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Soumission de la personne humaine

Soumission de la personne humaine

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Le narrateur et héros de Soumission, dont on soupçonne aisément qu’il pourrait aussi se confondre avec l’auteur, représente l’archétype de l’homme postmoderne. Il se regarde vieillir dans la crainte de souffrir et sans plus aucun espoir de se réjouir réellement, et surtout, sans plus aucun désir. Soumission de Houellebecq raconte la fin de vie de la volonté de la personne humaine, la fin de vie désirée de cette volonté, son euthanasie. Dans ce cadre, l’Islam et la conversion possible sont une opportunité idéale qui se présente dans le décor, pour permettre au narrateur de cesser de souffrir de cette incarnation qui, jusqu’au bout, l’oblige pour la moindre chose à choisir, à vouloir, à décider. Se convertir à l’Islam est se soumettre ; se soumettre est une euthanasie de ce qui fait de l’homme une personne. Voilà bien ce qu’illustre cette narration « presque pas » futuriste.

 

Homme fatigué cherchant dépendance

Le narrateur nous fait penser à Roquentin, ce pseudo héros de La nausée. Il est, plus exactement, l’homme d’avant la nausée, l’homme à la conscience-enveloppe-vide se posant ici ou là. Le narrateur se maintient à distance du monde, c’est même là sa condition. Au sens où le narrateur est toujours le fruit d’une ablation du monde, et en jouant sur les mots, pour retrouver le caractère sacrificiel de la chose, nous pourrions dire : oblation. Il se pose en observateur pertinent et jamais réellement éprouvé par le monde. Un classique chez Houellebecq. Le narrateur conte l’absurde non parce que le monde l’est, mais uniquement parce qu’avoir l’ambition de raconter confère une position absurde.

Houellebecq-héros butte sur le monde, se cogne contre la matière. Tout lui semble pénible : ouvrir le courrier, commander des sushis, les fuites de plomberie, la décoration d’un appartement. Si tu savais comme les objets m’énervent pourrait-il dire comme dans la pièce Art de Yasmina Reza. Si tu savais comme le monde m’encombre, comme la matière me lasse, comme la chair est triste… Mêmes les relations humaines sont compliquées puisque on est obligé de rompre le silence de la narration. Voilà ce que le héros houellebecquien dit dans sa plainte légère et perpétuelle. Cette plainte qu’il essaye de dissimuler derrière une résignation mais qui point tout de même quand le monde change. La résignation est un leurre également destiné au lecteur, une parade utilisée pour contourner les difficultés réellement éprouvées par l’incarnation.

L’homme fatigué revendique la vieillesse, non pas une sagesse, mais une proximité avec la fin de course, la fin de l’épreuve. L’important est d’être vieux dans sa tête, pourrait dire le professeur de littérature. Etre vieux est également la seule façon de se mentir le moins possible. Croire au monde serait s’abuser soi-même. « Je n’aimais pas les jeunes – et je ne les avais jamais aimés, même du temps où je pouvais être considéré comme faisant partie de leurs rangs » (Soumission – Michel Houellebecq – Flammarion – ISBN 978-2-0813-5480-7 - p18). Faute de se mentir, il se (la) raconte alors. Il produit des raisonnements, habille le vide, fait un petit story telling pour lui-même, pour se justifier de se sentir inadapté, de ne pas parvenir à participer au monde.

Le narrateur avoue à plusieurs reprises avoir atteint le sommet de sa vie intellectuelle et de sa carrière dans un passé révolu. Il n’a rien d’autre devant lui que la perspective de se prolonger sans trop se décevoir. Mais il a fait son job, il a fait son temps.

L’homme fatigué d’être et de faire ce qu’il faut pour être, va se mettre en quête d’un confort spirituel de type « thérapie ». La religion est une idée qui le traverse non pour l’aspiration à la vérité, mais pour le confort intellectuel, mental, psychique, qu’elle peut apporter. L’homme post-new-age ne peut pas mieux faire. Et ce confort est prié si possible de ne pas détruire les petits plaisirs qui le tiennent jusqu’alors : manger, boire fumer. Le sexe, on le verra, est devenu tellement triste, que le narrateur est prêt à un moment à adopter la vie qui lui permettra de s’en passer. Le sexe est en plus toujours une conquête humiliante, réduite à la volonté de l’autre, et toujours rabaissée par le plaisir pris par l’autre. Il monte à Rocamadour sur les pas de son écrivain mentor, Huysmans, il finit par redescendre encore plus vide qu’avant, « déserté par l’esprit ». Si les grands saints connaissent la nuit de la foi, l’homme postmoderne aussi. Il ne sait pas reconnaître la foi. Il ne sait pas, il ne sait rien. Il pourrait dire : « comment fait-on pour croire ? » Comment fait-on quand on n’a plus la force de rien ? Pour croire, il faut encore investir sa personne dans une direction, faire des efforts, lui qui pensait simplement entrer en religion pour se reposer l’esprit…

