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L’alternative (Non-réponse à Badiou).

L’alternative (Non-réponse à Badiou).

Par  

Les sous-entendus de l’écologie

 

… ou la mort.

Robespierre, 1790

 

Il faut espérer que l’humanité a encore le choix. Mais rien n’est sûr. Rien, surtout, n’est moins sûr que cette assurance que nous prenons sur une vie dépouillée de ses attributs essentiels, sans lesquels la vie ne se ressemble plus, se met à ressembler à la mort, à une mort qui a beau se déguiser du masque blanc de la vie, n’en est pour autant qu’une triste parodie de la vie.

Sur quoi porte réellement le choix ? Tout le monde (expression qu’il convient de prendre au pied de la lettre, tout le monde, le monde entier des choses et des êtres) sait aujourd’hui qu’une limite a été franchie. Les arbres du monde entier le savent, les animaux le savent, les choses mêmes, celles qui nous paraissent les plus dénuées de sentiment ou de conscience, le savent et le disent, par la manière qu’elles ont brusquement de ne plus répondre à nos vœux quand nous les sollicitons pour qu’elles continuent à nous procurer ce sentiment de sécurité sans lequel nous ne nous sentons plus nous-mêmes. Le profond silence des choses, nous devrions pourtant l’avoir entendu, pendant ces quelques mois où, par suite sans doute d’un malentendu qui nous caractérise en tant qu’espèce, nous avons cru pouvoir nous mettre à l’abri, en nous confinant sur notre espace, le seul espace que nous possédions réellement et que nous contrôlions (parce qu’il nous possède), l’espace virtuel d’une conscience artificielle qui nous enferme totalement dans l’univers de nos représentations mentales. Nous devrions l’entendre comme l’écho de notre propre silence, de cette atroce forme de mutisme qui nous interdit littéralement de parler le langage de la seule vie qui mérite d’être vécue – écho du bruit que fait en nous une peur silencieuse, honteuse comme la conscience de qui, ayant commis l’irréparable, ne peut que se murer en lui-même pour ne plus avoir à considérer les conséquences de son acte.

Qui parle encore, sur nos ondes, de ce qui s’est passé en décembre dernier ? Il ne s’est rien passé. Nous ne nous sommes rendu compte de rien. Tout se passe comme si nous pouvions reprendre les choses au point où elles en étaient avant, avant que ce diable de virus vienne perturber le fonctionnement de l’immense machine grâce à laquelle nous passons l’intégralité de notre vie à oublier ce que nous devons au monde qui nous entoure : la coupe d’Europe de football, le tournoi de Roland Garros, les Jeux Olympiques, événements qui, par leur retour perpétuel, remplacent à nos yeux le cycle des saisons, événements corollaires d’une activité dont la seule trace dans la mémoire du monde sera l’immense tas de déchets que nous essayons de cacher sous les profondeurs de l’océan ou de la terre. Mais les choses n’en sont plus au point où nous les avons laissées. Les choses sont entrées dans un silence qui, désormais, parle plus haut que notre bavardage quotidien, et nous aurons beau hausser le ton, monter le son de nos appareils à répéter les mots d’ordre ou les consignes de sécurité de notre gouvernement planétaire, dans nos consciences d’hommes, c’est ce silence qui parlera seul, et c’est lui dont nous avons peur – c’est lui qui nous dicte cette forme d’immobilité blanchâtre qui, progressivement, s’empare de nos espaces de vie sociale, sous la forme de ces fantômes aux visages masqués qui hantent les miroirs de nos existences, vitrines et consoles, écrans plats, vides, creux, portables, insupportables. Silence qui épouse la durée fondamentale du monde (d’un monde qui, sans nous, serait sans doute le même), mais qui n’en fait pas moins penser à celui par lequel, dans l’Apocalypse, s’ouvre le temps de la déréliction.

Il s’est pourtant bien passé quelque chose, les feux qui ont ravagé l’Australie, l’Amérique, la Sibérie, en sont le signe. Un degré de température a été atteint, d’abord, qui exclut désormais tout retour « à la normale ». On peut ergoter autant qu’on voudra sur les délais dans lesquels il serait urgent d’intervenir. La réalité du phénomène nous échappe en réalité. Nous ne la saisissons qu’à travers des chiffres qui, en eux-mêmes, ne disent rien, ne font que refléter un pouvoir que nous avions d’agir sur la réalité quand la réalité était la référence de nos signes. Aussi bien nous sommes-nous dépêchés, dès que les feux l’ont permis, de focaliser à nouveau toute notre attention sur un de ces événements qui relèvent de notre seule rationalité : un tournoi de tennis, l’Open d’Australie. Celui-ci a eu tout juste le temps de se dérouler qu’un autre processus, dont la rationalité, elle, nous déborde complètement, s’est enclenché, l’épidémie dite du Covid 19. Entre les incendies de décembre et cette épidémie, il n’y a probablement aucun rapport de cause à effet. Il n’y a qu’un rapport d’analogie, une ressemblance dans ce qu’on pourrait appeler le mode opératoire : comme le feu, l’épidémie virale se propage de manière foudroyante et aléatoire, et elle déborde nos moyens d’intervention. Comme lui, elle provoque la panique et impose des mesures d’urgence immédiate qui ont pour effet de paralyser toute activité économique, de suspendre toute normalité sociale. Comme lui surtout, elle nous pousse (c’est le sens même du mot urgence) à ne plus voir autre chose que ce qui se donne à voir dans l’heure même qui s’écoule, à nous enfermer dans la représentation immédiate que nous nous faisons de la situation présente.

