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Soljenitsyne : révolution et mensonge

Soljenitsyne : révolution et mensonge

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Avec Soljenitsyne, sur la question de la plus haute morale qu’exigent la liberté et la vérité, il n’y a pas que les occidentaux qui en prennent pour leur grade, même si l’on se souvient de son célèbre discours d’Harvard fustigeant la perte de transcendance et d’idéal en Occident comme d’un modèle de réveil des consciences. Les russes eux-mêmes en furent souvent pour leur frais avec leur compatriote qui ne les ménageait pas. Celui que l’on peut considérer comme l’un des plus grands héros de l’histoire russe au XXème siècle les exhortait dans un style des plus directs à entrer en dissidence, pour « ne pas être un veau ou un poltron ». Dans le livre Révolution et mensonge, paru en novembre 2018 chez Fayard, trois de ses textes, bien utiles à méditer aujourd’hui, sont mis à la lumière.

Vivre sans mentir « zit’ ne po lzi »

Soljenitsyne écrit Vivre sans mentir en 1974, au moment où la parution de l’Archipel du Goulag le contraint à l’exil aux Etats-Unis. Ce court texte constitue un petit catéchisme du parfait résistant. L’auteur s’y dévoile comme une sorte de Bernanos russe. Verbe haut et cœur ardent, il ne peut transiger avec la vérité et vomit toute forme de tiédeur : « Mais si nous cédons à la peur, cessons alors aussi de récriminer contre ceux qui ne nous laissent pas respirer librement : c’est nous-mêmes qui nous en empêchons ! Courbons l’échine, attendons encore, et nos frères biologistes ne tarderont pas à trouver le moyen de lire dans nos pensées et de modifier nos gênes. Si nous cédons là aussi, nous prouverons que nous sommes des nullités, des irrécupérables, et c’est à nous que s’applique le mépris de Pouchkine : " Que sert à des troupeaux d’être libres ? Le lot qui leur échoit est d’âge en âge : le joug, des grelots et un fouet." »

L’auteur pousse ses frères russes au seul choix de la morale, illico, sans coup férir et pour toujours : « Mais, pour qui veut être honnête, pas d’échappatoire : il ne se passe pas de jour où chacun d’entre nous, fût-ce dans les matières scientifiques et techniques exemptes de danger, ne soit contraint de faire l’un ou l’autre des pas que nous venons de dire, du côté de la vérité ou du côté du mensonge ; du côté de l’indépendance spirituelle ou du côté de la servilité spirituelle. »

Leçons de février

« Chez nous, on parle de trois révolutions : 1905, février 1917 et octobre 1917. » Dans les quelques textes rassemblés sous le titre de Leçons de février, l’écrivain-lutteur décrit les causes et détaille le contexte de ce qui a déclenché la machine infernale de la révolution bolchévique qui broya tout sur son passage. Et comment la dictature marxiste, après la mort de Lénine, prenant la forme d’un seul homme, Staline, a pu conduire à cette ignominie, ce « mouvement irrésistible : la Guerre civile, la terreur tchékiste avec ses millions de victimes, les révoltes paysannes parfaitement spontanées, avec les famines bolchéviques organisées artificiellement dans trente, voire quarante régions, et elle ne s’est achevée que par l’extermination de la classe paysanne et le bouleversement de toute la vie sociale lors du premier plan quinquennal. Ainsi, la révolution a déferlé pendant quinze ans. La révolution russe s’est achevée au début des années 30 pour être aussitôt reconnue avec respect par le pachyderme de la démocratie occidentale – les Etats-Unis. »

La cause majuscule de cet enchaînement fatal se trouve dans ce que notre pamphlétaire nomme « le Champ libéral-radical » qui depuis cent ans « avait irradié si puissamment la Russie que la conscience nationale en elle s’était étiolée. » Cause majeure en Russie au XIXème et au début du XXème siècle, cause majeure dans la plupart des pays occidentaux touchés tout au long du siècle écoulé par le consumérisme de masse et le progressisme libéral ayant tous deux pulvérisé l’autorité de l’Etat et la notion de bien commun. Avec, en réponse à cela et comme une heureuse conséquence parmi d’autres catastrophiques, des réveils épars de populismes, c’est-à-dire de consciences nationales reliées à des cultures singulières qui ne veulent pas mourir dans le maelström de la folle mondialisation.

Deux révolutions : la française et la russe

Dans ce texte, le géant russe du XXème siècle établit que toute révolution est une lave de feu dont le court obéit à un algorithme. En vertu de celui-ci, les révolutions, la française et la russe n’y font bien sûr pas exception, se précipitent, inéluctablement, vers le maximalisme de gauche. Autre observation du maître : « Malgré l’affirmation selon laquelle "la révolution est achevée", toute révolution inéluctablement va bien au-delà des limites imaginées par ses initiateurs. Elle a sa propre inertie, donnée par la poussée initiale, et jamais elle ne se limite aux premiers buts qui lui sont assignés. » Autres similitudes entre révolutions française et russe : un centralisme à Paris et à Petrograd d’où tout part à une vitesse vertigineuse ; anticléricalisme dans les cercles instruits français et dans les rangs bolchéviques. Et aussi, l’imitation des grands « mythes » historiques du passé : la France révolutionnaire ne cessa de s’inspirer de la République romaine tandis que la Russie trouva dans 1789 la matrice qu’il lui fallait imiter. Intéressante est l’analogie des « deux chrétiens sur le trône », Louis XVI et Nicolas II, dont Soljenitsyne souligne la bonté et la magnanimité tout en reprochant leur manque de sévérité politique, leur capitulation honteuse, sans résistance, ainsi que leur inconséquence ayant conduit leurs pays respectifs au chaos. L’impératrice russe vénérait Marie-Antoinette dont elle gardait précieusement le portrait. Avait-elle le pressentiment de la coïncidence finale de leurs destins ?

Ce qui est bien avec Soljenitsyne, c’est qu’il nomme les choses, ne voulant pas ajouter au malheur du monde en ne le faisant pas. La perte de Dieu a précipité nos sociétés dans l’abîme du relativisme et a généré tous ces maux qui nous accablent et semblent nous condamner à court et moyen terme : Gender, transhumanisme, mondialisme délirant, déification du marché et réification de l’être humain. La négation de Dieu a ouvert un espace béant à l’idéologie libérale qui a saisi l’aubaine afin de pousser la logique à son paroxysme : détruire toute forme de limite.

Allons-nous enfin comprendre en relisant le géant russe, symbole de tous les courages et de toutes les luttes contre les systèmes d’asservissement, qu’on les appelle communisme hier ou libéralisme incontrôlé aujourd’hui, tous deux ayant expulsé la question divine, que Dieu est à remettre au cœur de la grande aventure humaine ? Ecoutons pour s’en convaincre un autre génie de l’intelligence, l’écrivain anglais Gilbert Keith Chesterton, au début du XXème siècle, qui disait les choses à son incomparable manière : « Quand les gens cessent de croire en Dieu, ils croient en rien. Et quand ils croient en rien, ils croient en n’importe quoi. » Tous les jours, l’observation du réel ou le principe de réalité donne à constater l’absolue véracité de son aphorisme, finalement si ancien et si nouveau.


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