces mêmes règles à partir de situations concrètes vécues, comme le propose la très intelligente « Grammaire Structurante » de Elisabeth Vaillé-Nuyts.

[14] Selon des degrés de nécessité qui dépendent de la matière traitée.

[15] Selon des degrés, bien entendu.

[16] Lui ou ses élèves : les attributions certaines sont délicates à établir.

[17] Le fait que cet exemple vous choque est l’indice de l’efficacité de la propagande sophistique.

[18] Dont l’honneur consiste, à la suite de leur père Socrate, à rester fidèles aux définitions correctes et à dénoncer les sophistes suffisants et arrogants qui se fichent de la vérité.

[19] Vous aurez reconnu ce sentimentalisme qui est le propre de l’argumentaire anglo-saxon synthétisé dans les productions américaines dont Hollywood est un porte-parole.

[20] La normalisation des sociétés occidentales, leur uniformisation, facilite le pouvoir centralisé. Le légal supplante la moralité universelle.

[21] Spéculatives et pratiques, qui culminent en politique.

[22] Source d’un humanisme objectif et universel.

[23] Expression tirée de George Orwell, réactualisée par Jean-Claude Michéa et Bruce Bégout.

[24] On aura compris qu’il s’agit là des définitions du bien et du juste selon la hiérarchie objective des biens, et donc de la prise au sérieux. Ce qui est enjeu ici, c’est une définition de la sagesse autre que le seul calcul organisationnel, outil de base des techno-gestionnaires.

[25] Univers catholique contraint au fidéisme consenti faute d’une formation philosophique réaliste.

[26] Via une infantilisation que de nombreux contemporains peuvent constater.

[27] Le but de toutes ces considérations est de mourir debout en combattant et non en collaborant vilainement avec les ennemis du genre humain, acteurs du malheur commun.

[28] Qui n’est rien d’autre que la résistance de la raison contre une phraséologie qui joue sur les sentiments.

[29] Malgré ses présupposés marxistes dont on peut discuter, on lira avec profit la Contre-Histoire du libéralisme de Domenico Losurdo : l’auteur nous dévoile ce « progrès de l’humanité » comme une longue série de crimes et de souffrances (séquence XVIIème-XIXème siècles) engendrés par la classe des dominants au mépris des petits et des faibles. Divers auteurs sont ainsi exposés, comme le champion de la tolérance John Locke (que l’on se doit d’aduler dans le programme officiel de philosophie en terminale), Alexis de Tocqueville, Benjamin Constant, Jérémy Bentham. Losurdo explique que la philosophie libérale séduit toutes les couches de l’humanité par son idéologie du laisser-faire, mais sert finalement à cimenter le statu-quo de la mainmise des maîtres du moment. Le salariat moderne y est défini comme une nouvelle forme d’esclavage moderne.

[30] Ne devrions-nous pas commencer tout cours de philosophie par cette phrase de Juvénal : « Vitam impendere vero » (Satires, IV, 91) ?


Aristote, l’ennemi des libéraux libertaires
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