 

Le déni de monde réel et le monde de la non-connaissance

Le narrateur est donc fatigué et encombré de lui-même dans un monde pour lequel il est inadapté. Il est inadapté puisqu’il en est le produit, ou plus exactement le déchet. Le monde est faux, virtuel, produisant sans cesse une nouvelle réalité à laquelle on est sommé d’adhérer, avec laquelle on est sommé de faire comme si. Le héros houellebecquien, individu postmoderne, produit de ce monde là, a cessé de le suivre. C’est la réaction de la personne humaine qui souhaite manifester son existence en clamant qu’elle n’est pas dupe.

Dupe de quoi ? De l’actualité fabriquée d’abord. Le monde de Soumission est fait de rumeurs, les réseaux sociaux symbolisant une rumeur métastasée et donc que l’on peut mépriser. Les années de plomb se sont installées. Les années de plomb, c’est le politiquement correct auquel on incorpore la trouille. Des sujets sont interdits, et la meilleure façon d’interdire des sujets est de nier la réalité, de l’omettre. Des identitaires s’excitent, des djihadistes aussi, tout cela ressemble à une guerre civile ? La résistance ne concerne que la marge, le centre s’attache aux lambeaux de paix qu’il reste à droite et à gauche, et se contente que cela se soit « bien passé » cette fois. Il y a des rumeurs d’agressions d’enseignants à Mulhouse… Personne ne cherche à savoir vraiment, personne ne cherche à vérifier. On a peur que ce soit vrai, et cela ne doit pas être vrai. On parle à un autre moment sur un site identitaire, lors des élections, d’affrontements ayant fait plusieurs morts, mais le ministère de l’intérieur nie l’information. Le légal a remplacé le réel comme jamais, à un point tel que Maurras ne l’aurait jamais imaginé, mais tel que l’URSS l’a déjà expérimenté. Le monde s’est regardé à travers les médias, si les médias mentent, le monde devient un mensonge. Ne pas être dupe est la réaction saine de la personne humaine, mais la fatigue est telle quand on ne se montre pas dupe, que l’on peut aussi désirer adhérer à cette virtualité.

Le corolaire des années de plomb concernant l’actualité, est l’abandon de certains tabous sous le thème : pourquoi pas. Un « pourquoi pas » rendu possible par l’inculture répandue qui a mis l’individu en situation de manquer d’arguments. Certains débats impensables dans la société christiano-républicaine précédente s’ouvrent y compris dans la sphère privée : « t’es pour ou contre le patriarcat ? » demande Myriam au narrateur. Cela signifie que depuis longtemps le débat sur le voile ou la burqa a été tranché. La tolérance est bien la suite logique de l’indifférence, du quant à soi préservé, de l’individualisme de consommateur. Quand le candidat du parti musulman passe à la télévision pour évoquer son programme autour des écoles musulmanes où les femmes ne peuvent enseigner, où l’enseignement est orienté pour glorifier l’Islam… les questions embarrassantes ne sont pas réellement posées, et les doutes planent. Par manque d’arguments, donc par manque de culture. Ce monde a perdu sa culture et n’a donc plus rien à opposer à la culture de l’autre. Le narrateur s’interroge : ne fallait-il pas être baptisé pour enseigner dans une école catholique ? On ne sait pas, et le doute bénéficie au candidat. On ne sait pas, on ne cherche plus à savoir, c’est trop tard.

