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Dialogue entre le mahométan et Weizman l'Européen

Dialogue entre le mahométan et Weizman l'Européen

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Ce dialogue est une suite du premier intitulé  : dialogue entre une mahométan et Charlie, il s’agit ici d’un dialogue imaginé entre le même mahométan et Weizman l'Européen au sujet des attentats et de leur suite ou non suite.

« Tout va mal. »

- Nous y voilà. L'évènement n'a pas un mois, et déjà il s'éloigne, s'évapore, englouti par le commentaire médiatique, qui a la vertu de dissoudre les faits par surexposition, et réduit déjà à n'être qu'une simple date dans le calendrier commémoratif républicain, afin que nul ne se risque à dire qu'il s'est véritablement produit là quelque chose et n'en tire les conclusions qui s'imposent : il n'est déjà plus qu'un souvenir, un fantôme, "l'esprit du onze janvier". La France peut revenir à sa féerie, et dormir d'un sommeil profond et réparateur, jusqu'à la prochaine secousse, exactement comme ce fut le cas après les émeutes de 2005, lors desquelles je compris pour ma part que l'irréparable était arrivé. Tout le monde était d'accord pour dire qu'il fallait faire quelque chose, et le fait de dire qu'il fallait faire quelque chose permettait de ne rien faire. Mais à quel moment a-t-on seulement posé la bonne question, et apporté la bonne réponse ? Nous sommes partis du présupposé qui flattait les progressistes, les journalistes et les politiques, à savoir que "quelque chose" pouvait être fait, par une injection massive de crédits pour les uns, les progressistes; par le rétablissement de l'ordre républicain pour les gens dits de droite, s'il en existe. Or ce présupposé est faux : "quelque chose" aurait pu et du être fait il y a déjà longtemps. Le point de non-retour a été franchi, sans que nul ne puisse dire précisément quand cela a pu avoir lieu. Mais puisqu'il faut identifier les choses par des symboles tangibles, disons que le point à partir duquel nul retour n'est possible se situe lors de ces émeutes. Que faisaient les frères Kouachi en octobre 2005 ? Ils furent au nombre des incendiaires, selon toute vraisemblance, car on n'est pas un jeune "des quartiers" digne de ce nom si l'on n'a pas brûlé des voitures à vingt ans. Ils ont tué, cette fois, et l'on nous refait le coup de l'enfance malheureuse. Tout va mal.

- J'ai vu Charlie hier. Il se trouve tout aussi désappointé que vous l'êtes, et même plus, car il lui semble confusément être en guerre, mais il est antimilitariste. Il a des ennemis qu'il ne saurait se résoudre à désigner, car s'il les désignait il ne serait plus Charlie. Il se sentait en sécurité parmi ses ennemis familiers; l’Église catholique et le Front National. Combien aurait-il aimé être abattu par des intégristes catholiques ! Il se console en se disant que c'est bien ce qui s'est produit, puisqu'il est une victime de l'intégrisme religieux en général : les frères Kouachi ont tué au nom de l'intégrisme religieux donc les frères Kouachi sont catholiques. Ce commode syllogisme lui permet à nouveau de s'adonner à son sport préféré : le tir sur ambulance, et de préférence à l'arrêt, pour mieux ne pas voir les combats qui font rage derrière son dos.