Ce qui s’est passé cependant, sous le signe des feux, n’a pas brusquement reculé dans le temps passé comme un événement mort. Ce qui s’est passé en lui est passé dans le temps des durées fondamentales, il dure encore, il ne cesse de se passer à nouveau, par dessous la durée éphémère des faits qui se succèdent, comme la cendre qui demeure et de laquelle, s’il doit renaître, l’oiseau-feu reçoit la substance sacrée de ce qui ne passe pas, la vie. S’il doit renaître. Mais il n’est pas certain que le même feu dont la flamme dansait sur le bûcher ait la vertu de faire renaître la vie de ces cendres mortelles. De même, il n’est pas sûr qu’une même activité de l’humain ait le pouvoir de faire revenir la vie sur les cendres d’un monde dont elle aurait épuisé toutes les possibilités. Du feu primitif au feu sacré, il y a un saut, il y a franchissement d’un seuil, il y a transmutation, et non plate métamorphose, ce qui sous-entend l’intervention d’un terme supérieur à ceux dont se constitue immédiatement l’alternative. Quel terme, dans le symbole ? Le mythe ne le dit pas, et les interprétations varient suffisamment pour qu’on ne sache laquelle tenir pour décisive. Mais si ce symbole nous intéresse ici, ce n’est pas seulement pour la perspective qu’il offre d’un recommencement perpétuel de la vie au-delà de l’épreuve du feu, c’est aussi qu’il rattache ce processus à celui d’un être aussi étrangement caractérisé que le Phénix, « seul animal », dit Ovide, à ne pas « devoir le principe de son existence à d’autres » qu’à lui-même. Qu’est-ce qui est ainsi sous-entendu ? Que la condition de mourir a partie liée avec la condition d’avoir en un autre que soi le principe de son existence. C’est en contre-point d’une existence où la mort est la condition de la vie que se dessine la possibilité d’un dépassement des conditions qui font dépendre toute vie d’un rapport à l’autre excluant l’éternelle répétition du même.

Tel est aussi le sous-entendu de toute écologie qui se voudrait fondamentale, intégrale ou radicale, qu’il ne peut s’entendre en contre-point du discours par lequel une écologie de complaisance s’efforce de fonder, sur le plan politique des décisions qui n’engagent que l’humain, une action « en faveur » de l’environnement, d’un environnement forcément conçu comme la condition de l’action humaine, où celle-ci pourrait recommencer à jouer tranquillement sur ses stades, au rythme de ses propres saisons. Entendu sur ce seul plan de la politique, le discours de l’écologie, surtout s’il s’entend avec la politique du retour en avant pour confirmer les populations que nous sommes dans l’assurance à prendre sur la vie qui nous est proposée (cette vie qu’il faudrait protéger, tout autant que d’elle-même, en faisant d’elle ce spectre masqué de la vie qui n’ose plus entrer en contact avec elle-même, contre une réalité qui, de partout, déborde nos capacités d’intervention), ce discours n’est pas seulement irrecevable parce qu’il fait épouser à l’écologie la cause d’un système qui est globalement la cause même de tous nos maux, mais il est à rejeter lui-même comme le masque d’une fausseté plus radicale encore. Seul serait recevable un discours qui, sous la forme admise du discours politique, réussirait à dire l’inacceptable « vérité », à l’exemple d’un Robespierre à qui l’on doit la formule la plus fulgurante de la révolution : la liberté ou la mort. L’écologie fondamentale a pour contre-point véritable, pour sous-entendu fondamental, l’acceptation d’une condition extrême, susceptible de porter la volonté d’agir à son point d’incandescence maximale en rendant secondaires les motifs mêmes de l’action. Ce n’est qu’en ce sens qu’elle peut se dire révolutionnaire.