Pour clore cet éclairage sur un monde faux et creux, notons que le christianisme est vu comme une religion du livre, et donc un allié possible pour les musulmans au pouvoir. On mise sur la logique : les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Les chrétiens n’aimant pas la sécularisation du monde, trouveront dans l’Islam le retour à la transcendance qu’ils recherchaient. Ce raccourci est le symbole même de la déchristianisation de notre culture. On ne sait même plus que le christianisme n’est pas une religion du livre, mais de la personne. Et cette nuance est tout à fait significative compte tenu de l’angle d’attaque pris pour ce papier. Par ailleurs, l’ignorance des Chrétiens et non chrétiens est telle que l’on arrive même à oublier la filiation entre le monde occidental et le christianisme. Une ignorance que tous les lecteurs ne discerneront pas. Le monde décrit dans Soumission est déjà notre monde, les différences sont subtiles et infimes. Il est facile d’accepter son ignorance et le faux et le vide du monde en lisant Soumission. C’est la seule réalité à laquelle le lecteur peut se rattacher.

 

Homme postmoderne, animal triste.

Nous disposons donc d’un héros narrateur fatigué dans un monde factice et inculte. Continuons de construire le piège qui va amener le héros à se soumettre, à euthanasier la personne qui est en lui, à se convertir à l’Islam.

Houellebecq jouit bien sûr, sinon ce ne serait pas Houellebecq. Le sexe reste une de ses obsessions, même si la vieillesse le positionne en second plan bien après les plaisirs de la bouche. Manger et boire sont là ses seules consolations. On croirait le narrateur en train de photographier chaque plat qu’on lui amène, nous donnant la preuve qu’il est encore vivant, nous donnant la preuve que non, il ne cherche pas à mourir, mais au contraire à prendre tout le plaisir qu’il est encore capable de prendre. La description des mets et des breuvages, au delà de nous faire envie, donne l’impression d’un estomac insatiable. Houellebecq le glouton comble. Houellebecq se raccroche à la seule chose qui soit douce dans l’incarnation. Et le sexe ? Le sexe est triste comme toujours chez Houellebecq. Que la révolution sexuelle ait engendré un sexe triste n’est pas un thème nouveau chez lui, même s’il revêt ici une dimension plus accessoire. A vrai dire, le sexe est encore un élément du décor de l’incarnation, mais il tente de disparaître. Soit volontairement du fait d’une recherche spirituelle, soit involontairement du fait d’une profonde lassitude d’un homme qui a tout vécu. Le sexe est triste depuis que le sexe est du consommable comme la bouffe justement. Il jouit encore, mais son désir meurt petit à petit. Cela tombe bien puisque la rue va bientôt se vider de toutes ces fesses moulées dans des jeans, de toutes ces tentations. Et après tout, n’est-ce pas le désir qui fait souffrir ? Houellebecq va bientôt l’avoir sa société du plaisir sans désir, cette société tranquille, où tout devient accessible du moment que c’est légal. Elle arrive cette société idéale pour les mâles fatigués.

Le sexe n’est pas la seule marque de tristesse et d’abandon. L’incapacité à la révolte de celui qu’il est difficile d’appeler un héros est le reflet de l’incapacité de la société postmoderne à envisager un avenir, à croire au fait d’être encore dans l’Histoire. La société est sortie de l’Histoire et on voudrait que l’individu sache encore vivre, s’accommoder de l’incarnation. Le narrateur comme tant d’autres s’est tellement persuadé qu’il ne se passerait plus jamais rien dans cette France sortie de l’Histoire, tellement persuadé que la chute peut être perpétuelle qu’il s’étonne de ce que les événements le rattrapent : « Le déluge, en fin de compte, pourrait bien se produire avant mon propre trépas. » La devise de tout le peuple français pourrait être : après moi le déluge (votons au centre et préservons nos euros). Cela l’ennuie et en même temps, il se surprend à vivre encore. Une légère excitation peut être comprise. Va-t-il vivre une aventure ? Lui ? Lui que tout indiffère, lui le spectateur revendiqué va-t-il être obligé de monter sur scène ? Va-t-il avoir son heure ? La tristesse nait de ce pathétique. Le narrateur était donc cet être capable de vibrer un peu, de s’intéresser, de s’étonner. Tristesse puisque cela prouve que l’apathie est finalement subie. Le monde était bien ce piège où tout est connu, l’âge de l’impossible, du déjà vu, du prévisible…