- Vous avez raison, hélas, et vous saurez, je compte sur vous, en tirer parti. L'Europe s'est réveillée, certes, mais brutalement, trop brutalement, ses pensées étaient confuses, elle se frottait les yeux, baillait, n'aspirait qu'à retomber dans le sommeil, ce qu'elle s'est empressée de faire. Et les anges viennent lui parler en rêve, définissant ses nouveaux commandements : défais-toi de ton islamophobie, et ne pratique pas l'amalgame. L'Europe, cette faible péninsule, terre de nuances et de subtilités, vit de ses divisions et n'a pas vocation à être un monolithe : pour autant elle ne vit pas si la conscience de son bon droit n'est pas en elle monolithique. Or l'Europe n'y croit plus depuis longtemps.
Depuis la Seconde Guerre Mondiale, a-t-on l'habitude de dire, mais si cela n'a pu qu'accentuer le phénomène, il remonte je crois à la Première : l'Europe ne pouvait s'en remettre, à plus forte raison ne pouvait-elle se guérir de la Seconde, et d'ailleurs ces deux guerres n'en font qu'une mais ça n'est pas le sujet. Toujours est-il qu'il pouvait rester des traces de vie résiduelles après la guerre de Quatorze, notamment en raison d'une volonté de vivre bien légitime : cela explique l'incroyable vitalisme et foisonnement des années vingt et trente sur tous les plans de l'art, de la pensée et du divertissement raffiné, le pavé surréaliste dans la mare classique, et le pavé plus énorme encore qu'y jeta Céline. N'ayez crainte, je ne vous ennuierais pas plus longtemps avec de la littérature, je poursuis un raisonnement : l'Europe sortit de la Première Guerre Mondiale vaincue militairement, moralement et démographiquement.
Avant la guerre, l'Europe était nationale-scientiste, c'est-à-dire que les nationalismes de toutes sortes y florissaient, et qu'on croyait néanmoins à l'imminente Paix Universelle sous l'égide de la rationalité scientifique. On vit les résultats du nationalisme et de la science modernes : la guerre totale et technique. Qui peut croire aux vertus de la science après avoir inhalé le sarin ? Qui peut croire à la patrie lorsqu'elle le force à courir à la mort sous la menace ? Le nationalisme ne fut pour rien dans la Seconde Guerre Mondiale, ce fut une guerre d'Empires qui avait pour enjeu la domination de l'Europe : le Troisième Reich, l'Empire soviétique et l'Empire américain naissant. Je note d'ailleurs qu'on parle de Guerre Mondiale, lorsqu'il s'agit d'une guerre européenne, ce qui est logique, car ce qui se déroule en Europe rejaillit sur le monde entier. De ces trois empires, l'un disparut et deux sortirent renforcés au terme d'une guerre impitoyable qui n'épargna rien ni personne. Il était donc naturel que l'Europe connût à nouveau une formidable pulsion de vie, avec le "baby-boom", et lorsque les baby-boomers commirent l'indépassable mois de mai, le sur moi de mai, qui contrairement à la mouvance surréaliste dont certains parmi elle ont créé en voulant détruire, n'a consisté qu'en une destruction très sérieusement potache : 68 n'a produit aucune œuvre littéraire positive car l'Europe n'avait gardé des guerres que la capacité de détruire et non de construire, en conséquence de quoi elle procéda à sa propre déconstruction par les moyens qui en temps de paix ont toujours été les siens : les livres et la réflexion. Des milliers de travaux furent publiés afin de saper la possibilité future de publier quoi que ce soit, et l’École réorganisée en ce sens…

- Seriez-vous surpris si je vous dis que je vous approuve ?

« L'Europe s'est réeniaisée,… »

- Nullement, mais je m'en afflige lorsque vous voyez dans cette déculturation généralisée une aubaine, à juste titre, car cela laisse une place vide pour y implanter vos idées : voyez-vous, l'Europe n'est point si irréligieuse que vous le voulez croire, c'est un lieu commun en Europe que de dire que "toutes les religions ont du bon", le catholicisme excepté : la meilleure sera un composé de ce qu'il y a de meilleur dans chaque, c'est-à-dire de ce qu'il s'y trouve de plus vague et de plus indolore. Le christianisme voulait que l'homme ait mauvaise conscience : l'Européen moderne veut que sa religion lui ressemble et lui permette de persévérer dans son être en toute bonne conscience, en conséquence de quoi il se comporte avec les religions comme il le fait dans les restaurants asiatiques en libre-service. Le scepticisme en béton armé de l'Europe, son pessimisme moral insondable, l'ont fait tourner à la mièvrerie. De civilisation déniaisée la première, l'Europe s'est réeniaisée, si j'ose ce néologisme, car il faut à tout peuple des fictions, et elle ne peut plus croire les siennes.

- Par suite de quoi elle croira les nôtres, si Dieu le veut.

