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« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (6)

« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (6)

Par  

Rappel des épisodes précédents :

 

EGLISE CATHOLIQUE ET USURE

I La tradition scripturaire

II Les Prophètes et les Psaumes

III Le Nouveau Testament : qu’en dit Jésus ?

IV Quelques Pères de l’Eglise : Clément d’Alexandrie (150-215), Basile Le Grand (330-379), Grégoire de Nysse (331-394), Grégoire de Nazianze (329-390)

V Les Pères latins

VI L’enseignement des Conciles [1]

VII La scolastique

VIII Thomas d’Aquin : une prise de position historique

IX L’enseignement pontifical et magistériel

 (…)

 

X Les tergiversations contemporaines ?

 

Malgré ces textes clairs et fermes, on remarquera dans les déclarations officielles récentes quelques atermoiements étranges.

L’ancien Code de Droit Canonique (Pie X, 1917) défendait l’usure dans son canon 1543 tout en concédant des profits modérés.

Akplogan s’étonne ainsi que le nouveau Code de Droit Canonique (1983) ne parle plus de l’usure. Le Compendium de la Doctrine Sociale de de l’Église (Cerf, 2006) rappelle cependant cette condamnation dans son n° 341 :

« Si dans l’activité économique et financière la recherche d’un profit équitable est acceptable, le recours à l’usure est moralement condamné : "Les trafiquants, dont les pratiques usurières et mercantiles provoquent la faim et la mort de leurs frères en humanité, commettent indirectement un homicide. Celui-ci leur est imputable" (Catéchisme Église Catholique, n° 2269). Cette condamnation s’étend aussi aux rapports économiques internationaux, en particulier en ce qui concerne la situation des pays moins avancés, auxquels ne peuvent pas être appliqués « des systèmes financiers abusifs sinon usuraires » (CEC, n° 2438).

Dans son encyclique Sollicitudo Rei Socialis[1] (1987), le pape Jean-Paul II rappelle que « L'accomplissement du ministère de l'évangélisation dans le domaine social, qui fait partie de la fonction prophétique de l'Eglise, comprend aussi la dénonciation des maux et des injustices. » (n° 41) qui se sont structurés dans « le système monétaire et financier mondial qui se caractérise par la fluctuation excessive des méthodes de change et des taux d'intérêt, au détriment de la balance des paiements et de la situation d'endettement des pays pauvres. » (n° 43).

Le Magistère plus récent a eu des paroles fortes et claires contre une pratique dramatiquement répandue aujourd’hui encore : le 22 novembre 2000, Jean-Paul II dénonce place Saint-Pierre le « phénomène préoccupant de l’usure » et invite à combattre « cette plaie qui grandit ».

Plus tard, il précisera : « Ne pas pratiquer l’usure, une plaie qui à notre époque également, constitue une réalité abjecte, capable de détruire la vie de nombreuses personnes » (Jean-Paul II : Discours à l’Audience générale du 4 février 2004).

En 2005, le nouveau pape Benoît XVI persévère dans la stigmatisation de l’usure en s’adressant aux membres de l’Association Italienne Nationale contre l’Usure :

« Chers amis, votre présence, si nombreuse m’offre l’occasion de vous dire que j’apprécie l’œuvre courageuse et généreuse que vous accomplissez en faveur des familles et des personnes frappées par cette déplorable plaie sociale de l’usure. Je souhaite que de nombreuses personnes soient à vos côtés pour soutenir votre engagement, digne d’éloge, au plan de la prévention, de la solidarité et de l’éducation à légalité. »

Le 3 février 2018, le pape François a reçu les membres de la Consultation nationale de lutte contre l’usure (évoquée plus haut) au Vatican. Pour lutter contre le « grave péché » de l’usure, le pontife a insisté sur l’éducation à la sobriété. Selon le successeur de Pierre, l’usure, c’est-à-dire l’intérêt d’un prêt à taux abusif, notamment répandue dans les régions pauvres, « humilie et tue ». « Au nom de l’argent, a-t-il déclaré, on ne peut pas tuer des frères ». Il faut travailler à rendre le système économique et social plus humain et « créer un nouvel humanisme économique ».

« Continuez votre service avec persévérance et courage », a lancé le pape aux membres de cette association. Depuis 26 ans, a-t-il relevé, plus de 25.000 familles ont été sauvées du « vice de l’usure[2] ».