Le pathétique est conforté dans la vision du père du héros. Le père d’un homme vieux, blasé de tout ne peut être que mort. Sauf qu’il se rend compte que son père a vécu. Il n’est pas mort seul contrairement à sa mère. Il a été aimé. « Un couple est un monde qui se déplace dans le monde »… Finalement, c’est la solitude qui l’embarrasse, tout simplement. Que de postures, que de raisonnements, que de gloses pour tout simplement s’avouer qu’il souffre de la solitude. Voilà bien la grande cause postmoderne de notre société. Il ne fait corps avec personne. Il n’est en relation avec personne. Son existence s’étiole de fait et il tombe de l’étagère en découvrant que son père a formé un monde avec une femme. « Ainsi, mon père avait eu une fin de vie sympa.» On notera l’adjectif sympa qui montre le peu d’ambition en vérité de ce pauvre type. Il s’étonne, ressent une légère envie, une âpreté dans l’envie. Même son père était parvenu à trouver un intérêt à vivre ! Il contemple cette femme qui avait su, la première, trouver en son père quelque chose à aimer…

Pour finir avec ce chapitre sur la tristesse de l’homme postmoderne, qui aurait pu s’appeler : pathétique, il est intéressant de souligner le rapport à l’argent des êtres. Si la France va devenir musulmane sans plus de révoltes que ça, c’est que l’on va acheter tout le monde. Marie-Françoise et son mari acceptent la retraite bien payée en province pour se taire et faire en sorte que l’université soit vidée de ses femmes et les services secrets de ses réactionnaires. Et nous disposons aussi de cette phrase symbolique du collègue méprisé, unique relation professionnelle du narrateur : « J’ai longtemps hésité (…) mais le salaire est vraiment intéressant » (Ibid - p180) Tout s’achète ! Et tout s’achète d’autant plus que la volonté humaine ne vaut rien. Que reste-t-il à quelqu’un que l’on a acheté sinon la possibilité d’aller se pendre dans le champ prévu à cet effet ?

 

La petite aventure

Donc notre héros-anti-héros est fatigué, dans un monde vide et factice, jouisseur sans désir, pathétique dans ses espoirs et ses possibles. Et à cet homme, l’écrivain va faire croire que l’aventure est encore possible, qu’il peut être un héros. Le narrateur met en place une logistique de fuite, et alors même que la fuite peut être vue comme un prolongement du pathétique, c’est de fait le seul moment où le héros accepte l’incarnation, assume d’être une personne humaine. La seule période également où il flirte avec l’Histoire de France en traversant sa campagne, remplie des vestiges de la chrétienté glorieuse.

Il va se passer quelque chose en France ! Même Pujadas et sa direction s’excitent en direct. « La France, comme les autres pays d’Europe occidentale, se dirigeait depuis longtemps vers la guerre civile, c’était une évidence. » (Ibid - p116) Mais, nous l’avons vu, le narrateur a l’illusion de penser que toute la société est à son image, et croit en quelques sortes à un état stable dans la chute. Peut-être s’était-il trompé ? Il va vivre le déluge. Cela sonne comme l’éveil d’une curiosité pour un homme-spectateur. Le narrateur regrette d’un coup de n’avoir consacré qu’une attention superficielle et anecdotique à la politique. Il n’est pas prêt à entrer dans l’Histoire. Il croit devoir se préparer. Cela est touchant de voir cet homme avoir des réflexes de survie, prendre la fuite. Guidé par la trouille de l’inconfort et de la souffrance, il se met en aventure. Une aventure pathétique bien sûr. Il enjambe des morts mais ne risque que la panne d’essence. Pourquoi sa petite vie merdique doit elle être modifiée ? Il est médusé.

L’aventure n’est que de courte durée, puisque l’élection large de Mohamed Ben Abbes est quasiment anticipée, du fait des alliances de la droite et de la gauche derrière lui. Le narrateur est en escapade à Rocamadour, parmi les touristes. Il a tourné la page. « Cet enchevêtrement de tours (…) me donna au bout de quelques jours l’impression d’une espèce de sortie du temps historique, et c’est à peine si je remarquai (…) la large victoire de Mohammed ben Abbes » (Ibid - p164) Ce fut court, le retour de la France dans l’Histoire était impossible. L’incarnation du héros tout également. Quand on a perdu le goût de l’aventure, seule la soumission est possible.

