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Homéopathie pour complotistes

Homéopathie pour complotistes

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La méthode forte ne soigne pas les complotistes : elle les traite comme des malades mentaux et les ancre plus profondément encore dans des positions radicales. Le «complotisme», cette accusation de blasphème que lancent régulièrement les ultra-religieux de la pensée bobo-laïco-bien pensante, peut pourtant tomber sur des gens diamétralement opposés. Mais l’inquisition est peu subtile et ne fait pas de différence entre la paranoïa et la simple interrogation. C’est pourtant dans le premier cas une maladie, et dans le second une vertu. Le livre d’Eric Laurent « la face cachée du 11 septembre » est un soin homéopathique pour ceux qui, face aux anathèmes jetés par une petite caste médiatique, se sentent tentés par la radicalisation dans le doute obsessionnel.

Le titre accroche forcément tous les amateurs de complots. L’auteur, pour ceux qui le connaissent, intriguera les inquisiteurs du complotisme. Eric Laurent est un grand reporter-écrivain spécialiste de géopolitique et des entretiens avec les puissants de notre monde. Sa voix a accompagné celle de Thierry Garcin sur France Culture pendant 30 ans d’émission sur France Culture sur les « enjeux internationaux ». Dès la troisième page, on comprend que l’on n’a pas ici à faire à l’un de ces geek en robe de chambre qui occupe ses soirées à imaginer des réalités cachées dans les drames qui secouent notre planète. Eric Laurent va chercher l’information sur place, veut rencontrer les acteurs (y compris les plus dangereux), capte l’ambiance et les contextes. Ce livre peut donc mettre du baume au coeur de ceux qui se posent des questions et cherchent à comprendre mais pour lesquels la «chercher la vérité ailleurs » n’est pas une religion pratiquée avec une foi obsédante.

Dans ce tableau, deux matières premières dominent : la drogue et le pétrole. La production de stupéfiants en Afghanistan est une guerre de petits monstres. En son coeur s’y trouve la Realpolitik de la CIA qui promeut l’Opium contre l’armée soviétique, développe l’économie de la drogue en Afghanistan, dit la combattre mais la laisse prospérer à cent mètres de ses locaux. Les dirigeants militaires pakistanais s’enrichissent sur ce trafic, les chefs de tribus afghans (comme Massoud) s’entretuent pour en avoir la plus grosse part.

D’un autre coté, la glue pétrolière maintient la famille Bush dans un état de conflit d’intérêt permanent avec les dynasties du moyen orient et en particulier la famille Ben Laden. Les enquêtes menées par la CIA, la NSA et les services secrets pakistanais ont en effet rapidement convergé vers l’Arabie Saoudite dont cette famille est si emblématique. Pendant qu’a lieu le nettoyage discret par les services secrets des présumés coupables parmi lesquels de nombreux princes Saoudiens, l’extradition discrète des Etats-Unis pendant le blocus aérien de nombreux membres de la famille Ben Laden, les milieux d’affaires américains négocient ardemment avec l’Arabie Saoudite un nouveau projet d’exploitation de gaz. Au même moment, les pompiers commencent la recherche des victimes dans les ruines du World Trade Center… Ces liaisons dangereuses entre deux états que tout oppose culturellement et que tout rapproche financièrement, engendrent des réactions de panique opportunistes qui montrent bien une absence d’intention calculée et coordonnée.

A coup de pinceaux impressionnistes, Eric Laurent dessine un monde finalement bien ordinaire où une poignée de gens cupides et cyniques cherchent leur petit intérêt au milieu d’une masse essentiellement passive, aspirant à vivre une vie tranquille et pacifique. Le tireur de ficelle est sans foi ni loi, la vie du prochain n’a d’intérêt qu’en cela qu’elle le sert. Mais sombrer dans le complotisme radical en échafaudant une théorie globale serait une erreur. Ces démons ne sont que des petits démons : ils n’ont chacun que peu de poids dans le système, bien que le nombre de leurs victimes puisse être important. Leur rivalité permanente crée leur désunion et ruine toute possibilité de complot. Fugitivement, on y voit également çà et là quelques lanceurs d’alertes qui auront eu raison trop tôt… Là encore, leur clairvoyance ne perturbe pas l’organisation d’un complot, mais elle gêne tout au plus les relations que l’on a avec des « amis » d’intérêt, les discours officiels, les lignes politiques ou stratégiques de certains services… On soupire devant la bêtise des petits marquis de la communication qui participent à la sanctification du commandant Massoud en France. On observe des organismes étatiques aveuglés par leur dogmatisme jouer aux apprentis-sorciers : la CIA, par exemple, qui arme les musulmans pour combattre les Soviétiques, ne comprend pas que la réelle motivation de leur engagement est de libérer une terre d’Islam, puis profane à son tour une autre terre d’Islam retournant contre elle-même les combattants qu’elle a armé.

Opportunistes cyniques, conflits d’intérêt, incompétence, lanceurs d’alerte ignorés, petites crapules : il y a tout cela dans le 11 septembre. Mais plus l’enquête avance et se complexifie plus on peine à y trouver un complot qui unirait plusieurs groupes à la fois complices et concurrents : c’est beaucoup trop compliqué. Cela n’arrive que dans les romans. Dans son livre qui constitue une mine d’information pour ceux que le sujet passionne, Eric Laurent accepte le questionnement mais dessine et ébauche des explications qui partent de faits réels et non fantasmés : il montre comment l’ordinaire de l’humain engendre parfois des drames extra-ordinaires.


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