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Un guide sur les pas d'Ernest Renan

Un guide sur les pas d'Ernest Renan

Par  

François Hartog, directeur d’études à l’EHESS, dans son livre La nation, la religion, l’avenir nous guide sur les pas d’Ernest Renan. Ce savant du XIXème siècle, philologue, linguiste, philosophe, passionné d’épigraphie, déchiffreur de manuscrits, nommé en 1862 à la chaire d’hébreu du Collège de France, peut se définir par trois mots empruntés à Virgile (Enéide, 6, 727) : « Mens agitat molem » (L’esprit met en branle la masse du monde.), ou encore par son épitaphe : « Dilexi veritatem » (J’ai chéri la vérité). Pour notre auteur, « Chez Renan, tout, depuis le début de sa vie intellectuelle, découle de la croyance en la marche de l’esprit humain vers plus de vrai. C’est sans doute la façon qu’il a eue de transposer et de conserver, en le temporalisant, le schéma augustinien de la marche des deux cités, l’humaine et la divine, vers la Jérusalem céleste et la fin des temps. »

Il y a encore peu, la religion, victime d’une fin annoncée de l’histoire et de l’avènement d’un capitalisme heureux, ainsi que la nation, « forme politique épuisée et en voie de dépassement », semblaient être définitivement enferrées aux oubliettes. Leur résurgence puis leur retour en force, rendus possibles par le brouillage général des repères dû à l’hyper-modernité, n’est donc pas étonnant et rend utile la réflexion sur ces thèmes de toujours aux côtés du penseur conservateur Renan. Ce dernier, décrié par Pie IX qui le qualifia de « blasphémateur européen » lors de la parution de sa Vie de Jésus où il récusait les miracles et le surnaturel, c’est à dire la Révélation et la Divinité de Jésus, fut pareillement honni au moment du débat de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat par les blancs qui lui reprochaient d’avoir été l’avocat le plus fervent de cette rupture. Ancien séminariste, Renan n’aura de cesse, sa vie durant, de chercher la vérité divine et le graal de la beauté : sa visite de l’Acropole est pour lui l’occasion d’une anamnèse, celle du miracle grec qui, dit-il, « est cette chose qui n’a existé qu’une fois, qui ne s’était jamais vue, qui ne se reverra plus, mais dont l’effet durera éternellement, je veux dire un type de beauté éternelle, sans nulle tache locale ou nationale. » ; « Quand je vis l’Acropole, j’eus la révélation du divin, comme je l’avais eue la première fois que je sentis vivre l’Evangile, en apercevant la vallée du Jourdain des hauteurs de Golan. ». Consubstantialité des miracles grec et juif pour notre penseur conservateur. Le « Tard je t’ai connue, beauté parfaite. » de Renan répond au « Tard, je t’ai aimée, beauté si ancienne et si nouvelle. » de Saint Augustin avec lequel Renan « joue à cache-cache » selon François Hartog.

Sur le thème de l’avenir, Renan évoque la notion du devenir qui soumet à sa loi tous les produits de l’esprit humain que sont les langues et les religions, les formations politiques et les institutions. « Le grand progrès de la réflexion moderne, proclame-t-il dans son ouvrage l’Avenir de la science, a été de substituer la catégorie du devenir à la catégorie de l’être, la conception du relatif à la conception de l’absolu, le mouvement à l’immobilité. Autrefois, tout était considéré comme étant. Maintenant, tout est considéré comme en voie de se faire. ». L’on voit bien ce glissement du dogme vers le relativisme des vérités individuelles multiples, cette bagatellisation des institutions et des fondements moraux de la cité, tels que l’idéologie du progrès et de l’innovation permanente a pu encore les renforcer, quelques 150 ans après la vie de ce savant. Par une sorte de « transfert d’intelligibilité du passé sur le futur, et en inversant le modèle de l’histoire maîtresse de vie », Renan qui disait de lui-même qu’il « était double, fils de croisés et de la Révolution » passera avec aisance de l’hébreu au sanscrit, de Saint-Sulpice au Collège de France, de la scolastique à la philologie.

Concernant la nation qui est pour lui « une âme, un principe spirituel », on peut se demander si c’est encore un sujet digne d’intérêt aujourd’hui, car Renan prétendait que l’organisation politique du futur irait vers moins de nations (ce que le brûlant XXème siècle démentirait ensuite). En ce début de troisième millénaire, nous pouvons estimer que se prépare un violent retour de fortune pour le mondialisme et sa rhétorique déterritorialisée. Le phénomène de « retour au village », ou aux frontières, ou à des espaces nationaux que l’esprit humain parvient à circonscrire, par opposition au monde sans limites, est une réalité qui affiche une puissante consistance. Le thème de la nation, comme celui de la religion, est donc d’une grande actualité.

Voici encore deux choses dont Renan se sert pour définir la nation comme principe spirituel : « L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. ». Notons au passage que le terme « vivre ensemble » émane d’un auteur conservateur du XIXème siècle, qu’il marque une volonté commune de faire de grandes choses et le désir d’établir une communauté de destin assise sur un héritage partagé. Tout l’inverse du vivre ensemble moderne indexé de force sur une société multiculturelle où l’identité du passé doit voler en éclats puis disparaître. Ce projet d’aggiornamento porté par les progressistes déconstructeurs devrait en bonne logique, s’il poursuit son cours et ne trouve pas d’obstacle face à lui, sonner le glas de notre civilisation occidentale.

A l’issue de notre lecture, il est permis, avec François Hartog, de s’interroger sur le personnage Renan. Etait-il un rhéteur, un dilettante, un sophiste défroqué ? Ou un génie de la conciliation de l’héritage et de l’évolution, du conservatisme et du progrès ? Un visionnaire à la lucidité prophétique ou un voyant mal inspiré à la boule de cristal ébréchée ?

Ecoutons Renan répondre lui-même à tout cela dans ses Dialogues philosophiques : « La science créera un être omniscient et omnipotent. Corps savant, maître du monde, armé de puissants moyens de destruction. » ; « La meilleure image de l’évolution de l’univers est celle de l’huître perlière. Comme celle de l’huître, la vie générale de l’univers est vague, obscure, lente surtout, conclut-il dans Feuilles détachées. Et l’esprit en est la perle, soit le but et la cause finale. » ; « A l’heure qu’il est la condition essentielle pour que la civilisation européenne se répande, c’est la destruction de la chose sémitique par excellence, la destruction du pouvoir théocratique de l’islamisme, par conséquent la destruction de l’islamisme ; car l’islamisme ne peut exister que comme religion officielle ; quand on le réduira à l’état de religion libre et individuelle, il périra. L’islamisme n’est pas seulement une religion d’Etat, comme l’a été le catholicisme sous Louis XIV, comme il l’est encore en Espagne ; c’est la religion excluant l’Etat, c’est une organisation dont les Etats pontificaux seuls en Europe offraient le type […] ; l’islam est le dédain de la science, la suppression de la société civile ; c’est l’épouvantable simplicité de l’esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, à tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d’une éternelle tautologie : Dieu est Dieu. »

Double avertissement, déjà, contre les monstres postmodernes du technicisme et de l’islamisme qui n’ont fait que prospérer depuis.


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