 

Un écrivain comme seul compagnon

Le héros est un professeur de lettres et Houellebecq le fait spécialiste-admirateur de Huysmans, écrivain catholique de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. Voilà la seule véritable relation que l’auteur va n’avoir de cesse de tisser toute sa vie. A ses élèves, il conseille d’ailleurs la lecture d’une œuvre selon l’ordre chronologique d’écriture par l’écrivain. C’est dire qu’il considère les romans et ouvrages d’un auteur comme permettant d’établir le portrait d’une personne humaine, peut-être même de l’incarner mieux qu’un corps. Huysmans est cette personne qui lui tient compagnie et qui chemine avec lui, à distance. Le narrateur essaye de lui ressembler, essaye de ressentir l’appel de la conversion, essaye d’en ressentir les tiraillements. Mais il ne parvient tout juste qu’à une adhésion intellectuelle fatiguée. Et c’est par Huysmans qu’il va vivre sa petite aventure, en suivant instinctivement ses pas dans le territoire. Et c’est Huysmans qui justifie sa rémission. A Rocamadour, il repense à Huysmans et à « son désir désespéré de s’incorporer à un rite ». Huysmans fonctionne un peu comme un miroir muet. Mais le héros de Houellebecq a du mal à déchiffrer. Finalement, il envisage la conversion à l’Islam en abandonnant toute recherche d’adhésion intellectuelle. Il prend conscience que Huysmans ne s’est pas seulement converti, qu’il est entré dans un lieu où tout était prévu. Le narrateur prend conscience que ce qui motiva son écrivain-ange gardien à entrer au monastère n’est pas la volonté de se prémunir de céder à la tentation du désir sexuel, mais la possibilité d’échapper aux « petits tracas de la vie quotidienne ». Houellebecq vit le rapport à la logistique domestique comme un harcèlement. Tout est sollicitation pour la volonté humaine, et ces sollicitations sont harcèlement. Le monastère est donc le lieu où tout est prévu, où le choix anodin, sans arrêt présent, disparait, et par là même, l’embarras, le supplice. L’Islam peut donc transformer le monde en un vaste couvent, où tout est prévu pour nous sans que nous ayons à nous poser des questions. C’est ça qu’il veut, rien d’autre.

 

L’euthanasie

La conversion du héros à l’Islam est racontée sur un temps particulier, le conditionnel. Pourtant on ne doute quasiment pas de sa réalité. Le conditionnel présent permet d’indiquer l’absence de surprise dans le futur, un futur où tout est écrit désormais. On est bien sorti de l’histoire, avec un gand H, avec un petit h, le livre de Houellebecq est déjà fini, on devine la fin, on sait ce qui va suivre : il va se convertir, obtenir un très bon poste à l’université, être doté de jeunes épouses dociles, avoir une vie domestique réglée et légale, où la gloutonnerie sera encore possible. C’est écrit. Mektoub.

L’islamisation est en fait la droite suite du relativisme généralisé. Quand tout se vaut, l’Islam peut même valoir plus. Le confort de la conversion vécue comme un abandon et non une adhésion intellectuelle, abandon de la prétention à produire des raisonnements qui était une conséquence de la nausée existentielle. Le héros sentait son « individualité se dissoudre » face à la Vierge de Rocamadour, dans ce temps hors du temps, d’introspection passive. L’essentiel de son désir est là, sa quête est de se dissoudre, de ne plus s’embarrasser avec sa volonté. C’est par esprit culturel et peut-être de molle adhésion intellectuelle, qu’il fréquente dans sa fuite la religion historique du pays. Mais il est incapable de la comprendre, lui l’homme sans relations, lui l’homme sans désir, incapable de comprendre la religion qui place la personne humaine comme pivot aimanté par Dieu vers les autres. Donc sur l’étagère des religions amalgamées par la République, il peut choisir la facilité. Avec l’Islam, on est sûr de ce que l’on achète, on est surtout sûr d’être acheté d’ailleurs. Il écoute le doyen-ministre, celui qui a conceptualisé cet Islam d’Occident, cet humanisme de synthèse : « l’idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue » (Ibid - p260) Nous y sommes ! Le renoncement est important, il s’agit de renoncer non seulement à la liberté, mais aussi à la personne et donc à son rôle possible pour le salut du monde.

L’euthanasie est une des obsessions de Houellebecq. Souvenons-nous de « La carte et le territoire » où le héros apathique (comme d’habitude) explose soudain et casse la figure à l’infirmière de Dignitas, l’établissement suisse où son père est allé mourir volontairement. C’est donc le seul événement qui met le héros en situation d’agir. L’euthanasie est peut-être un sujet phare de Houellebecq. Soumission semble répondre à la question du comment ? Il a trouvé comment il est possible de désirer mourir et l’a illustré avec sa narration.


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