- Elle y viendra, vous avez raison, mais je termine, si vous le voulez bien. Le savoir est disséminé, il ne repose sur plus rien de stable, de ferme et d'assuré, on nage dans le flou, et comme pour les religions, qui ne sont plus supportables qu'en kit, ce qui soit dit en passant me laisse songeur quant à la perméabilité de jeunes esprits occidentaux à votre dogme des plus rigides, chacun se compose son savoir propre sur Internet : c'est ainsi que les extraterrestres ont bâti les pyramides, que Shakespeare était une femme et que Hitler était juif. Sans oublier bien sûr les inévitables illuminatis, qui comme chacun sait dirigent le monde, à moins que ce ne soient les Juifs ou le Pape, où les trois ensembles. Des illuminés dénoncent d'autres illuminés dans une gigantesque foire d'empoigne virtuelle.
L'Européen moderne n'est pas en quête de Vérité mais de vérités : il croit exercer le doute cartésien, lorsqu'il fuit simplement le doute par la première porte qu'il trouve, et de préférence la moins difficile à pousser. Les théories du complot sont de celles-là : elles sont limpides, cohérentes et cinématographiques, quand le monde est effroyablement complexe et absurde. On regarde des documentaires sur les preuves de l'existence d'un complot illuminati comme on regarde des films d'horreur, pour jouer à se faire peur. L'époque, voyez-vous, n'est pas au takfirisme, du moins pas seulement, elle est au taxilisme : elle fait du Léo Taxil sans le savoir comme Monsieur Jourdain de la prose, Léo Taxil qui d'anticlérical théoricien du complot papal en vint à dénoncer le satanisme de la maçonnerie, s'adaptant admirablement aux successifs goûts du public dans une logique mercantile, au cours d'une vie riche en retournements.
Le monde moderne est celui où l'évènement à peine survenu, ou créé, il suscite aussitôt son propre commentaire, son historiographie et sa théorie du complot. C'est véritablement saisissant dans le cas qui nous occupe : l'évènement fut sanctuarisé, nationalisé sur l'instant par une journée de deuil national, une journée d'unité nationale et un discours suivi d'une marseillaise à l'Assemblée Nationale, il y eut des documentaires historiques sur le jour où Charlie Hebdo fut imprimé à cinq millions d'exemplaires et aussitôt épuisé à peine paru, et, pour revenir au sujet, une frange non négligeable de l'Internet conclut aussitôt à un mauvais coup du Mossad, comme elle le déduit de tout forfait commis sur la planète, de Ben Laden à Breivik.

- Ce qui, entre nous, nous est confortable. Car enfin, je ne vois rien de condamnable dans le fait que deux valeureux soldats de l'Islam aillent rendre à des mécréants multirécidivistes la juste monnaie de leur pièce, mais si en plus les gens veulent croire que nous n'y sommes pour rien, alors je m'estime comblé. Mais je voulais, je vous prie, pointer dans votre discours ce qui me paraît une erreur.

- Une chose avant cela, si vous permettez : il y a deux pathologies parallèles et complémentaires, celle de l'Europe, qui se charge de tous les péchés du monde, et ne conçoit pas de pouvoir être surpassée en horreurs, et celle de l'islam, qui se défausse et s'absout de tout. Mais reprenez donc, et me corrigez, vous me connaissez, je suis un Européen, je m'interroge et me remets bien volontiers en question.

« Nous n'avons pas de jésuites, pas plus que de talmudistes,… »

- Et vous en crèverez. Voici le point : vous vous dites sceptique quant à la capacité des jeunes européens à l'absorption de notre magnifique dogme, en raison de leur goût pour l'éclaté et le discontinu. Je dis que ce discontinu les épuise, et qu'ils voudraient trouver le repos dans une Vérité. Le communisme a pu un temps tenir ce rôle, mais le communisme ne propose pas la vie éternelle, et si ses propositions et suppositions, qui en certains points rejoignent les nôtres, continuent à jouir d'une certaine aura parmi vos jeunes, elles ne le font plus que d'une façon diffuse et variable selon les individus.
Il fallait autrefois lire "Le Capital" et en connaître des paragraphes par cœur, comme nous lisons et apprenons le Saint-Coran. Il ne faut désormais plus rien lire du tout, ou du moins l'on peut très bien s'en passer : il suffit de professer quelques lieux communs antiracistes, quelques truismes sur la méchanceté et l'avarice humaines, et quelques exhortations à la générosité. Il y avait un communisme continu qui n'existe plus, et que, si Dieu le veut, nous remplacerons : notre dogme est simple, intelligible à tous, applicable partout, idéal et pratique, loin des subtilités théologiques, des vaines casuistiques et des absurdités trinitaires : qui peut comprendre un Dieu en Trois personnes, une Unité, la seule unité possible, divisée en trois ? Les Juifs du moins ne le conçoivent pas, mais ils divisent par ailleurs la Vérité par leurs controverses talmudiques, ils ont trop de livres lorsque nous n'en avons qu'un. C'est également le problème de l’Église : quel est cet Ancien Testament, qui précéderait un Nouveau ? Cela seul suffit à brouiller les pistes. Nous, nous reconnaissons ces deux livres, sans avoir pour cela besoin de les lire, et dans la mesure où ils ne contredisent pas le Saint-Coran; lorsque s'y trouve quoique ce soit de contraire à notre dogme, nous les prétendons réécrits et falsifiés. Quant à la casuistique, nous en avons une, et c'est la Sûnna. Il peut subsister quelques controverses quant à la véracité de certains hadiths, faits et dires du Prophète, loué soit-il, qui la composent, mais ceux qui sont assurés le sont pour toujours, et ne laissent aucune place aux divagations des théologiens, ces êtres qui croient qu'on peut accommoder la Vérité aux humeurs et aux goûts du moment, et le plus souvent à leur profit. Nous n'avons pas de jésuites, pas plus que de talmudistes, si vous préférez, et si nous en avions nous écririons les plus impitoyables "Provinciales" qui se pussent écrire, avant d'aller leur faire rendre gorge.