Quelle autre condition que la mort, qui est la condition à la fois ultime et ordinaire de toute vie ? Il est dur de l’admettre, mais c’est notre peur de la mort qui nous interdit les gestes qui, plus que tout, exprimeraient à la fois notre solidarité d’hommes impliqués dans une affaire commune dont nos vies forment la trame, et notre solidarité d’espèce envers toutes les espèces qui concourent avec nous à former l’immense diversité de la vie. Une suspension globale de toutes les activités humaines, une immense minute de silence transportée à l’échelle de la terre n’eût pas été un geste suffisant pour honorer la mémoire de ces milliards de vies animales et végétales qu’ont dévorées les feux de la folie du développement mondial. Cela n’a pas eu lieu, certes, mais quelle ironie que le spectacle donné aujourd’hui par nos sociétés, après deux mois passés à compter des morts que nous n’osions enterrer dignement de crainte que ces manifestations élémentaires du deuil communautaire n’aillent accélérer le rythme d’une pandémie dont nous avions tellement anticipé l’expansion qu’elle n’avait même plus à se répandre pour semer la terreur dans nos foyers et bloquer tous nos investissements ! A présent que nous nous réveillons, à demi inconscients, d’un cauchemar dont nous avons été en même temps les acteurs disciplinés et les réalisateurs inspirés, nous voulons rattraper au plus vite le temps perdu, nous voulons retrouver le fil de nos vies absurdement interrompues, et comme c’est notre propre peur qui nous a terrorisés, nous nous voilons la face pour ne pas voir, sans doute, sur nos visages, l’expression de la honte que nous ne pouvons pas ne pas ressentir, pour avoir brusquement lâché le terrain de nos vies et donné à l’immense armée des agents de la vie programmée procuration pour accomplir à notre place tous les gestes de la solidarité et du partage.

Alors, oui, nous pouvons invoquer « la vie », nous pouvons répéter machinalement que nous voulons vivre, revivre. La vérité, qui est « terrible », comme le dit Giono (comme le savait si bien Robespierre), c’est que la vie qui nous reste quand nous avons, comme nous l’avons fait, renoncé à tout ce qui fait la vie, ne vaut tout simplement pas la peine d’être vécue – ce n’est plus une vie, c’est l’ interminable prolongation d’un processus vital qui n’a plus en lui-même la moindre force, la moindre vertu, qui ne crée plus rien que les conditions de sa propre reproduction. Chose terrible à dire, plus terrible encore à réaliser : nous sommes en train de tuer la vie, nous vivons littéralement (nous tirons notre vie présente) de la mort du vivant, d’une vie de mort-vivant, conservée sous le vide d’un espace séparé des conditions réelles de la vie. Et, symbole non moins terrible : le feu nucléaire, obtenu d’une ténébreuse fission de l’atome qui signifie littéralement ce qu’elle réalise, l’irréversible séparation d’avec une matière dont l’inséparabilité essentielle était la condition de la vie – feu dont la froideur mortelle alimente les foyers de l’existence mondiale de l’homme, sous la forme de cette énergie désespérément propre, dont la propreté concentre en elle, neutralisées, purifiées, débactérialisées, toutes les saletés possibles et imaginables de la pensée.

Rien d’étonnant à ce qu’une forme neutre, pure, dévitalisée d’amour vienne alors se substituer partout, pour présider à nos agapes sur-médiatisées, à l’impure charité par laquelle l’homme était jadis appelé à accomplir, à la suite du Christ, les promesses du Vivant. Symbole encore plus irréductible que le précédent, et qui lui est sous-entendu comme en tout contre-thème se trouve sous-entendu le thème fondamental : la suspension du sacrifice de l’Eucharistie, dont le pape Benoît XVI disait si prophétiquement qu’il

met dans la création le principe d’un changement radical, comme une sorte de « fission nucléaire », pour utiliser une image qui nous est bien connue, portée au plus intime de l’être, un changement destiné à susciter un processus de transformation de la réalité, dont le terme ultime sera la transformation du monde entier, jusqu’au moment où Dieu sera tout en tous.

A l’opposé d’un tel « changement », allant, jusqu’aux racines de l’être, opérer la dissociation du noyau dans lequel se concentre la puissance du mal, la mort devenu principe de vie, pour libérer l’énergie positivement infinie de la grâce, la bienveillance, dont se couvre la puissance de dissociation des choses que devient la technique quand elle dépossède la main de son rôle directeur sur l’outil, renverse le rapport d’interdépendance ou de dépendance mutuelle existant entre les êtres liés par une communauté de cœur et de vie, en un rapport fonctionnel où le service rendu à autrui se trouve subordonné à un impératif de production sociale qui l’intègre, sous forme de protocole, à un processus général de normalisation des gestes et des actes qui permet de les interpréter en termes d’échange économique. Sans rien changer à l’ordre apparent des relations humaines, l’acte se situe alors à la surface des choses : il est sourire des lèvres imposé de l’extérieur, geste commandé pour signifier une intention de bienveillance qui laisse le sujet tout entier absent à lui-même, satisfait d’avoir fait son travail sans y avoir rien impliqué de son être intérieur, sans impliquer aucune forme de dépendance réciproque, resserrant au contraire le nœud qui, assujettissant chacun au souci de sa propre conservation, le rend toujours plus autonome, à la fois indépendant des autres sujets et dépendant du système dans lequel s’objectivent les relations.

