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William Clapier 2/4 : notre siècle est celui du dialogue interreligieux

William Clapier 2/4 : notre siècle est celui du dialogue interreligieux

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Propos recueillis par Maximilien Friche

MN : Je voudrais désormais être un peu polémique, car vous citez souvent les différentes religions ce qui induit une forme de relativisme. A vous lire, dans Quelle spiritualité pour le XXIème siècle ? , on pense parfois que Dieu s’est révélé à chacun de façon différente à travers ces différents prophètes et que du moment que cela permet à chaque culture d’entrer dans une aventure spirituelle, tout va bien ? Jésus fut-il une révélation partielle qui aurait besoin d’être complété par Mahomet ou Bouddha ? Tous les chemins mènent ils à Rome ? Peut-on prier un même Dieu si ce dernier ne dit pas toujours la même chose ? Comment s’accorder sur des mots, comme paix ou liberté, alors qu’ils ont des définitions différentes dans chacune des religions ?

WC : Difficile et incontournable question. La reconnaissance de la valeur propre à toute voie religieuse authentique n’est pas un relativisme creux, qui verserait dans une vision syncrétique où tout se vaut. Non, en aucun cas. Si les religions ont toutes bénéficié, dans leur impulsion historique première, d’une inspiration divine, du moins porteuse d’un Sens transcendant, dotée d’une force socialisatrice, leur point d’aboutissement, de réalisation n’est pas identique. « Tous les chemins » ne mènent pas à Rome, ni à Bénarès, à Lumbini, à Jérusalem ou à La Mecque. Convergentes, les réponses des religions aux grandes interrogations de la vie ne sont pas équivalentes dans leur contenu. C’est un leurre, une illusion que de le penser ; tout comme de rêver à l’avènement d’une religion universelle. Ce pour quoi  le Dalaï Lama n’a jamais milité, contrairement à ce que l’on peut entendre ici et là. Le dialogue interreligieux ne vise pas à une dissolution des voies, ni ne promeut un discours univoque. Moïse, Zoroastre, Bouddha, Jésus, Mahomet – pour les mentionner dans l’ordre historique de leur manifestation - et autres prophètes ne dispensent pas la même intensité de lumière divine, transcendante. Affirmer le contraire est d’une platitude creuse, source de graves confusions. Non que la lumière dont ils sont les messagers, les révélateurs, soit de nature différente. C’est ce que beaucoup de personnes pressentent intuitivement en disant que « toutes les religions adorent un même Dieu ».

La lumière des grandes voies ou traditions spirituelles et religieuses est divine, d’inspiration transcendante. Elle procède d’une même source. Mais d’une part, le prisme récepteur, le terreau de la communauté humaine du moment - culturel, philosophique, religieux, social - est différent. D’autre part, la qualité de l’émission révélatrice, de la réponse apportée aux attentes idéales de l’humain est diverse. Oui, l’expérience ultime des différentes voies religieuses n’est pas identique. Un exemple ? Dans la sphère de la mystique chrétienne, il y a la reconnaissance d’un Dieu transcendant. Dans celle de la mystique bouddhiste, il n’y a pas cette reconnaissance. Il nous faut l’accepter sans se crisper parce que ce serait une position intolérablement intolérante. Il ne s’agit pas de cela, mais de reconnaître simplement les différences de contenu des expériences ultimes.

Allons-nous établir pour autant une hiérarchie objective ? Affirmer que telle religion est supérieure à telle autre ? Je ne pense pas qu’on puisse répondre péremptoirement à cette question, spécieuse et stérile. Pourquoi ? Chaque croyant, adepte d’une voie religieuse pensera légitimement être dans la révélation la plus adaptée à ce qu’il est, la plus bénéfique à son avancée spirituelle ; et en ce sens, qu’elle est « la meilleure ». Pour lui, assurément. Alors pourquoi se cantonner et s’endurcir dans une posture prosélyte jusqu’à vouloir « convertir » celui, celle qui n’a pas la même foi et exercer la pression de l’anathème ou de la fatwa ?

Le XXIème siècle est celui du dialogue interreligieux ou intrareligieux, interspirituel pour servir la paix dans le respect de la dignité sacrée de tout être humain, tout comme de son habitat naturel, le vivant multiforme. Le véritable dialogue est un des grands défis de notre temps, dans le contexte tourmenté et mondialisé que nous savons. Il y a plus de cinquante ans, le IIème Concile du Vatican avait clairement – enfin ! - encouragé les chrétiens « à reconnaître, préserver et faire progresser les valeurs spirituelles et socioculturelles présentes » dans les autres religions, notamment hindouiste et bouddhiste (voir la déclaration Nostra Aetate). « Evangéliser », annoncer l’Evangile, ce n’est pas affirmer la supériorité de sa religion par l’éloquence de paroles, celles d’un discours théologiquement argumenté. L’annonce évangélique, de la Bonne nouvelle de la Présence divine parmi nous, en nous, c’est l’œuvre du témoignage humble, dans la douceur et la force de l’amour-charité qui se passe de toute parole. « Ne parle de Dieu que si l’on t’interroge, dit François de Sales à ce sujet. Ajoutant : « Mais vis de telle façon qu’on t’interroge ». L’attitude juste, inspirée, est de susciter l’interrogation par le témoignage quotidien de sa vie spirituelle.

L’obscurité corrompt et opacifie les religions dès lors que leurs dignitaires se grisent de leur pouvoir (le « cléricalisme » dénoncé aujourd’hui par le Pape François), se figent dans les arguties de formulations dogmatiques et l’observance confortable de ritualisme sans âme. S’en suit l’enlisement dans un enfermement sectaire et suffisant. C’est ainsi que les religions épuisent le lien charismatique avec leur source fondatrice et pollue l’eau vive dont elles sont effectivement les canaux. C’est un dommage désastreux à l’œuvre dans toute religion. Jésus, en son temps, s’en était alarmé et l’avait vertement dénoncé (voir Matthieu 24 et autres passages). Remarquons que toute institution animée d’un idéal ou d’une vision totalisante de l’homme (politique, philosophique, psychologique, scientifique…) est traversée d’une tentation similaire, celle du réductionnisme idéologique versant dans le sectarisme et à s’autoclôturer sur elle-même.


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