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TETRASLIRE, le mensuel de vraie littérature pour les enfants 2/2

TETRASLIRE, le mensuel de vraie littérature pour les enfants 2/2

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Propos recueillis par Maximilien Friche

Suite de l’entretien du 9 septembre 2018 :

TétrasLire est le nom d’un magazine de littérature à destination des enfants. Lancé en octobre 2015, ce magazine a su trouver sa place d’autant plus facilement qu’elle était libre. Avant TétrasLire, les magazines pour les 7-12 ans ne proposaient pas réellement de la littérature mais plutôt des histoires niaiseuses de la vie courante écrites dans une langue appauvrie volontairement. TétrasLire est arrivé et la littérature est de nouveau possible, les enfants peuvent se configurer à des héros et plonger en aventure. MN a rencontré deux des responsables des éditions Alba Verba à l’origine de ce nouveau magazine.

MN : Puisqu'il s’agit de littérature pour la jeunesse, qui porte, comme vous venez de le souligner, une attention toute particulière au produit, à sa beauté, aux illustrations… y a-t-il une façon différente de préparer les numéros selon que l’on veut s’adresser aux filles ou aux garçons ?

AlbaVerba : C’est une question plus que naturelle, en revanche la réponse est clairement non. Le choix d’un texte ou d’un illustrateur ne se fait jamais en fonction d’une volonté de faire lire les filles ou les garçons. Et heureusement car ce n’est pas un critère pertinent. Agir ainsi serait calquer des représentations adultes sur des représentations d’enfants. A chaque fois que l’on intègre le critère du sexe de l’enfant, que l’on calque l’imaginaire des parents sur l’imaginaire des enfants, on se trompe. Le vrai critère en revanche, c’est la question de l’âge. Entre 8 et 12 ans, il y a une vraie différence de maturité. On essaye ainsi d’alterner des sujets plus immédiatement accessibles aux 8 ans, puis plus orientés vers les plus âgés. Chaque texte va générer des émotions différentes selon les âges, et l’enfant va être capable d’exprimer sa différence par l’imaginaire offert, il exprimera ainsi, à un moment, sa féminité ou sa masculinité, et c’est tant mieux que cela se fasse au travers de son imaginaire plutôt que sur suggestion des adultes.

Ce qui est affligeant, c’est que toute la presse jeunesse s’est positionnée sur la cible des filles, car toutes les études de marchés montrent que la plupart des lecteurs sont des filles ! Ainsi, que ce soit dans les histoires, les sujets traités, … tout est destiné aux filles. Cette orientation de la littérature jeunesse est clairement calquée sur des schémas adultes. La presse jeunesse calque la presse féminine ! C’est une vision de l’alternance homme/femme très caricaturale. C’est en tout cas une dérive d’adulte, une dérive marketing des plus a-littéraire.

Aujourd’hui, TétrasLire compte 48 % de garçons et 52 % de filles parmi ses abonnés, ce qui confirme notre vision d’une littérature qui ne sera jamais sexuée. Le seul numéro où on a eu des rejets des garçons, c’est celui de La Reine des neiges d’Andersen à cause de la pollution du texte opérée par Disney. Ceux qui ont osé lire l’histoire se sont rendus compte que le texte original d’Andersen n’était pas cette caricature marketing et sexuée proposée par le géant américain.

Force est de constater qu’une partie de l’édition ne sait pas parler aux 8-12 ans et les considère déjà comme des adultes, une partie de l’édition ne sait pas rentrer dans leur monde, leur imaginaire. A TétrasLire, nous avons envie de dire aux enfants : tu es capable de lire Daudet, Tolstoï, Dumas, etc. Nous sommes dans une démarche anti-marketing car on désegmente et ça marche auprès des parents comme des enfants ! De 8-12 ans, nous pourrions passer à une indication sur le magazine de 8 à 99 ans car les retours de nos abonnés nous disent que TétrasLire est devenu leur magazine familial.

MN : C’est quoi un auteur littérature de jeunesse ? Cela relève-t-il de l’intention de l’auteur ou d’une sélection d’éditeur ?

Alba Verba : Pour nous, un auteur de littérature jeunesse n’est pas un auteur. Quelqu’un qui se revendiquera ainsi sera tout au plus un plumitif, un écrivaillon, quelqu’un qui sera dans une démarche marketing et non dans une démarche créative ou artistique. Tout ne peut pas être lu par les enfants, bien sûr, mais un auteur qui écrit pour un public ciblé ne va pas forcément sortir quelque chose de ses tripes. Le concept d’auteur jeunesses est assez valable quand on réalise un album, mais elle nous semble antinomique pour la littérature. Bien sûr, il y a de bons auteurs jeunesse mais on s’aperçoit que pour cela finalement, leurs textes peuvent être lus par tous et ont une véritable valeur littéraire en dehors de tout public de destination. Un bon auteur jeunesse finira toujours par sortir de cette appellation réductrice.