C’est à cette condition du reste que l’acte de bienveillance peut répondre à un souci égalitaire (plus exactement : homophile) : il peut être « le même pour tous », parce qu’à aucun moment il n’implique un mouvement du cœur. C’est exactement l’inverse de l’acte de charité qui, comme le dit toujours Benoît XVI, répond à un « besoin d’humanité », à « un besoin de quelque chose de plus que de soins techniquement corrects », en sorte que la personne à qui s’adresse le service « puisse éprouver [la] richesse d’humanité » de celui qui rend ce service – qui ne fait que rendre un don qui lui a été fait, que partager ce dont il est lui-même tributaire : l’amour du Christ, lequel ne saurait, en aucun cas (sinon en un sens éminemment surnaturel), être « le même pour tous », puisqu’il implique le tout de la personne et qu’il n’y a pas deux personnes identiques.

Mystère qu’il faut relier au mystère même de l’Eucharistie et à ce « lien causal qu’il y a entre le sacrifice du Christ et l’Eglise » que Benoît XVI expose ainsi :

L’eucharistie est le Christ qui se donne à nous, en nous édifiant continuellement comme son corps. Par conséquent, dans la relation circulaire suggestive entre l’Eucharistie qui édifie l’Eglise et l’Eglise elle-même qui fait l’Eucharistie, la causalité première est celle qui est exprimée dans la première formule : l’Eglise peut célébrer et adorer le mystère du Christ présent dans l’Eucharistie justement parce que le Christ lui-même s’est donné en premier à elle dans le Sacrifice de la Croix.

Et c’est bien pourquoi on est en droit de s’inquiéter d’avoir vu l’Eglise, au nom de l’urgence sanitaire, suspendre, du moins en France, son service eucharistique et s’interdire de célébrer l’office divin devant le peuple des fidèles. Voulait-elle ainsi, par hasard, servir à quelque chose, rendre plus efficace sa participation à la lutte contre le virus ? Ou voulait-elle signifier, par-là, autre chose – une forme générale d’apostasie impliquant une mesure d’ex-communication générale ? Car il est de fait qu’en se conformant ainsi, aussi précipitamment que bénévolement, aux mesures édictées par l’autorité scientifique et décrétées par le pouvoir civil, elle proclamait le caractère profondément dérisoire de son propre service au regard de la situation sanitaire en même temps qu’elle obligeait le peuple des fidèles à se sentir dégagé de toute responsabilité spirituelle à l’égard d’un fléau qu’en d’autres temps on eût peut-être regardé comme un signe des temps. Peut-être enfin cette décision avait-elle un autre sens eschatologique et se fondait-elle sur l’hypothèse que les temps derniers étant arrivés, nous n’avions plus besoin de commémorer un sacrifice dont l’actualité historique se serait chargée d’achever la consommation ? Dans tous les cas, difficile de ne pas penser à cette page célèbre d’un auteur que tel de nos terroristes à la sauce Mao de mai 68, aujourd’hui promu docteur patenté de la raison gardée, aimait tant, saint Paul :

Nous vous demandons, frères, à propos de la venue de notre seigneur Jésus Christ et de notre réunion auprès de lui, de ne pas vous laisser agiter trop vite dans votre esprit ni alarmer par une parole inspirée, un discours ou une lettre prétendument envoyée par nous, et selon quoi le jour du Christ serait imminent. Que nul ne vous trompe d’aucune manière : en effet, auparavant viendra l’apostasie et se révélera l’homme de l’anomie, le fils de la destruction, celui qui s’oppose et qui s’élève au-dessus de tout ce qui est nommé Dieu ou est objet de culte, allant jusqu’à siéger en tant que Dieu dans le temple de Dieu, se faisant connaître lui-même comme Dieu. Ne vous rappelez-vous pas que, lorsque j’étais encore parmi vous, je vous disais cela ? Maintenant vous savez ce qui retient et sera révélé en son temps. Le mystère de l’anomie est déjà à l’œuvre ; que seulement celui qui retient retienne jusqu’à ce qu’il soit mis dehors, alors se révélera l’impie (anomos, littéralement « le sans-loi »), que le seigneur Jésus éliminera du souffle de sa bouche et rendra inopérant par la manifestation de sa venue ; la venue [de l’impie] se fera selon l’être en acte de Satan dans chaque puissance, par des signes et des faux prodiges et par toutes les tromperies de l’injustice à l’intention de ceux qui se sont perdus pour n’avoir pas accueilli l’amour de la vérité en vue de leur salut (2 Th 2, 1-10).