- Vous parlez bien évidemment de l'islam sunnite.

- Bien entendu : on se convertit moins facilement au chiisme. Déjà par le confort du surnuméraire : nous sommes plus d'un milliard de sunnites, quand les chiites sont tout au plus quelques centaines de millions. D'autre part, ils rappellent trop l’Église, avec leur clergé hiérarchisé, or vos jeunes gens veulent tout sauf quelque chose qui ressemblerait à l’Église. L'islam sunnite, votre Renan l'avait remarqué, est un protestantisme, et que fut le protestantisme sinon un christianisme épuré de ses ors et de son faste ? Car vos jeunes, qui pensent par le ventre, ne peuvent concevoir que des pauvres se dépouillassent de leur peu de biens pour quelques raffinements d'ornements, pour sertir en quelque sorte leur asservissement. Cela leur est incompréhensible, cela plus que tout leur fait concevoir la religion comme un pur et simple instrument de pouvoir, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la phrase de Marx sur "l'opium du peuple" est bien la seule qu'ils connaissent encore. Nous nous rejoignons, pour des raisons différentes, en ce rejet de la statuaire. Nous pensons que notre religion est suffisamment belle par elle-même, et qu'il n'est pas nécessaire de développer tout cet attirail séducteur à la limite du diabolique pour y faire venir les peuples. C'est pourquoi notre principal adversaire n'est pas l’Église, qui ne cesse de s’aplatir : seules les églises évangéliques, emblématiques de "l'église sans autel ni sanctuaire" décrite par Anne-Catherine Emmerich, convertissent plus que nous, car elles placent l'individu seul face à Dieu, sans la médiation du prêtre, touts hiérarchies abolies. En cela nous sommes plus démocrates que vous le pensez.

« Nous brûlerons Rousseau, mais pas avant d'avoir brûlé Voltaire. »

- Je ne le nie guère, et je dis même ceci, à savoir que l'Islam est rousseauiste, en cela qu'il proclame avoir existé de toute éternité, et les patriarches, dans leur état de nature, étaient des musulmans, bien qu'ils ne le sachent pas, et le premier acte des juifs comme société en voie de constitution fut de faire le veau d'or. Toute l'histoire d’Israël qui suit est faite de ce type d'iniquités, selon vous. L'Islam est une anarcho-théocratie, en ce qu'il reformule ainsi l'axiome de la Volonté Générale : "chaque homme obéissant à tous les autres n'obéit qu'à lui-même", en remplaçant la Volonté Générale par la Volonté de Dieu, les faisant synonymes, ce qui donne "chaque homme, n'obéissant qu'à Allah, n'obéit qu'à lui-même."

- L'avouerai-je ? Vous me rendez Rousseau sympathique, et bien qu'il ne fût à mes yeux qu'un impie méprisable, je le trouve néanmoins infiniment plus aimable que cette abominable crapule de Voltaire qui fut son ennemi, et qui non content de souiller tout ce qui était sacré, alla jusqu'à s'en prendre au Prophète, la paix soit sur lui. Si Dieu le veut, nous brûlerons Rousseau, mais pas avant d'avoir brûlé Voltaire.


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