L’auteur est-il dans une vraie démarche artistique ou choisit-il, pour répondre à une demande quelconque, d’écrire par exemple un texte pour « parler des migrants aux 8-12 ans » ?… Dans ce dernier cas, nous ne sommes pas dans une démarche d’auteur. Et c’est un peu le drame de la littérature jeunesse et du désamour des enfants pour la lecture. Il ne faut pas s’étonner que les enfants préfèrent des univers forts et violents, avec des personnages qui ont une vraie présence psychologique comme on en trouve dans les jeux vidéo et le cinéma. C’est dans ces champs-là de l’imaginaire qu’ils pensent pouvoir trouver des émotions fortes.

MN : Pourquoi avez-vous choisi de faire un magazine et pourquoi ne pas avoir choisi de vous lancer dans la réédition de livres ?

Alba Verba : Le souci de la réédition est qu’on ne touche pas les gens qui n’ont pas l’habitude d’aller en librairie, qui n’ont pas l’idée d’acheter un livre pour leurs enfants. L’avantage du magazine est que l’on touche des gens qui ne savent pas quoi faire lire à leurs enfants. Nous nous adressons avec TétrasLire à des parents un peu démunis, conscients de la nécessité de faire lire les enfants, ayant pris conscience que l’Education Nationale a renoncé à faire lire et à donner des listes de livres à lire l’été, mais ne sachant pas quoi proposer à leurs enfants. Et notons bien que nous nous adressons aussi à une génération de parents qui eux-mêmes n’ont peut-être pas lu enfant (ou seulement des livres dont ils étaient les héros…) et ne disposent pas de bibliothèque contenant des livres à faire lire à leurs enfants…

On instaure grâce au magazine la régularité et on développe un attachement affectif. Pour les enfants qui n’ont pas l’habitude de lire, il est plus facile de les fidéliser. Le magazine crée un pacte implicite avec l’enfant : s’ils ont aimé le premier numéro, ils auront envie de découvrir le suivant. Cela nous laisse une vraie liberté éditoriale contrairement à la réédition de livres où la publication de chaque volume est un combat pour convaincre les lecteurs.

MN : Tout le monde peut lire ? Tout le monde doit lire ?

Alba Verba : Un de nos combats est aussi de fuir les étiquettes que l’on colle trop rapidement aux enfants. Untel est scientifique, l’autre sportif, etc. Nous voulons arrêter avec l’aberration qui consiste à ne donner à lire qu’aux seuls enfants que l’on qualifie de « littéraires ». Lire est fait pour tous, que l’on soit littéraire, scientifique, ou autre. La lecture structure l’univers intérieur, la personnalité de chacun, la force psychologique, cela nourrit tout l’être, le construit. Les gens qui lisent sont beaucoup plus capables de se projeter sur l’avenir. C’est une vraie force intérieure mais aussi un vrai atout pour la vie ordinaire. On nous parle beaucoup de la culture de l’image… mais on écrit beaucoup aujourd'hui, on écrit tout le temps.

MN : Par rapport aux illustrations, vous changez souvent d’artiste… Et même quand l’illustrateur est le même, les numéros sont très différents… Par ailleurs, TétrasLire est-il également une porte d’entrée vers la peinture, l’art, la culture ?

Alba Verba : Clairement, l’objectif est bien la transmission du patrimoine culturel. Pour illustrer le numéro Bonheur, par exemple, nous avons choisi de présenter aux enfants des impressionnistes tels que Henri Edmond Cross, Henri Manguin et bien sûr Auguste Renoir, dont les couleurs et la lumière répondent bien au texte de Paul Arène. Les enfants ne retiendront pas forcément le nom des artistes mais ils vont se former l’œil. Comme pour les textes, on ne va pas s’interdire de proposer des œuvres qui n’ont pas été faites pour la jeunesse. Au musée, il n’y a pas de salle réservée aux enfants. On ne se limitera pas dans le choix des illustrations. La beauté est encore évidente à l’âge des 8 - 12 ans. Les enfants sont très réceptifs et contemplatifs à cet âge-là. Et pour revenir au début de la question, c’est vrai que nous avons plusieurs illustrateurs, que nous changeons d’un mois à l’autre, afin que chaque numéro soit une nouveauté pour les enfants qui l’attendent et que chaque numéro constitue un objet unique.


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