Il est douloureux, assurément, de penser que, peut-être, la retenue dont l’Eglise a, en cette occurrence critique, fait preuve obéissait à une nécessité dans laquelle elle se trouvait empêtrée par ses propres contradictions et qui la rendait incapable de se poser, comme on pouvait l’attendre d’elle, face à l’autorité temporelle d’un Etat lui-même traversé par une crise profonde de légitimité, comme la garante d’une liberté spirituelle ayant profondément à voir avec une maladie qui, indépendamment de toute approche sanitaire, met en cause l’ordre mondial, au moins sous l’angle de la justice. Mais comment ne pas être frappé du fait qu’au moment où le peuple entier des Chrétiens eût dû, plus que jamais en raison des circonstances, se trouver rassemblé pour vivre, avec le Christ, la douloureuse Passion qui nous relève du péché et de la mort, le pape s’est retrouvé seul à prier devant la place Saint-Pierre vide et muette ? Signe étrange qu’il n’est pas forcément inopportun de relier à l’acte par lequel le prédécesseur de François avait mis fin à son propre pontificat. Dans quelle mystérieuse continuité historique ces faits nous font-ils donc entrer ?

L’envers du mystère de l’amour n’est autre chose que le mystère même de l’iniquité, d’une iniquité qui, parce qu’elle ne peut se montrer à visage découvert, porte nécessairement le masque d’une bienveillance en laquelle toute violence se trouve contenue, retenue, tenue en réserve, comme sous vide, prête à se diffuser sous la forme de cette terreur aseptisée que les polices du monde technicien savent si bien distiller dans les rues et sur les places, refroidissant par avance toute velléité de révolte et produisant cette tiédeur caractéristique du monde bourgeois dans lequel les sentiments d’honneur et de solidarité se liquéfient, se muent en ces manifestations écœurantes de l’autojustification humanitaire qu’on voit partout déverser leurs flots débordants de générosité même pas toujours mercantile. Normalement, l’iniquité devrait le céder à l’amour, et l’on devrait, par avance, pouvoir en « tressaillir d’allégresse », à mesure que s’amoncellent les preuves que tout le système qui s’est bâti sur la possibilité ouverte par nos techniques (orientées ou seulement secondées par un pouvoir étatique largement inféodé aux puissances de l’argent) d’imposer au monde minéral, animal et végétal un rapport unilatéral de pure exploitation et d’asservissement ; que ce système, dis-je, loin d’assurer à toute l’humanité des conditions d’existence dignes d’elle parce que fondées en justice et favorables au développement d’une liberté vraiment responsable, ne fait que l’enfermer toujours davantage dans l’illusion d’un bonheur qui ne se soucie que de lui-même, en même temps qu’il creuse sous ses pieds une fosse dans laquelle risquent de s’engouffrer tous ses rêves.

Oui, l’on devrait pouvoir tressaillir d’allégresse à sentir grandir partout le désir qu’en retour des offenses faites à toutes ces fragiles existences animales et végétales exploitées en pure perte par un développement finalement aussi hostile aux humains qu’aux autres êtres vivants, s’établisse une forme de justice qui, tout en rendant aux choses et aux êtres une dignité correspondant à leur valeur réelle, obligerait les humains à se souvenir de ce qui les lie à la terre pour retrouver en eux-mêmes la source d’une humilité susceptible d’instaurer enfin entre eux un régime de liberté, d’égalité et de fraternité. N’était-ce pas, du reste, tout le sens du texte par lequel le pape François s’annonça, au début de son pontificat, comme le pape qui réaliserait enfin l’ouverture décisive de l’Eglise aux réalités de son temps, selon la promesse de Vatican II ? Laudato si’ !

Mais que se passe-t-il, en fait ? A la première occasion qui nous soit donnée, après le grand avertissement des feux australiens, de faire entrer réellement dans nos vies la leçon d’humilité que nous donnent les choses, en nous réjouissant de voir s’éclaircir le ciel de nos villes enfin délivrées du bruit des chantiers et des routes, bien loin de nous hâter de rendre grâces et de fêter ensemble ce grand événement, nous ne songeons qu’à nous imposer les uns aux autres la triste discipline qu’un pouvoir obsédé de revenir aux voies qui nous ont jetés au-delà de nous-mêmes se croit obligé d’adopter, sur le conseil d’une science qui jamais ne sut reconnaître dans la diversité du monde vivant autre chose qu’une matière homogène à sa conception mono-maniaque de l’unité des phénomènes. Est-ce à cause de ces morts dont la comptabilité semble avoir si fort occupé nos imaginations, pendant toute cette période où nous vivions confinés dans nos meubles, coupés de la réalité du monde ? Rien n’empêche, assurément, de les pleurer aussi, ces morts, en considération de ce qu’ils ont été : des vivants promis, comme tous vivants authentiques, à une vie que la mort ne saurait compromettre. Mais pourquoi ne pas faire de ces pleurs eux-mêmes une offrande pieuse au Dieu qui nous promet la vie ? Parce que nous en sommes peut-être devenus incapables, à force d’assimiler constamment les conditions de notre bonheur à celles qui, nous coupant du monde des autres vivants, nous portent à oublier notre condition de mortels. Telle serait, en fait, notre très réelle apostasie, justifiant amplement, en plus des mesures répressives que constituent le confinement et les gestes imposés par le pouvoir civil, la mesure d’ex-communication que constituait, de facto, la suspension des messes et de toute célébration religieuse. Notre « haine de la nature » est aussi une haine de la vie, et en tant que telle, elle nous interdit de prendre la mort au sérieux.