Si depuis Vix Pervenit, on peine à trouver des déclarations officielles claires au sujet du prêt à intérêt, on notera la cohérence depuis les origines : « Une usure dévorante est venue accroître encore le mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Eglise, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain et d'une insatiable cupidité » (Léon XIII, Rerum Novarum, n° 2)

 

CONCLUSION

Les auteurs catholiques ayant autorité dans le catholicisme dénoncent clairement le prêt à intérêt comme contraire à l’enseignement évangélique. Mais il est manifeste aussi que la condamnation originelle va en s’atténuant au fil de l’Histoire.

Ce qui est maintenant désapprouver, ce n’est plus l’intérêt en soi, mais un taux excessif. Aujourd’hui, l’usure désigne un taux d’intérêt démesuré, alors qu’à l’origine le prêt à intérêt était synonyme d’usure. On désignera ainsi par usure un taux d’intérêt excessif qui plonge l’emprunteur dans une gêne supérieure à son point de départ et donc sans améliorer sa situation.

L’essayiste Jean-François Malherbe précisera : « Le prêt à intérêt n’est pas régi par une loi de la nature, mais par le poids de habitudes culturelles » (La Démocratie au risque de l’usure. Liber, Montréal, 2004, p. 15)

Dans ces cas d’usure, l’emprunteur n’est pas considéré comme un être humain digne mais comme une source de calcul. Les chiffres ont remplacé l’humain. Se nourrir, se loger, se vêtir, se soigner, s’instruire.

« Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. » (Matthieu, 25, 35-36).

Fidèle à l’Evangile du Christ, le Magistère catholique enseigne une doctrine sociale fondée sur des orientations essentielles :

  • Primauté du Bien Commun ;
  • Destination universelle des biens[3];
  • Solidarité et entraide ;
  • Option préférentielle pour les pauvres.

Alors que la loi mosaïque juive[4] distinguait deux humanités : les juifs (par le sang) et les non-juifs, en interdisant la pratique de l’usure entre Juifs mais l’autorisant avec les non-juifs, l’universalisme chrétien abolit cette « double éthique ».

« Cela pourrait dénoter d’une ségrégation raciale, et poser la question fondamentale de la nature de l’Alliance entre Yahvé et Israël : une Alliance pour Israël, et donc exclusive, ou une Alliance pour tous les peuples ? C’est d’ailleurs au nom de l’Alliance que l’usure est condamnée et strictement interdite entre juifs, les biens matériels étant considérés comme une propriété commune. » (Pamphile Akplogan, L’Enseignement de l’Eglise Catholique sur L’usure et le Prêt à Intérêt (L’Harmattan, 2010, p. 174).

Jésus n’interdit pas absolument le prêt à intérêt mais invite à donner gratuitement à tous les hommes et pas seulement aux chrétiens. L’Eglise, « nouvel Israël de Dieu », amène à sa perfection l’ancienne loi (Mat., 5, 17).

L’ouvrage d’Akplogan se termine en évoquant les institutions financières internationales comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaires Internationale « qui prétendent, à partir des années 60, soutenir les pays en voie de développement dans leurs efforts de croissance en leur consentant des prêts à des taux usuraires qui accroissent exagérément le capital. Cette façon de faire que Paul VI a appelée tristement "dictature économique[5]" a conduit à la situation actuelle d’étranglement financier des pays dits du Tiers-Monde (…) C’est là une question d’éthique » (Op. cité, p. 177-178).

 

[1] http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_30121987_sollicitudo-rei-socialis.html

[2] https://www.cath.ch/newsf/face-a-lusure-pape-francois-appelle-a-style-de-vie-sobre/

[3] Concile Vatican II, Gaudium et Spes, n° 69, § 1. Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n° 182.

[4] La loi talmudique actuelle n’a toujours pas déchiré le voile du tribalisme. Comme le précise Israel Shahak dans son ouvrage Histoire Juive. Religion Juive. Le poids de Trois Millénaire (La Vieille Taupe), selon le droit positif israélien, une personne ne peut être juive que si sa mère, sa grand-mère, son arrière-grand-mère et sa trisaïeule ont été juives.

[5] Populorum Progressio, n° 59.


« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (1)
« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (1)
« Service de la dette » et catholicisme : Jusqu’à quand l’imposture ? (2)
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