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Un coupable presque parfait

Un coupable presque parfait

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Pascal Bruckner a écrit Un coupable presque parfait sous-titré La construction du bouc émissaire blanc. Le titre est explicite et on imagine quelle sera la teneur de la démonstration dans le livre. « Ce sont les Etats-Unis, ajoute Bruckner en exergue, qui nous renvoient une autre peste : la tribalisation du monde, l’obsession raciale, le cauchemar identitaire. Mais c’est une peste à laquelle nous, Français, avons largement contribué dans les années 1970 en exportant outre-Atlantique nos philosophes les plus en pointe dans la démolition de l’humanisme et des Lumières. » Notre auteur fait évidemment allusion aux Derrida, Deleuze, Foucault, idéologues de la déconstruction qui donna sa substance à la French Theory. C’est au cœur des universités américaines, là où s’élabore toutes les innovations sociétales, que cette théorie a permis aux mouvements des minorités antiracistes, féministes, LGBT, décoloniales, indigénistes d’œuvre à la transformation des sociétés occidentales. Et qui a conduit à la dictature de ces mêmes minorités. Bruckner poursuit : « Nous avons fourni le virus, il nous revient la maladie. Le boomerang est anglo-saxon, la main qui l’a lancé est française. »

A en croire le discours ambiant, Il y aurait un suprémacisme blanc, un racisme systémique imprégnant la société et qu’il faudrait par tous moyens éradiquer. De part et d’autre de l’Atlantique, les pires outrances ont à ce sujet pignon sur rue. Ainsi, sur France Culture en 2019, un documentaire expliquait le plus sérieusement du monde que la couleur immaculée des statues grecques était le « résultat de deux mille ans d’une histoire réactionnaire » ; et d’enfoncer le clou de l’indécence : « Non, les statues grecques n’étaient pas blanches mais de toutes les couleurs. L’Histoire nous l’a caché pour promouvoir le blanc comme idéal d’un Occident fantasmé contre les couleurs, symboles d’altérité et de métissage. » Une « société créolisée » comme la souhaite Jean-Luc Mélenchon serait donc un juste retour des choses et la preuve d’une humanité enfin tournée vers la modernité. Cette vision partagée par beaucoup de progressistes, le pape François lui-même la désirant au nom de la fraternité universelle, est le résultat d’une logique libérale libertaire parvenue à son apogée, celle d’un individu émancipé de ses vieilles croyances souvent qualifiées de « passions tristes » et désormais dompté par le doux commerce mondialisé.

Cette société multiculturelle se heurte aux résistances locales et singulières, aux communautés de tous ordres et aux populismes qui se déclinent en autant d’enracinements protéiformes. Les somewhere contre les anywhere, les gens de quelque part contre ceux de nulle part constituent le nouveau clivage qui nous divise profondément. Joseph de Maistre, pragmatique et lucide, disait n’avoir jamais rencontré d’Homme, mais connaître en revanche des français, des indiens, des bretons et même des persans qu’un certain Montesquieu dans ses Lettres lui avaient rendus familiers. Pour clore la controverse stupide sur les statues grecques blanches, il faut insister sur le fait que la société hellénique ne faisait aucune distinction fondée sur la couleur de peau et que pour Aristote, la distinction blanc/noir est purement accidentelle et non essentielle.

Cette sagesse antique n’a malheureusement pas survécu à l’hubris de la société contemporaine qui, persuadée de sa supériorité, essentialise la question de la race et la figure de l’Autre, dans un exercice de constante repentance, afin de transcender son passé, ce qui ne manque pas de nous affaiblir, particulièrement dans un contexte de résurgence mondiale des empires chinois, russe, ottoman et bien sûr américain : « Nous seuls, Occidentaux, battons notre coulpe quand tant de cultures se présentent en victimes ou en candides. De plus, l’Ouest est faible comme jamais, sans leadership. » Et l’on voit bien le danger grandir un peu plus chaque jour sur notre sol et poindre à nos frontières passoires.

C’est dans ce contexte de pure folie mentale et de déchainement de violences sémantiques et physiques que « se met en place, du moins dans le discours de nos croisés, une nouvelle humanité qui installe une autre hiérarchie : tout en bas les parias, la lie de la terre, le mâle blanc  hétérosexuel occidental (nous pourrions ajouter « catholique » à la liste de ses péchés). Au sommet la femme noire ou arabe ou indienne, lesbienne ou queer, nouvelle reine de l’univers. Entre elle au pinacle et lui dans la poussière, toute la gamme des nuances, du blanc au beige, du beige au brun, du brun au foncé. Selon ces nouveaux préjugés, mieux vaudrait être foncé que pâle, homosexuel ou transgenre qu’hétérosexuel, femme plutôt qu’homme, musulman que juif ou chrétien, africain, asiatique, indigène qu’occidental. » Dès 1983, Pascal Bruckner l’ancien gauchiste, dans Le sanglot de l’homme blanc, alertait sur l’irruption possible d’un racisme anti-Blancs, d’une croisade contre les visages pâles. Nous y sommes depuis, les deux pieds immergés dans la fange. Comme au XXème siècle, le monde se divise à nouveau en races et ethnies.


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