Aussi nos évêques ont-ils peut-être bien fait de nous priver collectivement du « pain descendu du ciel ». Peut-être enfin avaient-ils en tête l’angoissante question du Christ : « Le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » Question à laquelle fait écho l’annonce de ces temps où, les hommes « mourant de peur dans la crainte des malheurs », « la charité du grand nombre se refroidira ». Il serait bien impie de rire de ces choses, mais comment ne pas rire, en revanche, en constatant à présent (au moment où un providentiel recours au conseil d’Etat qu’ils n’avaient osé déposer eux-mêmes les oblige à reprendre leur service spirituel avant le moment prévu par eux) que nos évêques, en réalité, avaient tout simplement eu la niaiserie de croire qu’en prenant cette mesure de suspension ils apparaîtraient et feraient apparaître les chrétiens obéissants que nous sommes comme de bons citoyens, aussi responsables et bien informés que « le grand nombre » de ceux qui, n’allant jamais à la messe, étaient à mille lieues de se soucier d’une mesure qui n’affecterait finalement que ceux pour qui la participation au sacrement de l’Eucharistie est vitale ? Ironique effet, une fois de plus, d’un patriotisme ecclésiastique qui ne fait jamais que couper davantage l’Eglise du monde auquel elle a le malheur de vouloir se conformer.

Mais, preuve que dans cette apostasie généralisée, c’est bien « la charité du grand nombre » qui, se refroidissant, accepte de se livrer, corps et âme – avec son corps dépossédé et son âme désormais vidée de toute substance –, au pouvoir d’une pure loi de déliaison des signes et des choses, ce sont les mêmes (malheureux, certes) qu’on voyait, il y a peu, sur les ronds-points, sous la livrée (jaune, verte ou rouge) d’une normalité fonctionnelle érigée en principe de contestation, se lever pour renverser l’ordre inégalitaire et déréglementé de l’étatisme corrompu par l’argent, qui aujourd’hui réclament à corps et à cri de quoi couvrir leurs faces de cadavres du signe confondant de l’universel blanchiment des consciences dans l’unanimité du principe de raison sanitaire. Peuple peut-être à juste titre ex-communié (par une église elle-même tellement obnubilée par le souci de vivre avec son temps qu’elle ne pouvait trouver meilleure occasion d’entrer en communion avec le Monde) pendant le temps d’un confinement qui scellait irréversiblement la confusion désormais instituée des lieux et des temps, privés, publics, intimes, communs, pour l’égale satisfaction des agioteurs et des inquisiteurs. Mais peuple qui n’en voudra pas moins participer demain, s’il se met soudain à croire que la communion aux saintes espèces agit aussi efficacement que la chloroquine ou tel médicament que l’industrie pharmaceutique lui promet contre l’affreux virus, à un mystère dont il s’est gaillardement laissé priver, comme de toutes ses autres libertés, pendant des mois – à condition toutefois d’être assuré de pouvoir le faire « sans contracter le virus », sans se laisser contaminer par rien, surtout pas par l’amour.

