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Sortir du recyclage, prendre la marge (3/3)

Sortir du recyclage, prendre la marge (3/3)

Par  

Le péché du réactionnaire


Dans les deux épisodes précédents, nous avons pris conscience de notre sortie de l’Histoire, manifestés par la dissolution du mal dans le bien, la disparition des héros et la généralisation de notre écrasante identité de consommateur, nous avons ensuite identifié les rouages d’un monde qui a refusé sa fin et notre éternité pour nous conduire dans un perpétuel recyclage de l’esprit révolutionnaire. Face à ces deux constats, la réaction ne peut se faire attendre. Il est d’une urgence première de reprendre ses billes et de refuser de participer au grand Tout. Mole de chair en mouvement dans une masse en progrès constant, on fantasme sur l’oblation. On aimerait bien me retirer. SVP, coupez le cordon. Et pour sortir du corps social, permettez que l’on fasse vomir. Permettez que l’on utilise un langage outrancier, que l’on agrège en soi toutes les phobies qui rendent solidaires les éléments conscientisés de la masse et bien sûr « pride » dans leur perpétuelle révolution de chaland.

Après la prise de conscience de ce monde refermé sur lui-même, de ce monde en circuit fermé, le refus de participer peut apparaître comme l’unique repli possible pour se dégager de la nausée de se nourrir de ce que l’on engendre. Le refus de participer est d’une efficacité à toute épreuve. En effet, toute action, tout activisme, toute opposition à la marche en rond du monde ne peut être que la nostalgie que le monde moderne se permet d’anticiper, dans son manège, dans sa chute. Seul, le refus de participer, le refus de produire des raisonnements contraires aux idées du moment, atteindra le privilège d’être le crime absolu. Refuser de jouer, c'est pire que partir perdant, c'est ôter à l'autre toute possibilité de jouir, c'est castrer ce monde arrivé au bord des lèvres. Refuser le combat et tourner le dos à l’adversaire, en ayant pris conscience que ce combat était le sien, que les règles étaient les siennes, que le spectacle était donné pour l’avenir, voilà bien la seule attitude digne. Il s’agit de ne pas vouloir servir de souvenirs aux modernes de demain qui se moqueront de ceux qui encore, à leur époque, s’opposaient à ce qui sera alors devenu une évidence pour tout le monde. Il s’agit de refuser d’être le moderne d’avant-hier pour combattre celui d’aujourd’hui, etc. Pour ne pas être ce contrepoint qui parfait le cercle vicieux du recyclage permanent, cette petite (mauvaise) conscience qui permet au monde de continuer de tourner sur son idée. Cette petite (mauvaise) conscience qui suscite la pitié de Dieu et la fierté des humanistes. Il faudrait rompre avec l’existence. La rupture se situe dans le détournement du regard, le désintérêt total pour ce monde. Ni pour ni contre bien au contraire. Ce qu’il reste à proposer au world in progress, c’est une rémission sans condition, un drapeau en berne, un regard fier. Ok.

Quel fantasme, quelle attitude de Dandy, de samouraï de bibliothèque, d’aristo en robe de chambre ! Ablation n’est pas oblation… Disons-le comme si nous étions en chair, cette posture est un snobisme. Bien sûr, il y a l’intelligence, réfractaire à toute collaboration, qui irrigue l’esprit réactionnaire en premier. Mais au-delà, c’est aussi par esthétisme que ce profil toise la modernité. C’est par un mouvement de mauvaise humeur que s’amorce la réaction. Refuser de participer, même de combattre, amène à devenir conscient que la vie n’est qu’un jeu, une illusion, que la vérité, c’est la mort. Que le beau (le vrai) c’est aussi la mort. Revenue au néant, la liberté de ce Dandy apparaît comme infinie, la liberté apparaît comme source d’éternité, comme une ressource inépuisable. Le dandy réactionnaire voudrait crier : « nous sommes tous mortels ! » avec une joie non dissimulée. Mais il préfère se taire, considérant toute action comme vulgaire et source de corruption de cette liberté reçue. « Détruisez tout, rien ne compte plus, rien ne va plus, nous sommes mortels ! » Rien ne va plus, convertissez-vous ! Ce slogan n’est pas sûr de faire recette… Et pourtant. Si on considère cette posture comme une étape indispensable de la pensée, voire comme un lieu de pèlerinage, il est possible de s’en sortir vivant. Possible de ne pas aller jusqu’à Venner.

Le refus de participer est bien sûr le piège préparé pour l’intelligence, la pensée et l’âme. Un piège qui s’appelle suicide à plus ou moins court terme. Un piège qui empêche toute action de grâce, qui retire la possibilité de rendre des comptes sur les dons que l’on a reçus. Un piège qui corrompt par le confort qu’il apporte. Et c’est au confort que l’on reconnaît le péché. On sera jugé sur nos actes, et de fait, si on refuse d’en poser désormais, cela pose un problème. L’aventure doit donc continuer. Mais où ? L’épilogue de ce feuilleton de la pensée résonne comme un programme d’évêques, ce n’est pas « avance au large » mais : Prendre la marge. C’est donc de passer par la porte étroite qu’il s’agit.

Sortir du recyclage, prendre la marge (épilogue)
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Sortir du recyclage, prendre la marge (1/3)
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Discussion littéraire entre Friche et Aude de Kerros
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