Pour en revenir à l’écologie, que nous n’avons certes pas oubliée tout au long de cette apparente digression ecclésiologique, que peut-elle attendre du moment présent, si elle ne consent pas à entendre résonner dans son propre discours le sous-entendu d’une exigence qui la fonderait bien plus radicalement, parce qu’il l’enracinerait dans un sol bien plus profond, que celle qui la fait concourir avec les politiques de l’éternel retour en avant pour nous faire prendre une nouvelle assurance sur la vie telle qu’elle est ? Rien qu’un éphémère sursis, avant de perdre définitivement pied (et face) dans un système qui ne peut faire du thème de l’écologie qu’un argument de façade pour répondre à des désirs ou à des peurs qui ne savent plus vers quels objets se tourner, tels ces Romains de la décadence à qui la multitude de leurs propres dieux ne pouvaient suffire et qui s’en allaient à tous les vents de croyance adopter les plus étranges pour se donner l’illusion de l’immortalité. Macron, comme Sarkozy en son temps, tout comme les dirigeants de la Chine ou Trump lui-même, sont aussi capables que n’importe qui d’enfiler le masque blanc, vert ou rouge d’une écologie tour à tour accommodée à la sauce bretonne, landaise ou corse, selon le goût du jour. La seule chose qu’ils ne peuvent pas, c’est envisager sérieusement l’hypothèse d’une alternative où tous les choix ne sont pas possibles en même temps. Ce qui faisait la force de Robespierre, et aussi bien celle de saint Paul, c’était leur capacité à mettre en balance dans leur appréhension du moment présent le tout et le rien d’un combat qui ne vise pas qu’à prolonger indéfiniment les conditions de sa propre durée. La Vertu pour l’un, la Charité pour l’autre était le visage, contracté ou paisible, d’une puissance qui ne se tient au sommet de la vague que parce qu’elle résulte d’une tension extrême entre des pôles qui ont beau s’exclure absolument, n’en sont pas moins les deux faces d’une même invisible réalité. Aussi pouvaient-ils acculer leur époque à un choix décisif, entraînant pour l’histoire des conséquences infinies. Telle est la condition d’une authentique révolution.

Pitoyable Badiou, qu’il nous faut aujourd’hui entendre pontifier laborieusement sur les réseaux Gallimard, à seule fin, semble-t-il, de nous forcer à nous souvenir qu’il eut un moment quelque chose à voir avec la philosophie, malgré les passades terroristes du temps où il ne jurait que par Mao :

On dirait que l’épreuve épidémique dissout partout l’activité intrinsèque de la Raison, et qu’elle oblige les sujets à revenir aux tristes effets – mysticisme, fabulations, prières, prophéties et malédictions – dont le Moyen Âge était coutumier quand la peste balayait les territoires.
Du coup, je me sens quelque peu contraint de rassembler quelques idées simples. Je dirais volontiers : cartésiennes. Convenons pour commencer par définir le problème, par ailleurs si mal défini, et donc si mal traité.

Il serait quelque peu malhonnête de faire semblant de croire qu’après cet hommage finement décerné à la raison bourgeoise on puisse attendre grand-chose de plus qu’une incitation à reconnaître qu’il n’est rien ici de bien nouveau sous le soleil. Le philosophe est d’abord un incorrigible marxiste : il a déjà vu tout cela, quant à lui, même s’il lui faut concéder « que personne n’avait prévu, voire imaginé, le développement en France d’une pandémie de ce type, sauf peut-être quelques savants isolés ». Mais ce n’est que pour mieux nous faire sentir à quelle hauteur (de ton, si ce n’est de vue) se situe sa mise au point :

Beaucoup pensaient probablement que ce genre d’histoire était bon pour l’Afrique ténébreuse ou la Chine totalitaire, mais pas pour la démocratique Europe. Et ce n’est sûrement pas les gauchistes – ou les gilets jaunes, ou même les syndicalistes – qui peuvent avoir un droit particulier de gloser sur ce point, et de continuer à faire tapage sur Macron, leur cible dérisoire depuis toujours. Ils n’ont, eux non plus, absolument rien envisagé de tel. Tout au contraire : l’épidémie déjà en route en Chine, ils ont multiplié, jusqu’à très récemment, les regroupements incontrôlés et les manifestations tapageuses, ce qui devrait leur interdire aujourd’hui, quels qu’ils soient, de parader face aux retards mis par le pouvoir à prendre la mesure de ce qui se passait. Nulle force politique, en réalité, en France, n’a réellement pris cette mesure avant l’État macronien et sa mise en place d’un confinement autoritaire.

Prenons donc acte, pour commencer, de la solidarité ici affirmée de « l’activité intrinsèque de la Raison » avec la raison d’Etat contre laquelle s’agitent en vain gauchistes, gilets jaunes et syndicalistes, surtout quand il s’agit de prendre « la mesure » d’une situation à laquelle ne pouvait répondre que la « mise en place d’un confinement autoritaire » qui, au passage, est l’occasion d’accorder momentanément raison d’Etat, raison bourgeoise et doctrine marxiste dans une vision de l’intérêt général opportunément défini par rapport à la « situation épidémique » :

Du côté de cet État, la situation est de celles où l’État bourgeois doit, explicitement, publiquement, faire prévaloir des intérêts en quelque sorte plus généraux que ceux de la seule bourgeoisie, tout en préservant stratégiquement, dans l’avenir, le primat des intérêts de classe dont cet État représente la forme générale. Ou, autrement dit, la conjoncture oblige l’État à ne pouvoir gérer la situation qu’en intégrant les intérêts de la classe, dont il est le fondé de pouvoir, dans des intérêts plus généraux, et ce à raison de l’existence interne d’un « ennemi » lui-même général, qui peut être, en temps de guerre, l’envahisseur étranger, et qui est, dans la situation présente, le virus SARS 2.

Il faut admirer, ici, outre l’ « en quelque sorte » nécessaire concession au bon sens cartésien qui assure le passage de la notion d’intérêts de classe à celle d’intérêt général (si peu suspecte de contamination idéologique, comme on sait), le glissement qui fait voir, dans le très objectif ennemi de toutes les classes réunies et confondues sous l’égide d’une autorité scientifique elle aussi au-dessus de tout questionnement philosophique ou idéologique, l’équivalent d’un « envahisseur étranger » justifiant par sa seule « existence interne » la mise en place d’un état d’urgence qu’il n’est nullement besoin d’assimiler à un quelconque état d’exception, comme l’exprime amplement la suite du propos, manifestement destinée à nous convaincre de l’inutilité d’aller ici essayer de penser autre chose que ce qu’en toutes circonstances ordinaires ou extraordinaires il ne faut pas cesser de penser :

Quant à nous, qui désirons un changement réel des données politiques dans ce pays, il faut profiter de l’interlude épidémique, et même du – tout à fait nécessaire – confinement, pour travailler, mentalement comme par écrit et correspondance, à de nouvelles figures de la politique, au projet de lieux politiques nouveaux, et au progrès transnational d’une troisième étape du communisme, après celle, brillante, de son invention, et celle, forte et complexe, mais finalement vaincue, de son expérimentation étatique.
Il faudra aussi en passer par une critique serrée de toute idée selon laquelle des phénomènes comme une épidémie ouvrent par eux-mêmes à quoi que ce soit de politiquement novateur. En sus de la transmission générale des données scientifiques sur l’épidémie, seules ne garderont une force politique que des affirmations et convictions nouvelles concernant les hôpitaux et la santé publique, les écoles et l’éducation égalitaire, l’accueil des vieillards, et autres questions du même genre. Ce sont les seules qu’on pourra éventuellement articuler à un bilan des faiblesses dangereuses de l’État bourgeois mises en lumière par la situation actuelle.
Au passage, on dira courageusement, publiquement, que les prétendus « réseaux sociaux » montrent une fois de plus qu’ils sont d’abord – outre le fait qu’ils engraissent les plus grands milliardaires du moment – un lieu de propagation de la paralysie mentale bravache, des rumeurs incontrôlées, de la découverte de « nouveautés » antédiluviennes, quand ce n’est pas de l’obscurantisme fascisant.
N’accordons crédit, même et surtout confinés, qu’aux vérités contrôlables de la science et aux perspectives fondées d’une nouvelle politique, de ses expériences localisées – y compris concernant l’organisation des classes les plus exposées, singulièrement les prolétaires nomades venus d’ailleurs – comme de sa visée stratégique.

Impossible d’imaginer ce qu’auraient pu ajouter à cela le pharmacien Homais et Jacques Attali, en les supposant réunis et, pour une fois, d’accord. Mais pourquoi s’être ainsi attardé à examiner une prise de position à laquelle on est bien décidé à ne rien répondre ? Parce qu’elle indique assez, par sa prétention même à fermer définitivement un débat qui n’a pas encore commencé, de quel côté aurait à être cherché ce sur quoi porte désormais, pour l’humanité, le choix, si celle-ci a encore le choix : à quoi d’autre pourrions-nous accorder crédit, confinés ou pas, « qu’aux vérités contrôlables de la science » ? Et la réponse s’impose : à des vérités précisément non contrôlables, exactement incontrôlables, comme le sont celles qui, finalement, nous tiennent le plus à cœur, surtout quand nous essayons de voir, à partir de l’expérience présente du déconfinement, peuvent nous conduire les vérités si bien contrôlées de la science, quand elles s’avisent d’inspirer des politiques. Giorgio Agamben, que Badiou compte sans doute parmi les figures responsables « de la paralysie mentale bravache, des rumeurs incontrôlées, de la découverte de « nouveautés » antédiluviennes, quand ce n’est pas de l’obscurantisme fascisant » qu’il dénonce si « courageusement », a très heureusement déterminé le terme possible de l’interminable développement (dérapage?) contrôlé des vérités scientifiques :

Et – il ne faut pas l’oublier – en théologie chrétienne, il n’y a qu’une seule institution qui ne connaîtra pas de fin et de désœuvrement : c’est l’enfer. Là on voit bien, il me semble, que le modèle de la politique d’aujourd’hui qui prétend à une économie infinie du monde, est proprement infernal.

Espérons que nous avons encore le choix, et si nous le pouvons, choisissons d’accorder notre crédit à la force sans doute la plus incontrôlable qui soit, l’amour.

 

Sinon, la mort.

Le 24 mai 2020, Egletons.


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